Les tatoueurs reprennent leur activité ce mercredi 19 mai, après deux mois consécutifs de fermeture. Chez Landscape Tattoo, qui rassemble neuf artistes répartis dans deux salons situés dans le XIe arrondissement, la crise sanitaire a freiné de nombreux projets.
"On a eu quasiment six mois d’arrêt en un an… On nous aurait dit ça avant la crise, on n’aurait même pas pu le concevoir, c’est fou." Sébastien Boyer s’apprête à rouvrir ses deux salons parisiens, fermés depuis la mi-mars. Le gérant de Landscape Tattoo avait dû, une nouvelle fois, "tout stopper net" : "On a ouvert le premier salon rue Keller, dans le quartier de Bastille, en 2015. Après avoir commencé avec seulement quelques tatoueurs, ça a commencé à prendre de l’ampleur et trois ans plus tard on a ouvert notre deuxième salon, rue Saint-Maur, vers Oberkampf."
"Juste avant la crise, on avait neuf tatoueurs au total : six artistes dans le premier salon, et trois dans le deuxième, raconte-t-il. On a perdu trois tatoueurs lors du premier confinement… C’était un petit coup de stress, mais on a retrouvé les bonnes personnes et c’est bien reparti."
Au-delà de Paris, quelques mois avant le début de la crise sanitaire, la société venait aussi de lancer une collaboration en Savoie, en ouvrant un box de tattoo dans un restaurant situé dans la station de sports d'hiver de Val Thorens. "Début mars 2020, tout tournait super bien, le Covid nous a vraiment coupé dans notre élan, déplore Serge Barbier, l’associé de Sébastien Boyer. La saison 2021 est tombée à l’eau puisque les stations sont restées fermées. Bref, tous nos projets ont été reportés."
D’un côté j’étais content pour les commerces qui pouvaient continuer à travailler, mais de l’autre j’ai trouvé ça désolant pour notre métier
Il y a près de deux mois, lors de la mise en place des "mesures de freinage renforcées", les salons de tattoo ont été classés comme commerces "non-essentiels", à la différence par exemple des coiffeurs. De quoi provoquer l’incompréhension et la colère de la profession. L’association SNAT (syndicat national des artistes tatoueurs) avait ainsi défendu des "conditions de sécurité exemplaires" dans les boutiques : "Un studio de tatouage professionnel constitue l’un des lieux les plus sécurisés qui soient, où le nombre de personnes accueillies est extrêmement limité. En lui interdisant de recevoir du public, on alimente le fléau du tatouage clandestin. On ne lutte pas contre l’épidémie."
"D’un côté j’étais content pour les commerces qui pouvaient continuer à travailler, mais de l’autre j’ai trouvé ça désolant pour notre métier, alors qu’on fait le maximum pour accueillir nos clients dans de bonnes conditions, souligne de son côté Sébastien Boyer. C’est difficile à accepter." Une position partagée par Serge Barbier : "Même avant les confinements, les règles d’hygiène étaient déjà strictes. Dans un salon de tatouage, tout est étudié pour l’hygiène, c’est presque médical. Les protocoles étaient déjà bien en place, avec des masques, des gants… Et on ne reçoit pas beaucoup de monde. D’ailleurs, aucun de nos tatoueurs n’a été touché par le virus depuis le début de la pandémie. Après, c’est sûr, chacun défend sa situation et sa profession, comme les artistes qui ne peuvent plus jouer et les restaurateurs qui ne peuvent plus servir."
"Le confinement a mis dans la détresse beaucoup d'indépendants"
L’associé note toutefois que la fermeture a permis de lancer des travaux d’aménagement dans les salons : "On a pu se poser et réfléchir à ce qu’on pouvait faire pour améliorer les lieux, la décoration notamment." Des démarches qui représentent toujours des coûts supplémentaires, alors que la société tente difficilement de préserver sa trésorerie. Fonds de solidarité, prêt garanti par l'État (PGE)… "On est content d’avoir reçu des aides, mais ça ne couvre pas tous les frais, sans activité", précise Sébastien Boyer. Serge Barbier déplore surtout la situation des tatoueurs : "Les artistes sont auto-entrepreneurs. Le confinement a mis dans la détresse beaucoup d'indépendants qui n’avaient pas de gros chiffres d’affaires, et qui étaient un peu isolés. Avec, en plus, de la paperasse à faire pour récupérer des aides. On a essayé de les aiguiller."
A chaque réouverture, Sébastien Boyer explique avoir eu "une grosse demande" : "Avant le Covid, les artistes étaient déjà bookés sur plusieurs semaines. Avec l’arrêt, les rendez-vous sont reportés, on va donc avoir au moins un ou deux mois de réservations. On ne peut pas doubler les rendez-vous, c’est impossible. Notre métier demande du temps et de la concentration. Quand on tatoue la peau d’une personne, il faut accueillir le client, préparer le dessin… On peut faire maximum deux-trois tattoos dans la journée. Ce n’est pas l’usine, il faut que le client se sente bien, et que les artistes aient un cadre de travail adapté."
Désinfection des mains au gel hydroalcoolique dès l’entrée, port du masque obligatoire… Cette semaine, un protocole sanitaire important sera toujours en vigueur, souligne le gérant : "On ne peut pas être à plus de cinq clients dans le magasin, en raison de la surface. Et alors qu’en temps normal certains clients viennent accompagnés par des amis, là ce n’est pas possible. Le client doit être seul."
Ces prochains mois, Sébastien Boyer compte ensuite poursuivre les projets de la société, alors que "tout a été décalé dans le temps". Collaboration à Val Thorens, projet d’un troisième salon parisien, et même d’une boutique dans le Sud-Ouest à l’avenir… "On avait la chance d’avoir les reins solides mais il ne faudrait pas un nouveau confinement, espère le gérant. J’aimerais qu’on puisse travailler sereinement, qu’on puisse faire confiance aux professionnels sur le long terme. Ce n’est pas le Covid qui va nous stopper."