Nathalie George n'a jamais quitté sa chambre de bonne. En 2021, elle nous acueilait dans son minuscule appartement, année à laquelle elle venait de publier "La cuisine du 6e étage", un livre de recettes qui prouve que l’on peut bien manger malgré les aléas de la vie.
Pourquoi vous appelle-t-on la dame du sixième étage ?
Nathalie George : Parce que je dois être la moins jeune du sixième, j’y habite depuis quinze ans. D’ordinaire, il n’y a que des étudiants, donc j’ai l’âge d’être la mère ou la grand-mère de mes voisins. De plus, j’adore cuisiner, sauf que cuisiner pour soi ça n’est vraiment pas marrant. Donc quand je cuisine quelque chose, j’en propose aux voisins. On est arrivés chez moi. Ici, il y a la chambre où je dors et où j’ai ma garde-robe, mes costumes pour le théâtre de la vie quotidienne. Il y a aussi mon chat, Athos.
Nathalie, on est venus vous voir à l’occasion de la sortie de votre livre de cuisine, La cuisine du 6e étage. Vous pouvez nous en parler ?
Nathalie George : J’ai écrit ce livre pour deux raisons. La première, parce que je voulais rendre hommage à ma grand-mère Gilberte qui m’a fourni une arme formidable en m’apprenant la cuisine. La seconde, parce qu’il n’était pas question de mal manger pour moi en arrivant ici. Pour moi, il n’y aurait pas pire. Il n’était pas non plus question de ne pas partager. Alors j’ai voulu élaborer à partir des bases que j’avais apprises. Aujourd’hui, on ne se dit pas "tiens, je vais me faire une petite blanquette de veau", les temps ont changé. On se demande plutôt que faire à partir de ses pommes de terre, de ses brocolis, de ses œufs. On a un feu et un plat qui doit pouvoir faire tout le repas.
Ce livre n’est pas qu’un livre de cuisine, c’est aussi "une leçon de vie" ?
Nathalie George : C’est même essentiellement une leçon de vie au travers de la cuisine. Elle vous concerne si vous vous sentez seul ou en difficulté, sixième étage ou pas. Pour être claire, si c’est la m**** dans votre vie, il vaut mieux aller au marché, discuter avec le chaland et bien manger que d’acheter des antidépresseurs. Mieux vaut partager une bonne salade de patates avec des amis, avec une boîte de sardines.
On passe en cuisine ?
Je vais préparer une salade de lentilles aux lardons, avec une sauce à l’huile d’olive et au vinaigre. J’y ajoute des oignons nouveaux, une pointe d’ail nouveau – si on veut. D’ailleurs, je dois aller chercher des fines herbes de l’autre côté.
Il faut être incroyablement organisée pour cuisiner dans un petit espace, non ?
C’est comme sur un bateau. Vous n’avez ni les moyens de laisser traîner des choses, ni de ne pas les ranger de suite. Si vous avez la flemme de ranger votre planche, vous comptez la poser où ? Dans l’évier, vous serez gêné au bout d’un moment, sur le comptoir c’est encore pire, et ainsi de suite. La nettoyer et la remettre à sa place, ça va mille fois plus vite. Cela dit, c’est tant mieux : c’est un mode de vie qui vous oblige à avoir une rigueur. Et qu’on le veuille ou non, la rigueur permet de tenir debout. Je passerai peut-être pour rétrograde en disant ça, mais le laisser-aller, c’est trop simple [...]. J’ai même une coiffeuse dans cette pièce.
Vous êtes très coquette ?
Coquette, je ne sais pas. En tout cas je ne suis jamais en torchon, ça, inutile d’y penser. Je vous l’ai dit : ce n’est pas parce qu’on habite au sixième que l’on doit être moche et mal manger. Cela dit, je ne dépense pas des mille et des cents dans les produits de beauté. Contrairement aux produits de cuisine.
Comment se retrouve-t-on dans une chambre de bonne ?
Ça arrive très facilement. Au milieu des années quatre-vingt, je me suis mise à mon compte. Les sociétés unipersonnelles n’existant pas, je me suis prévalue d’un régime juridique qui s’appelle le BIC (Bénéfices Industriels et Commerciaux). Tous ceux qui ont fait comme moi ont fait l’objet d’une vérification de comptabilité quatre ans après. Le moment venu, on m’a dit que mes activités ne correspondaient pas au BIC mais au BNC (Bénéfices Non Commerciaux). C’est comme ça que tout a commencé, puisque cette situation m’a apporté d’énormes problèmes financiers alors que je n’avais pas un rond de côté. Au fur et à mesure que les années passaient, ces problèmes n’ont fait que s’alourdir. Je me suis retrouvée au pied du mur.
Vous recevez souvent, chez vous ?
Souvent, non. Mais ma situation n’est pas un frein : en habitant au sixième étage, si l’on commence à refuser de sortir pour le pas affronter les escaliers ou de recevoir parce que l’appartement complique la chose, on ne fait plus rien. C’est comme refuser de boire du vin parce que la bouteille est à la cave. Et il est hors de question de se priver de pinard.
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