Arrivés il y a un an, des exilés se sont installés en Île-de-France. Des déracinés, partis sans rien, qui vivent la guerre en direct via les réseaux sociaux. En majorité des femmes avec enfants qui ne connaissent pas le français et vivent avec quelques centaines d’euros par mois. La solidarité atténue leur traumatisme et leur quotidien.
C’était au petit matin, le 24 février 2022, nous découvrions sur nos écrans, une guerre en direct à quelques heures de Paris. La Russie envahissait l’Ukraine. Un an plus tard, le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés, (UNHCR) recense plus de sept millions de déplacés. La majorité d’entre eux s'est exilée à l’ouest. En France, ils sont plus de 106 000, dix fois plus en Allemagne, avec un million.
Arrivés Gare de l’Est à Paris, un matin ou un peu plus tard en voiture, les réfugiés Ukrainiens qui sont en France se sont arrêtés là par hasard. Sans savoir qu’ils viendraient chez nous. Une opportunité de loger quelque part, ou un accueil d’urgence, les a fait rester.
Mettre à l’abri leurs enfants, c’est le moteur de leur exode. "En attendant", car le retour est dans toutes les têtes, comme un objectif commun qui les rassemble et les fait "tenir".
Leur patrie est profondément ancrée en eux. Comme pour ne pas oublier leur vie d’avant, ils ont été nombreux, lorsque nous les avons rencontrés, à nous dire spontanément : "Vous savez, c’est un très beau pays, nous y vivions très bien." Mais derrière cette phrase, leur quotidien n'est pas simple.
Le barrage de la langue
Dans cette vie chahutée, la double peine, c’est de ne pas parler la langue. Impossible de verbaliser leur traumatisme. Communiquer est au quotidien compliqué. Car ils ont souvent appris le russe à l’école. La seconde langue enseignée est plutôt l’allemand ou l’anglais.
Certains ont réussi à intégrer les cours du soir proposés par les communes. Au départ, ces sessions ont été 100 % ukrainiennes, mais aujourd’hui d’autres allophones partagent l’apprentissage du français avec eux. "Il y a des sons qui pour nous sont les mêmes mais pour vous en français il y a plusieurs écritures", nous confie Svitlana, réfugiée avec sa famille dans un appartement à Chevilly-Larue.
"Les personnes qui viennent des pays de l’Est, attendent de maîtriser et de construire parfaitement l’ensemble d’une phrase avant de la prononcer et de s’exprimer", explique Dominique Bonvart, formatrice rencontrée à Chatillon, et à Chevilly-Larue. Pour eux, "la France symbolise la culture avec un grand C."
Le déclassement professionnel
Sur le papier, tout était facile : les Ukrainiens obtiennent facilement le statut de protection temporaire et peuvent tout de suite travailler en France, une exception. Nous avons rencontré des femmes, infirmières, coiffeuses, couturières, commerciales, prêtes à reprendre une activité professionnelle, même temporaire.
"Je sais que mon métier est demandé en France, je suis coiffeuse, j’ai le droit de travailler. Mais pour compte ce que veut précisément une cliente, j'ai du mal", nous raconte Oxana, qui apprend deux fois par semaine le français dans des cours financés par la ville de Chevilly-La-Rue.
En France, la demande est forte pour ces secteurs d’activité. Mais le barrage de la langue est là : le français est un frein. Certaines acceptent d’être femmes de ménage, ce qui est vécu comme un déclassement social. Un coup supplémentaire au moral et à la confiance en soi, si nécessaire à une reconstruction. Enfin, pourquoi apprendre une langue si difficile, si c’est pour repartir dans quelques mois au pays et faire un métier qui n’est pas le nôtre.
Cours du soir, un espoir
Financés par les communes ou le département, les cours de français existent. Des associations même ont relevé le défi, comme l’association Abajad, spécialisée dans l’apprentissage de la langue française appliquée aux besoins professionnels à Châtillon dans les Hauts-de-Seine. Nous avons fait la connaissance de deux Tetiana : une émouvante retraitée hébergée Hotel à Puteaux, et une jeune couturière dans son pays.
Pendant quatre mois, avec d’autres réfugiés comme elle, elles ont fait un énorme effort pour maîtriser les premières notions de français, comme savoir se présenter, prendre un rendez-vous à l’heure exacte.
Avec une formatrice et des bénévoles, devenues pour l’occasion tutrices, ces réfugiées ont concilié travail, vie de famille et apprentissage d’une langue, le français qui les oblige, pour prononcer correctement, à faire bouger leurs visages. Et peut-être à trahir une expression qu’ils préfèrent intérioriser. Il faut vraiment un solide mental pour persévérer.
Un élan de solidarité sans précédent
Il y a quelques semaines, c’est un centième semi-remorque, rempli entre autres, de groupes électrogènes, de médicaments qui est parti depuis la mairie du 15e arrondissement. Direction l’Ukraine. Un envoi important pour fournir l’énergie si nécessaire aux hôpitaux et à l’activité économique. Car l’aide ne faiblit pas depuis le début de la guerre. La Fondation de France a recueilli 17 millions d’euros. Rien qu’en décembre, 1 million d’euros.
