Grève des éboueurs : derrière le risque de prolifération des rats, quels dangers sanitaires ?

Alors qu’on compte près de 7 000 tonnes de déchets non ramassées à Paris depuis le début de la grève des éboueurs, l’accumulation des ordures sur les trottoirs attire les rats, déjà nombreux dans la capitale. Quels sont les risques pour la santé ?

Une semaine après le début de la grève des éboueurs contre la réforme des retraites, il dit recevoir "10 fois plus d’appels" qu'en temps normal. Alexandre Woog, à la tête d’une société basée à Paris et spécialisée dans "l’éradication des nuisibles", décrit "la peur" de ses clients face à la présence des rongeurs au milieu des gros tas de poubelles visibles dans certains quartiers de la capitale.

"Les gens sont inquiets, explique-t-il. Soit ils cherchent des renseignements, soit ils demandent une intervention. Ce sont des habitants, des copropriétés, des restaurateurs, des commerçants… Les rats sont craintifs mais on les voit de plus en plus dans la rue. Il ne faut pas céder à la panique mais il y a un vrai enjeu sanitaire."

"On fait une cinquantaine d’interventions par jour, poursuit Alexandre Woog. Pour tuer les rats, on pose principalement des boîtes d'appâtage, en utilisant des produits raticides fortement dosés. Mais les rats sont intelligents, il faut bien placer ces boîtes noires pour les piéger. On utilise aussi des pièges mécaniques, des tapettes, et on rend hermétiques les lieux qu’on traite avec de la maille de fer. On travaille pour des clients privés, jamais sur la voirie."

"Le rat reste une menace pour la santé humaine"

Face au phénomène, la droite parisienne pointe du doigt la maire Anne Hidalgo (PS), qui a annoncé la "solidarité" de la Ville "avec le mouvement social" contre la réforme des retraites. Rachida Dati (LR), présidente du groupe Changer Paris au Conseil de Paris et maire du VIIe arrondissement, réclame ainsi la mise en place d’"un service minimum pour le ramassage des ordures en cas de grève", en évoquant le risque de "prolifération de rats".

Sur Twitter, le groupe Changer Paris a d’ailleurs republié ce mardi un communiqué de l’Académie nationale de médecine datant de l’été 2022. La société savante réagissait alors aux propos de la conseillère de Paris Douchka Markovic (Parti animaliste), qui appelait à une réflexion "sur de nouvelles méthodes efficaces et non-létales" face aux "surmulots", autrement dit les rats bruns.

"Le rat reste une menace pour la santé humaine en raison des nombreuses zoonoses transmissibles par ses exoparasites, ses déjections, ses morsures ou ses griffures", explique l’Académie dans le communiqué. La société savante rappelle notamment que le rat - "la plus nuisible des espèces commensales de l’Homme" - peut être vecteur de nombreuses maladies : la leptospirose, via ses urines, mais aussi la peste bubonique ou le typhus murin, via ses puces.

"Ses fèces peuvent contaminer la chaîne alimentaire par des salmonelles" et l’animal peut héberger de nombreuses bactéries pathogènes "résistantes aux antibiotiques dans l'environnement humain", précise l’Académie. Le communiqué recommande ainsi notamment "que les mairies promeuvent un plan de propreté urbaine, rigoureux et pérenne, pour supprimer les déchets alimentaires accessibles aux rongeurs, s’appliquant essentiellement au nettoyage de la voirie, des parcs et jardins, ainsi qu’à la collecte des ordures ménagères".

"Les possibilités de transmission à l’homme sont très réduites"

Contactée, la mairie de Paris n’a pas répondu à nos sollicitations. Sur son site, la Ville nuance fortement les risques liés aux rongeurs. "Les rats sont porteurs de nombreux germes, mais rappelons que le rat, très peureux, n’est pas un prédateur par nature. Ainsi, les possibilités de transmission à l’homme sont très réduites. Il faut en effet qu’il y ait un contact direct ou indirect entre l’homme et l’animal, et les contacts directs sont rarissimes", peut-on lire. 

