Chez soi, dans les transports, au cinéma… Comment lutter contre la recrudescence des punaises de lit ? Derrière un "battage médiatique", Jean-Michel Bérenger, spécialiste de ces parasites, alerte sur un "vrai problème de santé publique".
"Même dans le TGV y’a des punaises purée", se plaint une voyageuse qui raconte avoir emprunté un train Paris-Lille, vidéo à l’appui. Dans un autre message publié sur X (ex-Twitter), qui date également de la semaine dernière, une seconde voyageuse s’interroge aussi sur la présence de ces insectes dans un TGV, gare de l’Est.
Ces images, partagées plusieurs milliers de fois sur le réseau social, viennent s’ajouter à plusieurs cas récents de personnes pointant du doigt des cas d’infestations dans des cinémas parisiens, notamment l’UGC-Bercy Village. Alors qu’UGC affirme mettre en place des contrôles, des traitements et des procédures de détection canine, MK2 indique de son côté avoir un budget de 100 000 euros par an dédié à la lutte contre les punaises de lit.
Ces insectes, qui se nourrissent de sang humain, font la taille d’un pépin de pomme. Elles se cachent dans l’obscurité, souvent dans les matelas et les sommiers. "Toutes les grandes villes sont concernées, dès qu’il y a un brassage de population", explique l’entomologiste Jean-Michel Bérenger, co-fondateur de l’Institut National d’Etude et de Lutte contre la Punaise de lit (Inelp).
"Les cinémas, les trains… Ces cas existent depuis longtemps. Le battage médiatique et les réseaux sociaux amplifient le phénomène, il y a une psychose sur cet aspect, c’est sûr. C’est la première année où des gens qui n’ont pas été piqués et qui n’ont même pas vu de punaises m’appellent juste pour être rassurés", raconte ce spécialiste.
"Mais c’est vrai que les punaises de lit ne prennent pas de repos. Il y a eu une coupure avec le Covid quand on ne sortait plus de chez nous, et depuis ça explose, on ne voit pas de plateau. L’activité touristique joue beaucoup", reconnaît-il.
"Quand on sait que des insectes vont sucer notre sang quand on dort, c’est insupportable"
"Disparue de la vie quotidienne dans les années 1950, la punaise de lit a fait son retour dans de nombreux pays développés depuis les années 1990. La recrudescence des infestations (...) s’explique en partie par l’évolution de nos modes de vie de plus en plus nomades, par nos modes de consommation favorisant l’achat de seconde main et par la résistance croissante développée par les populations de punaises aux insecticides", retrace un rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
"Ce sont des parasites qui ne volent pas et qui ne sautent pas. Ce sont les êtres humains qui leur permettent de se déplacer et de s’installer", souligne Jean-Michel Bérenger. Selon un sondage Ipsos réalisé en juillet pour un groupe de travail mis en place par l’Anses, les punaises de lit ont infesté environ un foyer sur dix en France ces cinq dernières années. Un "fléau" sanitaire, selon l’agence, et face auquel "la population et les collectivités locales restent désarmées".
Faire face à une infestation peut se révéler particulièrement difficile. Troubles du sommeil, impacts sur la santé mentale… "Les piqûres ne font pas mal, mais certains font des réactions très fortes. Et au niveau psychologique, beaucoup de personnes font des angoisses et développent une hypervigilance. Le lit est un endroit où l’on est censé être à l'abri. On se sent vulnérable quand on sait que des insectes vont sucer notre sang quand on dort, c’est insupportable. C’est un vrai problème de santé publique", indique Jean-Michel Bérenger.
"Mais ça ne transmet pas de maladie par les piqûres, il n’y a jamais eu d'épidémie. Malgré tout, une surveillance est en place, avec des analyses régulières", ajoute l’entomologiste.
"Il faut agir le plus vite possible, c’est comme un incendie"
Se débarrasser des parasites peut coûter cher : 866 euros en moyenne par an et par ménage selon l’Anses. D’autant que "les punaises de lit peuvent survivre plusieurs mois sans se nourrir", précise Jean-Michel Bérenger. Les femelles pondent 5 à 7 œufs par jour, selon l’Agence Régionale de Santé (ARS) Île-de-France.
