Alors qu’une proposition de loi du Rassemblement national vise notamment à restreindre la vente d’alcool au sein des épiceries de nuit, la Ville dénonce une "vision réactionnaire". Comment réagissent les clients et les épiciers de la capitale ?
"J’y fais un tour dès qu’il me manque un truc, par exemple des bières ou un paquet de chips pour un apéro, raconte Nathan, un client parisien fidèle à la supérette ouverte la nuit en bas de chez lui. Ça coûte parfois un peu cher mais c’est vraiment trop pratique. C’est une habitude, quand on vit à Paris c’est difficile de faire sans." Le 15 octobre dernier, des députés RN ont pourtant déposé à l’Assemblée nationale un texte visant ces commerces nocturnes.
Cette proposition de loi vise selon ses auteurs "à renforcer les pouvoirs du maire afin de lutter plus efficacement contre les nuisances causées par les épiceries de nuit". Les élus du parti d’extrême droite estiment que ces enseignes sont "souvent génératrices de nuisances pour les riverains en étant la cause de tapages et de troubles à l’ordre public de natures diverses", en indiquant qu’elles "vendent dans leur très grande majorité de l’alcool et parfois même des cigarettes illégalement".
Le texte prévoit ainsi de "soumettre la vente d’alcool entre 21 heures et 8 heures dans les épiceries de nuit à l’autorisation préalable du maire, après consultation de l’assemblée délibérante et de la commission municipale de débits de boissons, quand elle existe".
Selon le site officiel d’information administrative pour les entreprises, les épiceries peuvent vendre de l’alcool à emporter la nuit - "c'est-à-dire entre 22h et 8h du matin" - "à condition d'avoir suivi une formation spécifique", qui porte notamment sur "la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, la protection de mineurs, la répression de l'ivresse publique, la lutte contre le bruit". Les commerçants reçoivent ensuite un permis d'exploitation valable 10 ans, renouvelable.
Pour "renforcer les outils à disposition du maire", le texte du RN prévoit par exemple de permettre aux édiles "de fixer une plage horaire durant laquelle la vente à emporter de boissons alcooliques est interdite dans la commune". Les députés d’extrême droite précisent toutefois qu’ils ne souhaitent pas "stigmatiser les épiceries qui respecteraient la législation et ne causeraient aucun trouble", en soulignant que "cette proposition de loi n’a pas vocation à restreindre la liberté du commerce et de l’industrie et de sanctionner l’ensemble des commerçants attachés au respect des règles et de l’ordre public".
"Ça arrange un tas de gens"
"C’est complètement bête comme proposition, réagit Claire, qui habite à Montmartre. Je n’ai pas l’impression que le tapage nocturne soit vraiment lié aux épiceries de nuit. En vrai, ça arrange un tas de gens, ça permet de faire des petites courses, pour faire la fête ou autre. Quand j’y fais un tour, c’est rarement pour acheter de l’alcool. Je suis capable de descendre à pas d’heure parce que j’ai envie de faire un gâteau tardivement. Et je suis bien contente d’avoir ces épiceries."
"Ce n’est pas comme en périphérie où l’on prend la voiture pour faire les courses pour une semaine. Quand on vit en ville, on fait un peu au jour le jour, poursuit-elle. Tout le monde se connaît. C’est vraiment un commerce de proximité, de quartier, qui est charmant et important."
C’est faux, on ne crée pas de nuisances
Michel, épicier dans le 18e arrondissement
"Je ne vais jamais dans ce genre d’épicerie et dans mon quartier, ça me dérange, répond Armand, un autre Parisien. C’est surtout l’alcool. Les gens qui veulent acheter à boire n’ont qu’à l’acheter en journée. Sinon, il y a des fêtards dans la rue le soir, ça peut créer des problèmes, des nuisances."
Michel, dont l’épicerie est ouverte depuis 15 ans dans le quartier des Abbesses, défend le rôle de son commerce. "Avoir des magasins ouverts la nuit, ça dépanne les gens. Quand on a besoin de quoi que ce soit, on peut passer. Une brique de lait, une baguette, n’importe quel produit… C’est un vrai service", souligne-t-il.
"Et c’est faux, on ne crée pas de nuisances, affirme-t-il. On vend de l’alcool la nuit, on a le droit, c’est autorisé. Et c’est à emporter, les gens achètent et s’en vont, il n’y a pas de rassemblement. On ne pourrait pas gérer ça."
"Elles dépannent des milliers de Parisiens"
Du côté de la mairie de Paris, Nicolas Bonnet Oulaldj (PCF), l’adjoint en charge du commerce, dénonce une "vision réactionnaire qui cherche à diviser". "S’attaquer aux épiciers de nuit, comme le fait le RN, c’est mépriser ces travailleurs et méconnaître la réalité de leur quotidien", répond l'élu à France 3 Paris Île-de-France.
"Ce parti, une fois encore, préfère stigmatiser plutôt que construire des solutions. Ces commerces ne sont pas des nuisances : ils sont indispensables à la vie urbaine, et assurent un service de proximité et contribuent à la vitalité et à la sécurité de nos quartiers", pointe-t-il du doigt.
Le RN voudrait réduire ces commerces à des nuisances
Nicolas Bonnet Oulaldj, adjoint en charge du commerce à la Ville de Paris
"Les épiceries de nuit jouent un rôle essentiel dans notre ville : elles dépannent des milliers de Parisiens, en particulier celles et ceux qui travaillent aux horaires décalés, poursuit Nicolas Bonnet Oulaldj. Pensez aux soignants qui sortent de garde à l’hôpital, aux agents de la RATP qui veillent sur nos transports, ou encore aux agents de la Ville qui entretiennent nos rues et nos espaces publics. Ces commerces sont souvent leur seul recours pour se nourrir, acheter des produits essentiels ou simplement trouver un peu de chaleur humaine après une longue journée ou nuit de travail."
"Ces épiciers font partie de la culture et de l'histoire parisienne", ajoute l'adjoint. Il cite d'ailleurs le personnage incarné par Jamel Debbouze dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, comme une "figure emblématique de ces lieux qui tissent du lien social tout en rendant des services indispensables".
"Le RN voudrait réduire ces commerces à des nuisances. Mais la vérité est tout autre : leur présence nocturne apporte lumière, activité et sécurité dans l’espace public", conclut l'élu, qui met en avant un "un rôle clé pour éviter que nos rues sombrent dans l’obscurité et l’isolement".