La semaine prochaine encore l’association Safe organisera le départ de plusieurs camions en direction de l'Ukraine. Cette association, créée il y a 30 ans, et animée par Jacques Duplessy et sa sœur, travaille avec Electriciens de France. Ce sont eux qui permettent l’envoi des groupes électrogènes et pas seulement dans les convois. "Nous allons encore continuer à envoyer des camions la semaine prochaine. Nous avons réactivé une association créée il y a trente ans avec la sœur. Nous avons réactivé notre réseau de contacts, et sommes allés là-bas", explique-t-il.
De son côté, la protection civile a investi une mission, qui n’était jusqu’ici pas la sienne : acheminer les collectes de vêtements, de denrées et autres, collectées par toutes les mairies de France. Sur place, ils suivent l’acheminement, la répartition des dons. Ils collaborent notamment avec les O.N.G. locales.
Isolés mais en sécurité
Aujourd’hui, les plus chanceux vivent dans des appartements prêtés par les communes, d'autres sont à l’hôtel. L’élan de générosité des Français a conduit certains à les accueillir chez eux. "Nous sommes très reconnaissants vis-à-vis du peuple français. Des gens qui ne nous connaissaient même pas ont fait de nombreuses choses gratuitement pour nous", nous dit encore Svitlana, belle blonde qui travaillait dans le commerce de vêtements dans son pays.
Mais ailleurs, l’aide s’est essoufflée : communication difficile par méconnaissance de l’Ukrainien et du français. Et puis, il y a le traumatisme invisible et inconsolable de ces hommes et femmes qui sont partis dans l’urgence. Comment le comprendre, pour mieux les accueillir et les aider à rebondir. Comment comprendre cette forte volonté de vouloir rentrer chez eux. Du coup, tout n’a pas été facile dans ces cohabitations.
Vivre avec 400 euros
L’État accorde à ces exilés, l’allocation de demandeurs d’asile. Pour une personne seule,206 euros, si elle est logée. 426 euros, si elle n’a pas de logement. Des sommes qui sont majorées en fonction du nombre d’enfants.
Les réfugiés Ukrainiens n’ont pas droit au RSA. Mais exceptionnellement, ils peuvent avoir légalement une activité professionnelle dès leur arrivée. Si ce n'est pas le cas, comment vivre avec 200 euros en Île-de-France. À Chevilly-Larue par exemple, le secours populaire, aidé par la ville distribue gratuitement une aide alimentaire deux fois par semaine aux réfugiés Ukrainiens.
Mais difficile pour d'autres communes d’expliquer à certains de leurs concitoyens, pourquoi la ville a su trouver en quelques jours des appartements, a voté des subventions pour les aider, alors qu’eux, habitants, n’obtiennent pas de logement social depuis plusieurs années.
La maison virtuelle à la Cité universitaire
À la Cité internationale universitaire, au lendemain de la guerre, les étudiants on fait preuve de solidarité. Sous le restaurant universitaire, ils ont investi une salle, devenue un Save point. Un espace d’accueil pour tous les réfugiés, quel que soit l'âge. Tous les jours pendant un an, se sont retrouvés les aidants et les aidés.
Les uns ont collecté les vêtements les produits de première nécessité. Les autres ont reçu de la chaleur, du réconfort, de l’écoute de l’entraide, et bien sûr tout ce dont ils manquaient ou presque. Un lieu pour partager son histoire et organiser la solidarité.
Aujourd’hui encore, l’entraide se poursuit et la Cité universitaire a besoin de dons. Un professeur d’université à Paris, Bertrand Cosson est devenu directeur d’une maison virtuelle, celle de l’Ukraine qui n’existait pas à la Cité internationale de Paris. La mobilisation s’est amplifiée. Entreprises collectivités pouvoirs publics et particuliers ont offert leur contribution : c’est un total de 500 000 euros qui a été récolté. Aujourd’hui en attendant que les étudiants réfugiés bénéficient des aides d’État, les bourses, les aides du CROUS, cette somme est utilisée.
Pour tous, le traumatisme est grand. Alors, à la cité, psychologues et assistantes sociales apportent leur concours. Écouter, orienter aussi, dans les méandres de l’administration française, des dossiers à remplir.
Et si la Maison de l’Ukraine n’existe pas, ce sont toutes les maisons de la Cité universitaire qui accueillent des Ukrainiens. Des artistes, des étudiants qui ont leur tour font vivre le "sage point", sous le restaurant universitaire. Des rencontres culturelles régulièrement permettent d’expliquer, de témoigner grâce à des bénévoles qui sont allés sur place de la vie au pays.
La guerre a commencé en 2014
Les Ukrainiens ne découvrent pas la résistance contre la Russie. Pour eux, la guerre avec Poutine a commencé le 18 février 2014 avec la "Révolution de la dignité". Ces affrontements meurtriers entre manifestants et forces de l’État ont éclaté dans la capitale Kiev et ont abouti à la destitution par le parlement du Président élu. Depuis, les Ukrainiens savent qu’ils devront se battre pour leur indépendance et leur liberté. Ce ne sont pas, a contrario de beaucoup de réfugiés politiques qui fuient le régime de leur pays, des opposants au pouvoir en place.
Cette conscience politique les fait tenir. Et même si la vie est compliquée, ils sont toujours nombreux tous les samedis, place de la République à Paris à se réunir. « Nous voulons montrer aux parisiens que nous vivons parmi eux. Nous ne voulons pas qu’on nous oublie », nous ont expliqué des manifestants. Et de poursuivre : « Nous avons besoin d’armes pour gagner la guerre, nous serons dans l’Europe un jour. Il y aura un après Poutine. »