Toki Woki est allé à la rencontre de la chanteuse franco-vénézuélienne à la voix envoûtante dans son quartier natal de Belleville. La Chica, auréolée par la critique après la sortie de son album La Loba, tire son inspiration de son quartier et d'une enfance bercée par le mysticisme et le métissage culturel.
Quelle est l'importance de ce quartier dans ton inspiration pour ton art ?
Ce quartier a beaucoup d'importance pour moi artistiquement, parce que c'est un coin où il y a toujours eu beaucoup d'art de rue, d'arts visuels. Il y a du street art partout, les ateliers portes ouvertes de Belleville... C'est aussi un lieu où n'importe qui pouvait se pointer et présenter quelque chose d'artistique, de manière très brute. Ça a influencé ma manière de concevoir de l'art : je me dis qu'on peut faire de l'art avec n'importe quoi, ce qu'on a sous la main, l'important c'est ce qu'on va exprimer.
Est-ce que tu reconnais encore le quartier où tu as grandi ?
Le quartier a beaucoup changé, les gens qui le fréquentent, surtout. En revanche, il y a une énergie qui est restée là, c'est l'énergie du mélange, c'est ça qui me plaît le plus. Je suis une enfant de Belleville, j'ai grandi là, je me suis construite en partie sur ce territoire qui est vraiment très particulier et multiculturel, et qui m'a enrichi considérablement.
Tu as grandi dans une certaine mixité sociale à Belleville ?
Bien sûr, Belleville c'est le quartier pluriculturel par excellence. Il y avait des gens qui venaient de partout, j'ai été familiarisée avec tellement de cultures différentes. Quand j'étais petite, c'était quelque chose qui me paraissait normal. Je crois que ça m'a donné envie de voyager et de rencontrer ces cultures sur place. Quand j'ai l'occasion de le faire, notamment en Asie, ce que j'ai vécu était assez extraordinaire.
T'écoutais quoi quand t'étais petite ?
Déjà, j'écoutais ce qu'écoutaient mes parents, qui sont très mélomanes. Mon père écoutait beaucoup de rock, de punk, de reggae mais aussi de hip-hop. Ma mère écoutait de la musique classique, de la salsa, de la musique folklorique vénézuélienne, de la musique caribéenne, il y avait déjà un panel de musique très variées. Après, je me suis fait mes propres goûts à l'intérieur de tout ça.
Tout ce mélange a fait ta musique aujourd'hui, j'imagine.
Complètement. La musique que je fais maintenant est fatalement influencée par tout ce que j'ai "mangé" quand j'étais petite, les styles qui m'ont plu, comment ça résonnait à l'intérieur de moi. Finalement, ce que je cherche à recréer maintenant ce sont ces émotions que j'ai pu ressentir quand j'étais petite. C'est ça que j'ai envie de générer chez les gens, si j'y arrive j'aurai tout réussi.
Pourquoi tu as fait le choix de chanter en espagnol ?
Je n'ai pas vraiment fait le choix, c'est venu naturellement quand je me suis mise à écrire des poèmes qui étaient inspirés par mes rêves. Je me suis rendu compte que ça venait naturellement en espagnol, parce que je rêve beaucoup en espagnol. Ça reste ma langue maternelle aussi, la langue parlée par ma maman. Je crois que c'est une langue liée à l'émotionnel. Au moment d'aller chercher les émotions pour pouvoir les traduire en musique, c'est sorti en espagnol.
Lors de notre petite balade,je crois que tu as prévu de nous emmener sur des toits ?
J'aime beaucoup les toits, j'aime être entre le sol et les cieux. Les toits c'est un endroit particulier, un entredeux qui m'a toujours beaucoup plu. J'ai passé beaucoup de temps sur le toit de l'immeuble de mes parents. Là, je vous ai amené chez un voisin qui a gentiment accepté de nous prêter sa terrasse.
Je découvre un autre Belleville là, complètement ahurissant!
C'est le Belleville des toits. Belleville et Ménilmontant sont de petites montagnes. On a accès à des hauteurs qui ont une vue imprenable sur Paris.
Tu sors un premier EP en 2017 qui s'appelle "Oasis", ça parlait de quoi ?
Ce premier EP est très spécial pour moi, il raconte tout mon univers mental, cérébral, les rêves, les angoisses et les cauchemars que je faisais. C'était quelque chose de très puissant, je vivais vraiment dans ma tête et j'avais envie de sortir ces émotions de ma tête. J'avais envie de les transformer en, musique et de raconter quelque chose à partir de ça. J'étais très inspirée par mes rêves : c'est un EP très mental, en fait.