"En ce qui concerne la leptospirose, il s’agit d’une maladie transmise à l’homme par contact de la peau lésée ou, avec les urines des animaux infectés", explique la mairie, qui indique que le vaccin, non obligatoire, est "recommandé pour des personnes qui exercent une activité professionnelle liée au risque de contact fréquent avec l’eau, qui peut être contaminée par les rongeurs".

Alors qu’Alexandre Woog donne le chiffre de "six millions de rats à Paris", et que l’Académie nationale de médecine évoque "un ratio de 1,5 à 1,75 rats par habitant" à Paris, qui ferait partie "des 10 villes les plus infestées au monde", la mairie relativise également : "Ces chiffres sont fantaisistes car aucun comptage n’a réellement été effectué. Et pour cause : ce comptage est très complexe à réaliser en ville. Le rat occupe en effet plusieurs espaces (sous-sol, surface, bâtiments…), public et privé sans distinction (il ne connaît pas nos frontières administratives), sa répartition est très variable d’un milieu à l’autre, et d’une zone géographique à une autre, et sa population varie en fonction des saisons."

Plus la grève dure, plus le risque de prolifération augmente avec des problèmes sanitaires qui peuvent varier selon les quartiers

Stéphane Bras, porte-parole de la Chambre Syndicale 3D

"Ces chiffres sont difficiles à établir, reconnaît Stéphane Bras, porte-parole de la Chambre Syndicale Dératisation Désinfection Désinsectisation (CS3D), qui réunit les professionnels du secteur. Mais il y a une présence visuelle réelle à Paris, a minima il y a plusieurs centaines de milliers de rats dans les sous-sols. Ils ont un rôle utile dans les égouts, en éliminant une partie de nos déchets. Mais ils posent un vrai problème de santé en fréquentant nos lieux de vie."

"La grève des éboueurs aggrave une situation déjà préoccupante, alerte-t-il. La présence des rats dépend de leur facilité à accéder à de la nourriture. Plus la grève dure, plus le risque de prolifération augmente avec des problèmes sanitaires qui peuvent varier selon les quartiers."

Mais Stéphane Bras, qui recommande des contrôles réguliers des bâtiments et des opérations de désinfection du mobilier en contact avec les rats, souligne surtout l’importance d’un "plan global de prévention avec l’ensemble des acteurs, au niveau du gouvernement, des mairies, des commerces et des immeubles". "Au-delà de la grève, il faut être conscient que plusieurs facteurs favorisent l’expansion des rongeurs", souligne le porte-parole, qui cite "la multiplication des déchets, la mauvaise gestion de la collecte et les incivilités quotidiennes quand les gens balancent leurs détritus par terre".

L’ARS s'est "rapprochée des laboratoires de la Ville de Paris en surveillance des rongeurs"

De son côté, l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’Île-de-France appelle à la prudence : "La grève du ramassage des poubelles entraînant dans certains arrondissements une situation d’accumulation de déchets, l’ARS est vigilante à l’égard de l’éventuel impact sanitaire. Si les précédentes expériences n’ont pas semblé entraîner d’épidémie ou de danger imminent pour la santé publique, il reste nécessaire, comme pour toute situation exceptionnelle, de renforcer la surveillance sanitaire."

L'établissement public a ainsi accru son "niveau de vigilance (...) concernant toute augmentation inhabituelle des pathologies possiblement liées à la situation". L’Agence s’est par ailleurs "rapprochée des laboratoires de la Ville de Paris en surveillance des rongeurs, pour faire le point sur une éventuelle prolifération de ces derniers".

L’ARS rappelle enfin "des règles de bon sens". L’établissement recommande ainsi une "précaution accrue lors des déplacements sur la voie publique, le 1er risque relevé étant celui de chutes", un lavage des mains "renforcé", une "surveillance des enfants dans les espaces extérieurs (...) à renforcer", et "un effort de chacun pour réduire provisoirement la production de déchets, et le volume de ces déchets".

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