Depuis le meurtre de la jeune fille de 12 ans, vendredi 14 octobre, Twitter et les réseaux sociaux s'agitent. Récupération politique, propos "indécents" voire hors-la-loi. Analyse avec Bérénice Mariau, enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication.
Impossible d'y échapper, si vous allez sur Twitter. Des photos, des tweets et des hashtags réclamant la "justice" ou l'organisation d'une "manif" pour Lola, circulent sur le réseau social. Ces réactions sont nombreuses, depuis vendredi 14 octobre, jour de la mort violente de la collégienne de 12 ans. La préadolescente a été découverte à l'intérieur d'une caisse, sans vie, dans le 19ème arrondissement de Paris. Ces publications qui jouent sur les émotions foisonnent sur internet. Problème : elles relèvent pour certaines d'entre elles d'une récupération de partis ou de personnalités politiques.
Le ras-le-bol des associations et des internautes, sur la toile
C'est un cri du cœur que lance ce mercredi 19 octobre, la présidente de l'association La voix de l'Enfant. Martine Brousse n'en peut plus des déclarations et écrits qu'elle a lus, ces derniers jours. "Cela fait 45 ans que l'on se bat pour les enfants. Je suis effondrée et je suis entre le dégoût et la colère. Si nous acceptons de parler aujourd'hui, parce qu'il n'y avait jusqu'ici aucune raison qui le justifie pour notre association, c'est parce que le silence nécessaire et le respect du deuil après ce crime odieux sont rompus. Je n'ai pas peur de le dire, à présent : c'est une récupération. Les responsables politiques se sont accaparés cette affaire, tels des fauves. Je ne me tairai, que lorsqu'eux, se tairont", s'exclame-t-elle.
Cette dirigeante associative n'est pas la seule à s'émouvoir de ce déferlement sur les réseaux sociaux. Beaucoup de tweets appellent également au respect du deuil, au respect du travail de la justice et au silence parfois nécessaire.
Une réaction dans la lignée de celle des proches de la collégienne de 12 ans. Les parents de la fillette rappellent "une volonté affichée très rapidement [de ne vouloir absolument pas] de récupération politique de leur drame". Une déclaration faite ce mercredi 19 octobre par la maire de la commune d'où vient la famille, à nos confrères de franceinfo.
La récupération, pratique courante depuis environ une vingtaine d'années
La réappropriation de ce fait divers n'est pas une première, à en croire Bérénice Mariau. "La stratégie du camp adverse, c'est de pointer le fait que le gouvernement en place n'est pas apte à assurer la sécurité des citoyens. Cela instille un sentiment d'insécurité : il y a l'idée de dire que les responsables politiques au pouvoir ne sont pas capables de protéger la population", explique cette enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication .
Une théorie qui se vérifie encore une fois, dans le cadre du meurtre de Lola, selon la chercheuse. "Ici, l'opposition s'appuie sur la reconduite à la frontière qui n'a pas été faite. Ce qui suggère un sentiment d'insécurité aux yeux du public, car cette action prévue par la loi n'a pas été exécutée", décrit la spécialiste à l'Institut Catholique de Paris. Sans compter que l'arrivée, ces dernières années, de Twitter et des réseaux sociaux, permet de relayer encore plus vite ces idées : "Twitter amplifie la manifestation des émotions collectives".
"Avant, elle se retrouvait dans l'organisation de marches blanches, dans le dépôt de photos et d'objets sur les lieux des faits. Maintenant, cette émotion se propage avec les réseaux sociaux. Cela interpelle le public, d'autant qu'il s'agit d'une enfant. Cette expression d'émotions collectives est une forme de réparation. Le fait divers est très consensuel en général : tout le monde s'accorde à dire que ce qui vient de se passer est terrible, que le coupable doit être condamné très sévèrement. Ce qui contribue à former un collectif, à un moment donné. Sauf qu'ici, cela n'a pas duré très longtemps", ajoute Bérénice Mariau.
Sur Twitter comme ailleurs, la reprise politique de ce fait divers survient trop tôt, selon la spécialiste. "Ce n'est pas très judicieux, car le public est encore en phase de sidération, d'enquête. Il ne s'agit pas encore du temps de la rationalisation, qu'il faut pourtant respecter. On peut émettre l'hypothèse que ce sont les réseaux sociaux qui entraînent cette prise de parole très rapide", juge l'universitaire.
La reprise de ces sujets qui touchent à la sécurité, dans le réel ou dans le virtuel, est surtout l'apanage de partis de droite, voire d'extrême droite, à en croire cette spécialiste. "L'idée est de donner au fait divers, qui est une histoire singulière, un caractère de généralité. L'un des spécialistes de cela est Nicolas Sarkozy. À chaque fait divers, lui correspondait une nécessité d'adopter une loi. On retrouve aussi cela en 2002, lorsque l'extrême droite est arrivée pour la première fois au second tour de la présidentielle. Il y avait eu à l'époque l'affaire "papy Voise", un homme âgé agressé par plusieurs personnes, à quelques jours du premier tour de ce scrutin", dit Bérénice Mariau.