Alors que la grève des éboueurs à Paris est reconduite jusqu’au lundi 20 mars, le ministre de l’Intérieur demande à la Ville de "réquisitionner" des moyens pour évacuer les 7 000 tonnes d’ordures non ramassées dans les rues de la capitale.
Au neuvième jour de grève des éboueurs contre la réforme des retraites, Gérald Darmanin a donné mardi soir instruction au préfet de police de Paris Laurent Nuñez de demander à la mairie de Paris de "réquisitionner" du personnel pour évacuer les déchets non collectés qui s’entassent dans certains quartiers. Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on explique sa décision par "les conditions sanitaires" actuelles, et un courrier adressé par Rachida Dati, maire LR du VIIe arrondissement, pour qu'il intervienne. Si la Ville de Paris "ne donne pas suite à la réquisition, l'Etat se substituera" pour évacuer les ordures, ajoute l'entourage de Gérald Darmanin.
Le ministère de l’Intérieur affirme que la demande "a été envoyée ce (mercredi) matin à la mairie". "Nous n'avons reçu aucune demande de réquisition à ce stade", affirme à l'AFP l'entourage d’Anne Hidalgo, qui réaffirme que la mairie "n'a pas le pouvoir" de réquisitionner les grévistes. L’élue socialiste a dit à Gérald Darmanin "qu'elle ne comptait pas lui demander de le faire et lui a conseillé de privilégier le dialogue plutôt que de passer en force", toujours selon son entourage.
Dans un courrier mardi, la préfecture de police (PP) souligne pourtant, en se basant sur le Code général des collectivités territoriales, que "la mairie détient la police de la salubrité sur la voie publique". Selon la PP, il est donc de la compétence de la Ville "de requérir une entreprise privée ou de réquisitionner les agents". La préfecture dit pouvoir "dans un second temps" mettre en demeure la mairie de le faire. Si cette procédure "reste infructueuse, le préfet de police peut se substituer" à la mairie, "en cas d'urgence lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la sécurité publiques l'exige", ajoute la PP.
"C’est un sujet qui relève de l’Etat"
Mardi, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris, dénombrait 7 000 tonnes de déchets non collectées dans la capitale. Il déplore de son côté une "situation catastrophique créée par le gouvernement".
"Il n’est pas question que nous réquisitionnions, a d’ailleurs assuré mardi Emmanuel Grégoire, à l’occasion d’un point presse. La première raison, c’est que la réquisition ne fonctionnerait pas, nous n’y croyons pas du tout. La deuxième, c’est que nous n’allons pas contre l’exercice du droit de grève dès lors qu’il n’y a pas de mise en danger de la vie d’autrui et de la salubrité publique, et nous nous assurons que ça ne soit pas le cas. Et troisièmement, c’est un sujet qui relève de l’Etat. L’État peut réquisitionner s’il le souhaite. Il n’a pas besoin que les maires le demandent."
La mairie de Paris, dont les agents gèrent le ramassage des ordures dans la moitié des arrondissements, se dit "solidaire" du mouvement social. Mais la Ville "met en place des mesures palliatives" et "c'est plus que le service minimum" qui est assuré avec 23 000 tonnes ramassées sur 30 000 en 10 jours, a assuré Emmanuel Grégoire, reconnaissant avoir recours à des agents privés "sur des urgences absolues".
La grève reconduite "au moins jusqu'au 20 mars"
De son côté, le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a interpellé Gérald Darmanin, mercredi sur BFMTV : "Vous faites comment pour réquisitionner les gens ? Vous allez les chercher un par an ? Il en faut 3 000 pour faire le ramassage des déchets à Paris".
La mairie de Paris souligne par ailleurs que le dénouement de la crise se joue surtout à la porte des trois incinérateurs d'Ivry, d'Issy-les-Moulineaux et de Saint-Ouen bloqués depuis dix jours, et qui ne dépendent pas de la Ville mais du syndicat métropolitain, le Syctom. Or mardi, selon la préfecture, le Syctom n'avait pas "sollicité le concours de la force publique pour lever ces blocages".
Les éboueurs, eux, ont voté mardi la poursuite de leur grève "au moins jusqu'au 20 mars", pour protester contre le projet de réforme des retraites. Si la réforme des retraites est votée, les éboueurs et les agents d'assainissement devraient partir à la retraite à 59 ans au lieu de 57 actuellement. Un allongement de la durée de travail "impensable" pour les grévistes qui avancent la surmortalité dans leurs professions, avec une espérance de vie très raccourcie par rapport à d'autres métiers.
L’ARS accroît son niveau de vigilance
De son côté, l’Agence Régionale de Santé (ARS) d'Île-de-France appelle à la prudence : "La grève du ramassage des poubelles entraînant dans certains arrondissements une situation d’accumulation de déchets, l’ARS est vigilante à l’égard de l’éventuel impact sanitaire. Si les précédentes expériences n’ont pas semblé entraîner d’épidémie ou de danger imminent pour la santé publique, il reste nécessaire, comme pour toute situation exceptionnelle, de renforcer la surveillance sanitaire."
L'établissement public a ainsi accru son "niveau de vigilance (...) concernant toute augmentation inhabituelle des pathologies possiblement liées à la situation". L’Agence s’est par ailleurs "rapprochée des laboratoires de la Ville de Paris en surveillance des rongeurs, pour faire le point sur une éventuelle prolifération de ces derniers".
L’ARS rappelle enfin "des règles de bon sens". L’établissement recommande ainsi une "précaution accrue lors des déplacements sur la voie publique, le 1er risque relevé étant celui de chutes", un lavage des mains "renforcé", une "surveillance des enfants dans les espaces extérieurs (...) à renforcer", et "un effort de chacun pour réduire provisoirement la production de déchets, et le volume de ces déchets".
Pas de réquisitions par la maire de Paris
La maire PS de Paris Anne Hidalgo "ne donnera pas suite" à la demande de la préfecture de police de réquisitionner les éboueurs de la ville pour limiter les effets de leur grève contre la réforme des retraites, écrit-elle dans un courrier rendu public en fin d'après-midi ce mercredi 15 mars.
"Il est paradoxal que l'Etat demande aux collectivités territoriales de régler un problème qu'il a lui-même créé alors que la réquisition est, de droit, une compétence de l'Etat", écrit Anne Hidalgo au préfet de police Laurent Nunez. "La revendication des éboueurs de la Ville de Paris, qui souhaitent légitimement ne pas travailler deux ans de plus, et qui se mobilisent pour s'y opposer, est juste", estime l'élue socialiste. "La seule réponse susceptible d'apaiser le climat actuel est d'engager le dialogue social plutôt que de livrer une épreuve de force en procédant aux réquisitions que vous appelez de vos voeux", ajoute-t-elle.
Avec AFP.