Violences et rixes, ces poisons qui gangrènent l’Île-de-France

C’est en Île-de-France "qu'existent 90% de ces combats entre jeunes adolescents", avait indiqué le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin le 23 février dernier.

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Elles peuvent avoir différentes origines. Cela va du simple regard de travers à des insultes en passant par des vols d’objet ou des histoires relationnelles. Les rixes et les violences entre bandes rivales sont devenus des poisons qui gangrènent l’Île-de-France. Elles ont beaucoup fait parler d’elles ces dernières semaines.

Pas plus tard que mardi, en fin d’après-midi, la préfecture de police mentionnait sur twitter des "violences volontaires avec arme blanche" commises dans le XVIe arrondissement de Paris. La veille, lundi, deux jeunes ont été grièvement blessés suite à des violences volontaires par arme blanche à Champigny-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Les quatre auteurs présumés ont été interpellés et une enquête a été ouverte auprès de la Sûreté Territoriale du 94. 

Quelques jours plus tôt, Aymane, un adolescent de 15 ans a été tué par balle dans la commune de Bondy, en Seine-Saint-Denis. Ce meurtre intervenait lui-même trois jours après une double tragédie survenue en Essonne, où deux adolescents de 14 ans avaient trouvé la mort dans deux rixes distinctes en 24 heures.

De plus en plus fréquent

Selon la place Beauvau, les affrontements entre bandes sont à la hausse. Quelque 357 altercations ont été recensées en 2020 en France, contre 288 en 2019. Soit une augmentation de 25% en un an. Mais c’est en Île-de-France "qu'existent 90% de ces combats entre jeunes adolescents", indiquait le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin le 23 février dernier suite aux décès des deux jeunes en Essonne. Sur les 74 bandes d'adolescents ou jeunes adultes recensées aujourd'hui par le ministère de l'Intérieur, 70 sont situées en Île-de-France. "C'est un phénomène très francilien, ces phénomènes de rixes se multiplient surtout en Île-de-France", expliquait le ministre, précisant que "cela va de pair avec la déscolarisation, le manque d'autorité parentale, les nouvelles technologies".

Il y a les violences visibles : celles renseignées dans les médias et sur les réseaux sociaux ; et il y a les violences invisibles

Laetitia Nonone

Pour des acteurs sur le terrain et en contact avec ces jeunes, les réseaux sociaux ont une responsabilité dans l’augmentation des violences. "Il y a les violences visibles : celles renseignées dans les médias et sur les réseaux sociaux ; et il y a les violences invisibles, qui ont toujours gangréné la société, notamment parce qu’elles sont isolées", nous confie Laetitia Nonone, fondatrice de l’association zonzon 93, présidente de l’association Génération avisée et conseillère présidentielle des villes. "Les réseaux sociaux participent à l’information et à l’effet boule de neige des violences dans les milieux urbains, notamment celles des jeunes", ajoute-t-elle.

Contexte difficile

Dans beaucoup de cas, les individus se livrant à des actes de violences proviennent de situations familiales difficiles. Souvent, issus de familles monoparentales – avec des jeunes mamans – qui travaillent et ne sont pas disponibles pour leur(s) enfant(s). "Elles ne sont pas démissionnaires et sont dépassées par les événements. Ces mamans ont un loyer à payer, un frigo à remplir, des charges et une famille à gérer. Les jeunes sont donc livrés à eux-mêmes", insiste Mohamed Mechmache, fondateur et président d’honneur du collectif "Pas Sans Nous", membre fondateur du Collectif ACLEFEU (Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble Unis).

"Attention, tous les jeunes provenant de milieux familiaux difficiles ne tombent pas dans la délinquance ou la violence (…) Oui, il y a des inégalités. Oui ces inégalités amènent certains à basculer du mauvais côté. Mais il faut de la nuance", martèle Laetitia Nonone, expliquant que "si on regarde les victimes et les auteurs, ils viennent souvent du même milieu".

