Le procès de l'incendie de la rue Erlanger continue au Palais de justice de Paris. Ce vendredi, les pompiers qui sont intervenus la nuit du drame, entre le 4 et le 5 février 2019, témoignaient avec émotion sur ce sinistre hors norme. Sept personnes sont mortes asphyxiées par les fumées et trois après avoir chuté ou sauté par leur fenêtre
En uniforme militaire à la barre, son képi posé devant lui, le lieutenant-colonel Xavier Guesdon plante d'emblée le décor: "Nous avons eu affaire à une intervention vraiment hors norme. Un sinistre d'une violence extrême. Ça n'arrive qu'une fois dans la vie". Cette nuit-là, il est à la tête des opérations lorsque le feu se propage au 17 bis, rue Erlanger dans le XVIe arrondissement de la capitale.
Six minutes après le premier appel passé à 00h36, les pompiers arrivent sur place. La configuration des lieux ne permettant pas d'utiliser d'échelle mécanique (ou grande échelle), les pompiers se rabattent sur des échelles à coulisse et de périlleuses échelles à crochets, qui permettent de progresser en façade par l'extérieur, d'étage en étage.
"Un piège, une souricière", selon les mots du lieutenant-colonel. En effet, l'intensité des flammes empêche d'aller au-delà du deuxième étage. Un ex-collègue témoigne que la chaleur faisait fondre les "cagoules d'évacuation", que les pompiers utilisent pour partager leur oxygène avec les personnes secourues. Des renforts arrivent progressivement. Au plus fort de l'intervention, 312 sapeurs-pompiers sont mobilisés.
Dans l'immeuble, beaucoup de matériaux conductibles
Dans cet immeuble des années 1930, "rien n'était fait pour faciliter les secours", souligne Xavier Guesdon. "Un couloir de 18 mètres très étroit" pour accéder à la cour intérieure, un "escalier (qui) n'était pas encloisonné", à côté de la cage d'ascenseur grillagée, laissant circuler les fumées et les gaz de combustion, énumère le gradé qui a 32 ans d'expérience chez les soldats du feu. "De la moquette sur le mur, ça n'aide pas. Des faux plafonds avec des gaines électriques (non cloisonnées) : il n'y a rien de mieux pour propager un sinistre", poursuit-il.
L'intérieur étant vite devenu impraticable, les pompiers effectuent de nombreux sauvetages de personnes à leur fenêtre ou montées sur le toit, "au prix de risques importants", souligne Xavier Guesdon.
"On n'en dort pas la nuit"
"Il était impossible de sauver tout le monde", a-t-il expliqué au cinquième jour du procès. Quatre ans après, les pompiers qui sont intervenus cette nuit-là sont encore très marqués. "Ce sont deux heures où on envoie des hommes presque à la mort", a poursuivi Xavier Guesdon.
Plus tard, il explique que le bilan aurait pu être bien plus lourd, entre 30 et 40 victimes supplémentaires, comme le rapporte Aude Blacher, journaliste à France 3 Paris Île-de-France. "On a beaucoup de regrets, même si on ne pouvait pas faire mieux. On n'en dort pas la nuit", conclut-il. Le soir de l'incendie, les sapeurs-pompiers ont sauvé 64 personnes.
Un incendie de nature criminelle
L'incendiaire présumée, Essia Boularès, 44 ans, a reconnu avoir mis le feu au deuxième étage de son immeuble après un différend avec son voisin, également pompier à l'époque des faits. Atteinte de troubles psychiatriques, elle encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Mercredi dernier, les experts incendie ont expliqué comment le feu a gagné en quelques minutes les huit étages de cet immeuble du XVIe arrondissement. "L'immeuble était aux normes, mais pas celles d'aujourd'hui qui sont beaucoup plus contraignantes que celles de jadis", a résumé un enquêteur. Rien n'oblige légalement les propriétaires à actualiser les normes anti-incendie tant qu'ils n'entreprennent pas dans leur immeuble des "travaux structurants" exigeant un permis de construire, a rappelé l'expert de la police. Les experts ont également relevé qu'il n'y avait pas de trace de détecteurs de fumée dans 30 des appartements dégradés par l'incendie mais la réglementation anti-incendie date de 1986 et ne s'impose qu'aux constructions bâties à partir de cette époque.
Avec Aude Blacher et AFP