2019, tu sors ton premier album, "Cambio"
Dans "Cambio", il y a beaucoup plus de feu, il y a mon rapport avec le Venezuela. J'y intègre le corps, des morceaux qui sont beaucoup plus dansants comme "Drink" ou "Ratas". C'est un album que je vois comme une sorte de cri, c'est le tout premier album où je me suis exprimée comme je voulais. Je n'ai pas vraiment réfléchi à la forme des choses ni à comment j'étais en train de me présenter. J'avais juste envie de sortir tout ce que j'avais à dire.
Et en 2020, tu sors "La Loba"
C'est un album très particulier pour moi, il a été composé pour mon frère après son décès. Juste un mois après, j'étais dans une situation émotionnelle très particulière, j'étais à fleur de peau, en souffrance absolue. J'ai eu envie que ces émotions se transforment et deviennent vite quelque chose d'autre. Je ne pouvais pas garder ça à l'intérieur de moi. J'ai composé sept thèmes, chacun a une fonction spéciale dans le deuil, comme si je procédais étape par étape.
"La Loba", tu l'as énormément défendu sur scène, tu as fait énormément de scènes. Est-ce que c'était une forme d'exutoire pour toi ?
Oui, ça a été complètement cathartique. Le fait de parler de la mort, de raconter et de faire sortir la voix tous les soirs, c'est une thérapie et une forme de guérison extrêmement efficace.
Sur scène, tu as des tenues incroyables. Tu bosses beaucoup tes tenues, scéniquement ?
Oui. J'adore l'aspect visuel du projet, c'est très important parce que j'adore l'art d'une manière générale. C'est global pour moi, alors forcément l'aspect photo et vidéo prend beaucoup de place et raconte aussi ce que je suis. C'est un peu l'extension de tout ce que j'ai à l'intérieur et c'est une manière de l'exprimer à travers les couleurs et les formes.
Tu as un rapport très ésotérique aux choses ?
Mon terrain d'action, c'est la musique sur scène, en live. C'est là que tout se passe, et je pense que la musique a des vertus chamaniques, les sont guérissent. Ce que j'ai envie de générer, ce sont des émotions mais aussi une prise de conscience. Pour moi, l'art est fait pour éveiller, la musique est faite pour comprendre des choses sur soi, sur le monde, sur ce qui nous entoure. J'ai envie de soigner avec la musique. Toute cette dimension magique prend sens à partir du moment où je fais de la musique.
Qu'est-ce que l'espagnol te permet de plus par rapport au français ?
C'est une langue que j'adore parce que c'est une langue qui sonne. C’est une langue qui se termine avec des "o" et des "a", ça permet de projeter la voix. Le français est une langue qui renferme un petit peu plus, jusqu'à présent je n'ai pas encore réussi à chanter en français, même si c'est une langue que j'adore. Le jour où j'y arriverai, je le ferai avec plaisir, mais pour l'instant l'espagnol est plus libérateur dans le chant.
Je crois que tu es en train de travailler sur un gros projet qui va éclore au mois de novembre. Tu peux nous en dire un petit mot ?
Le 28 novembre, je vais me produire à la scène musicale de Boulogne, dans l'auditorium qui est une salle magnifique. Je ne vais pas me produire seule comme je l'ai fait pendant deux ans mais avec un orchestre dirigé par Mareno Palma, qui est un ami à moi. Ça va être dingue, je sens que ce qui va se dégager de ce concert va être unique, surtout qu'il n'y aura pas énormément de dates. Ou alors, inch'Allah, il y en aura beaucoup.
Moi ce que j'adore chez toi, c'est que tu as un univers visuel extrêmement travaillé, notamment tes clips qui sont géniaux. Il y a le clip de "La Loba" que j'adore.
Oui, j'adore l'aspect visuel et le travail qu'on fait sur les clips, notamment avec des collectifs comme Temple Caché, une réalisatrice comme Marion Castéra. C'est du bonheur pour moi parce que ces gens-là arrivent à traduire en image exactement ce que j'ai en tête, et ils viennent soutenir, appuyer le propos musical avec de l'image, du visuel, des couleurs qui me correspondent. Avec un engagement aussi, très souvent, et c'est une étape du projet qui me plaît énormément parce que la musique est déjà faite, ça n'est pas aller présenter ça sur scène de manière brute mais amener le projet encore plus loin grâce à des images, grâce à la force des images.
L'intégralité de Toki Woki est à retrouver sur france.tv/idf