Avec leurs vitrines spectaculaires, les grands magasins sont indissociables des fêtes de fin d'année dans la capitale. Mais comment ont-ils émergé et perduré? Une exposition à la cité de l'Architecture retrace l'histoire de ces temples de la consommation et reflets des transformations sociétales et économiques.
Dès que l'on franchit le seuil de cette exposition richement documentée par la Cité de l'Architecture et du Patrimoine, une évidence s'impose : les grands magasins ne sont pas de simples lieux de consommation mais le reflet des transformations et évolutions de la société. Ils incarnent une époque, un idéal de progrès et un art de vivre. Il faut avouer que la scénographie plonge le visiteur dans l'effervescence de la Belle Époque. Entre les silhouettes élégantes des mannequins du XIXème siècle et la majesté d'une porte à deux battants, chef-d’œuvre d'un maître verrier signé en 1901, chaque détail retient l'attention : "On a vu quelque chose de similaire à Caen, ça nous replonge dans nos souvenirs avec nos grands-parents et c'est beau. Mes pièces préférées sont les éventails et aussi la ferronnerie" expliquent en chœur Suzanne et Maryvonne, deux sœurs de passage dans la capitale pour quelques jours.
Un peu plus loin, une affiche fait sourire Patrick, parisien : "J'aime beaucoup cette pièce qui précise que c'est le seul magasin de nouveautés. Je suis sensible aux ambiances, c'était un lieu de vie, c'est l'âme de Paris." Le quinquagénaire aime déambuler chaque hiver du côté des vitrines de Noël des grands magasins : "Il y a une part d'imaginaire qui me plaît et je trouve qu'ils ont retrouvé leur beauté, notamment la Samaritaine". Au fond de la galerie, une maquette animée fait réagir Marcel : "Quand j'étais petit, j'adorais prendre les ascenseurs, je me rêvais en liftier. J'étais fasciné de le voir ouvrir et fermer la grille en annonçant les étages et les rayons qui s'y trouvaient ".
L’exposition s’articule autour de trois grandes périodes. La première, de 1850 à 1930, explore leur naissance et leur âge d’or marqué par l’essor de ces temples du commerce qui révolutionnent les habitudes de consommation. La deuxième période, de 1930 à 1980, met en lumière les défis de l’après-guerre et les mutations des Trente Glorieuses. Enfin, la troisième section, de 1980 à nos jours, analyse les conséquences du double choc pétrolier et l’arrivée de la carte de crédit.
Une exposition avec des espaces tactiles
Sous le regard d'Aristide et Marguerite Boucicaut, visionnaires et propriétaires du Bon Marché, un comptoir invite le public à se glisser dans la peau d'une vendeuse du XIXème siècle. Au milieu d'objets à manipuler, se trouvent une authentique caisse enregistreuse noire, des bons de commande et des étiquettes de prix. Isabelle Marquette, l’une des trois commissaires de l’exposition, explique avec enthousiasme : « On a pensé à ces îlots de médiation pour rappeler que ces grands magasins étaient bien plus que des lieux de commerce. C'est la première fois que les clients pouvaient entrer dans les grands magasins sans obligation d'achat, ils pouvaient toucher la marchandise là où dans les boutiques classiques le client était immédiatement pris en charge par le vendeur."
La vente par correspondance, à travers les catalogues, a largement contribué au succès des grands magasins. Ces outils de communication ont permis de diffuser massivement les produits auprès d'une clientèle au-delà des frontières urbaines.
Autre innovation qui se diffuse largement avec les grands magasins : l'affichage du prix fixe. Il met fin au marchandage et redéfinit les relations entre clients et vendeurs. "Ce changement transforme profondément le rapport à la consommation", rappelle Isabelle Marquette. "En rendant les prix transparents, il permet aux consommateurs d’anticiper leurs dépenses et de mieux les adapter à leurs capacités financières." Dès leur création, les grands magasins se positionnent comme de véritables lieux de vie : "Ils ne sont pas seulement des espaces de commerce", poursuit la commissaire. "On y trouve des salons de thé, des salles de cinéma, des animations culturelles, et même des espaces dédiés au bien-être".
Avec le développement des périphéries et l’avènement de la société de consommation, les grands magasins en cœur de ville doivent réinventer leur modèle pour faire face à la concurrence féroce des hypermarchés, supermarchés et centres commerciaux, tout en s'adaptant à des consommateurs en quête de praticité. Finis les façades majestueuses qui faisaient lever le nez des badauds, place à des boîtes fermées, toutes en lignes droites et en angles fonctionnels. On ferme les grandes verrières, on cloisonne, on contrôle : lumière calibrée, climatisation au cordeau, tout est fait pour perdre la notion du temps. Des passerelles relient les bâtiments, histoire de ne surtout pas laisser filer le client dans la rue. Tout est pensé pour le garder bien au chaud, dans un univers clos, parfaitement maîtrisé.
L'exposition permet surtout de couper court aux idées reçues : les grands magasins ne s'adressaient pas exclusivement aux plus aisés mais à une classe moyenne émergente qui apprenait à se faire plaisir sans exploser son porte-monnaie : "Si certains grands magasins ont fait le choix aujourd’hui du luxe voire de l’ultra luxe, le Bon Marché c’était le Bon Marché, c'est-à-dire peu cher, à petits prix. C’est une époque où une classe moyenne émerge, une classe ouvrière également mais aussi une classe salariée, ces grands magasins s’adressent plutôt à cette classe moyenne."
En déambulant dans cette fresque chronologique, une évidence saute aux yeux : le grand magasin sait s'adapter, muter selon Isabelle Marquette : "Oui, on a souvent voulu l'enterrer, mais le grand magasin va bien. Il a une force d'adaptation et de mutation qui lui permet de se maintenir". On comprend alors que le public a un rapport affectif avec lui, certains se rappellent leurs grands-parents qui y travaillaient, d'autres ont encore des étoiles plein les yeux en pensant aux vitrines de Noël. Et puis, il y a ceux qui râlent contre la foule dans les rayons et l'attente aux caisses, mais qui y retournent toujours. Au fond, le grand magasin a un pouvoir d'attraction que les autres lieux de consommation n'ont pas, un je-ne-sais-quoi qui accroche le cœur des clients et que personne ne pourra leur enlever.
Infos pratiques :
plein tarif : 9 € | tarif réduit : 6 €
Adresse : 1 Pl. du Trocadéro et du 11 Novembre, 75016 Paris
Dates : du 6 novembre 2024 au 6 avril 2025 en partenariat avec France.tv