Si l’on a des doutes chez soi, plusieurs indices peuvent être utiles. Sur son site, l’ARS conseille d’examiner les piqûres (3 à 5 "parfois alignées sur les parties découvertes du corps", et des nouvelles "chaque matin au réveil") et d’inspecter "les recoins des pièces où les gens dorment" (où les insectes, qui fuient la lumière, peuvent se cacher) : les plinthes, le papier peint décollé, les cadres, les oreillers, les rideaux, les meubles, le matelas, les lattes de plancher ou encore le linge. Il est également possible de trouver "des traces de déjections noires et/ou des traces de sang sur les draps".
Une fois l’infestation confirmée, il est recommandé d’éviter les insecticides dans un premier temps. L’ARS conseille un nettoyage minutieux avec un aspirateur, ainsi qu’un appareil à chaleur sèche ou un nettoyeur à vapeur, accessibles en location. Calfeutrer les fissures, transporter le linge dans des sacs-poubelles et le laver en machine à 60°C, congeler les objets pendant 72h à -20°C… Une importante préparation est nécessaire.
Mais si le problème persiste, l’établissement public recommande alors de faire appel à une entreprise spécialisée, avec au moins deux passages pour permettre à l’insecticide "d’agir sur les jeunes punaises après éclosion des œufs". Quant à la prévention, l’ARS conseille de "bien entretenir son logement et de ne pas l’encombrer d’objets inutiles" qui favorisent les cachettes potentielles, d’éviter "la literie trouvée dans la rue ou en brocante" et de nettoyer les meubles à la chaleur sèche, mais aussi de bien vérifier ses bagages et de "ne pas les poser sur les lits ou fauteuils".
On peut s’en sortir même si les punaises peuvent revenir… Ce n’est pas quelque chose de fatal
Jean-Michel Bérenger, entomologiste et spécialiste des punaises de lit
A noter enfin qu’en cas d’infestation, l’ARS conseille de prévenir le bailleur, le propriétaire ou le syndic pour éviter une prolifération. "Il faut agir le plus vite possible, c’est comme un incendie. Il ne faut pas avoir peur d’en parler, et ne pas croire que le phénomène est lié à la saleté, parfois les gens ont honte. On peut s’en sortir chez soi-même si les punaises peuvent revenir, et il faut bien qu’on vive, on ne peut pas s’empêcher de prendre les transports en commun. Ce n’est pas quelque chose de fatal", rassure Jean-Michel Bérenger.
"La priorité, c’est lutter contre les foyers de dispersion"
L’an dernier, le gouvernement a présenté un plan pour notamment renforcer la sensibilisation. Et en début d’année, l’Etat a lancé une plateforme en ligne (actuellement en test dans les Bouches-du-Rhône et le Rhône) qui permet d’être mis en relation avec des professionnels. Le site rappelle d’ailleurs que "d'après la loi, le propriétaire du logement doit payer la désinfestation".
A Paris, les élus du groupe MoDem, Démocrates et Écologistes demandent "la mise en place d’une campagne de sensibilisation". Contactée, l’ARS Île-de-France précise que son travail consiste aujourd’hui à informer le grand public et les établissements sanitaires et médico-sociaux, qu’elle "appuie en cas de besoin". Mais l’agence précise que "pour les autres lieux", "ce sont les gestionnaires des établissements recevant du public (ERP), les propriétaires ou les locataires qui gèrent les infestations".
"L’information c’est bien, mais la priorité, c’est lutter contre les foyers de dispersion, estime de son côté Jean-Michel Bérenger. Certaines personnes en situation de précarité, avec des problèmes psychologiques, peuvent laisser traîner l’infestation et se retrouver avec des milliers de punaises de lit. Il faut donner des moyens aux associations qui aident ces personnes."
Dans son rapport, l’Anses appelle, elle, à mettre en place "un système de déclaration obligatoire" et "un accompagnement à destination des particuliers", avec "une prise en charge financière pour les ménages à faibles ressources".