Hausse d’un cran dans la violence

Un nouveau niveau de violence a par ailleurs été atteint dans ces affrontements. Là où auparavant les concernés se lançaient des pierres, des jeunes adolescents s’affrontent aujourd’hui avec des battes de baseball, des barres de fer, voire des armes létales : des couteaux ou encore des haches. "Aujourd’hui, on a le sentiment que cette jeunesse se croit dans un jeu vidéo où elle est en capacité de tuer avec le sourire en pensant que les jeunes en face vont se relever facilement", détaille M. Mechmache. La crise sanitaire a dans le même temps entraîné une limitation – sinon l’annulation – des activités.

Aujourd’hui, on a le sentiment que cette jeunesse se croit dans un jeu vidéo

Mohamed Mechmache

"Pour certains jeunes, aller à l’affrontement, s’organiser et ramener du matériel devient une activité (…) celui du groupe qui ramène le plus gros matériel devient mieux vu par ses pairs et donc plus respecté. Le but est de se faire identifier au sein du groupe", détaille Laetitia Nonone. "Quand on leur demande pourquoi en arriver là, ils nous disent : 'c’est le seul moyen d’être quelqu’un et c’est le seul moyen d’être respecté' ", ajoute-t-elle.

La prison, un "signe de faiblesse"

A une certaine époque, passer par la case prison attisait le respect de la part des autres. Ceux qui en sortaient étaient vus comme des durs. Mais aujourd’hui, "est-ce que des jeunes réfléchissent, au moment de la rixe, s’ils vont être attrapés, jugés ou aller en détention ? Pas tellement (…) Aujourd’hui, la prison est vue comme un signe de faiblesse parce qu’on s’est fait attraper, ou cela n’inspire plus rien", estime Laetitia Nonone. "On lance les dés, et si on y va tant pis. On purge la peine et on ressort", conclue-t-elle. Pour Mohamed Mechmache la prison rend, a contrario, "beaucoup plus violent"

Concernant la police, le membre fondateur du Collectif ACLEFEU met en avant la relation police-population qui s'est dégradée ces dernières années "notamment du fait de l’attitude de certains policiers vis-à-vis des jeunes. Il ne faut pas que la police soit perçue comme une entité contre les jeunes, bien au contraire", ajoute de son côté Mohamed Mechmache. "Des jeunes sont nés et ont grandi dans cette atmosphère de relation dégradée. Elle est à rebâtir. L’autorité policière a largement sa place dans ces quartiers, et même davantage, mais il faut qu’elle soit exemplaire", précise-t-il.

Un monde où "rêver"

Face à cette situation – avec la prison qui ne fait plus peur – quelles alternatives trouver pour éviter que des jeunes ne continuent de basculer dans la violence et limiter les rixes et/ou les actes de violence ? Beaucoup au sein du monde associatif se plaignent du manque de personnel sur le terrain. Mais ces "éducateurs de rue" qui connaissent les quartiers, les codes et la façon de communiquer avec les jeunes, ne peuvent agir seuls. "Il faut mettre la priorité sur la parentalité. Les parents sont les acteurs clés de l’éducation. Et beaucoup nous demandent de l’aide", explique Laetitia Nonone.

"Il faut régulièrement faire sortir ces gamins des quartiers, qui sont de véritables prisons à ciel ouvert. Il faut cesser la désertification culturelle, éducative et sanitaire de ces quartiers. Il faut dire à ces jeunes, qui représentent l’avenir, qu’on les aime, leur faire prendre conscience qu’ils peuvent ôter la vie ou que la leur peut s’arrêter à 14 ou 15 ans. Ils devraient avoir des perspectives d’avenir et être dans un monde où ils peuvent rêver", estime M. Mechmache. "Encore une fois, cela ne justifie en rien les violences. Je les condamne. Mais si on ne fait pas en sorte que ces jeunes aient des échos positifs, on ne s’en sortira pas".

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