Des extraits sonores de l’attaque au Bataclan ainsi qu’une série de photos ont été diffusés ce vendredi dans la salle d’audience. Une nécessité pour "rappeler le côté complètement horrible et inhumain" des attentats, d’après le président de l’association Life for Paris.
Dans la salle de retransmission dédiée à la presse, les journalistes sont encadrés par de nombreux gendarmes. La consigne, rappelée plusieurs fois : les téléphones et les appareils de captation doivent être éteints, et quiconque surpris en train d’enregistrer ou de photographier les écrans sera escorté à la sortie de la pièce. Des mesures de vigilance mises en place pour éviter d’éventuelles fuites.
Dès le début de l’audience, Jean-Louis Périès, le président de la cour d'assises spéciale, prévient le public de la présentation imminente des contenus sensibles, afin que les personnes qui ne souhaitent pas y assister puissent prendre leurs dispositions. Le web radio dédiée aux parties civiles est coupée pour les enregistrements sonores. "C’est important qu’il n’y ait pas de diffusion à l'extérieur de cette salle d’audience", souligne aussi le juge, en rappelant que la captation relève d’une infraction pénale.
Après un long silence, sont diffusés trois passages sonores tirés d'un dictaphone resté allumé dans le Bataclan. Le premier extrait de deux minutes, qui avait déjà été partiellement présenté en septembre dernier par un enquêteur, se situe au début de l’attaque par les trois terroristes. On entend d’abord la musique du concert des Eagles of Death Metal. Puis les premières rafales sèment le chaos. Les coups de feu s’enchaînent. Entre deux séries de tirs, on entend les hurlements et les pleurs des spectateurs. Puis les coups de feu, plus irréguliers, continuent pendant de longues secondes.
"Lève les bras, lève les bras"
Le deuxième passage, plus court, se situe lors de la prise d’otages. On entend la détresse d’un otage qui crie aux policiers de la BRI, placés de l’autre côté d’une porte : "N’ouvrez pas, sinon ils font tout péter !". Le troisième et dernier extrait est plus long. Pendant six minutes, on écoute l’assaut final de la BRI pour libérer les otages. On entend un mélange confus de cris, de grenades assourdissantes et de coups de feu. Lors de l’assaut, le terroriste Foued Mohamed Aggad déclenche son gilet explosif. "Lève les bras, lève les bras", "allez allez, on avance"... On entend enfin les consignes des forces de l’ordre données aux otages, dans un contexte d'extrême tension.
La cour fait ensuite baisser l’intensité de la lumière pour diffuser une trentaine de photos prises par la police scientifique après l’attaque, au cours de laquelle 90 victimes ont perdu la vie. Sur un immense écran situé derrière Jean-Louis Périès, on voit d’abord les dégâts sur le trottoir devant le Bataclan, avec l’écriteau qui annonce le concert des Eagles of Death Metal. Les clichés défilent rapidement. On entre dans le hall, puis la zone la plus macabre : la fosse, où l’on voit de nombreux cadavres étalés sur le sol.
Les photos sélectionnées sont toutefois des plans larges, et la salle de concert est plongée dans l’obscurité. Mais les traces de sang sont omniprésentes. Sur la scène, on aperçoit les instruments de musique du groupe. A l’étage, on observe des morceaux de chair sur le mur situé près de l’escalier où le terroriste s’est fait exploser. Une partie de son cadavre apparaît à l’image. Là encore, les lieux sont couverts de sang. Suite à la projection, le président suspend aussitôt l’audience.
"20 minutes éprouvantes mais nécessaires"
Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan et président de Life for Paris, réagit en évoquant "20 minutes éprouvantes mais nécessaires". C’est cette association de victimes qui a demandé de diffuser les photos et les enregistrements. "Le président et la cour ont fait un choix qui me paraît très judicieux : mettre très bas le son pour le premier extrait avec les rafales. Si vous tendez l'oreille, vous entendez l'horreur des cris et le désarroi de gens qui se font tirer dans le dos, dans le noir. Vous entendez ensuite la peur dans la voix de l'otage. Et puis à la fin, vous entendez aussi que la force est restée à la loi : les preneurs d'otages se sont fait tuer."
"On a compris qu'il n'y avait aucune volonté ni de voyeurisme, ni de choquer au-delà de la dure réalité des faits, estime Arthur Dénouveaux. Il n'y avait pas besoin d'avoir de diffusions pendant plusieurs heures. Ça a duré une vingtaine de minutes, ça suffit pour rappeler le côté complètement horrible et inhumain du 13-Novembre. Avec ça, on est capable de mieux juger. C'est quand même ce qu'on est venu faire pendant presque 10 mois." A noter que la décision de diffuser les contenus a été annoncée la veille par la cour. Le sujet divisait les parties civiles.
L’audience reprend ensuite avec l’interrogatoire de Yassine Atar, à propos des préparatifs deux jours avant les attentats, le 11 novembre 2015. "C'est difficile de prendre la parole avec l'émotion qui est la mienne, qui est la nôtre et qui est celle de mon client", déclare Me Raphaël Kempf, l'un de ses avocats. La voix tremblante, l’accusé prend ensuite la parole pour clamer son innocence, qualifiant les contenus diffusés de "choquants" et "glaçants". "Je veux que tout le monde comprenne que je n'ai rien à voir avec cette barbarie", affirme-t-il. Puis vient l’interrogatoire d’Ali El Haddad Asufi, avant la suspension de l’audience.