La Cité de l'architecture et du patrimoine présente une exposition consacrée à l'histoire des grands magasins nés pour la plupart à Paris au 19e siècle. Elle permet aux visiteurs de s'immerger dans leurs univers singuliers.
Il faut sans doute d'abord lire ou relire " Au bonheur des Dames " d''Emile Zola, pour saisir toute la fascination qu'ont pu exercer sur leurs clientèles ces cathédrales du commerce sous le second empire. L’ouvrage de Zola paru en 1883 est d’ailleurs présenté dans cette exposition où sont exposées 500 œuvres. Des dessins, des peintures, du mobilier des maquettes témoignent de l'évolution architecturale et patrimoniale des grands magasins de 1850 à nos jours.
Le grand magasin, "Au bonheur des Dames", situé par Emile Zola sur la place Gaillon dans le 2e arrondissement est une fiction, mais pour lui donner vie, l'auteur "s'est en particulier inspiré du Bon Marché - crée en 1850 - et du Grand magasin du Louvre (1855)", explique Elvira Férault, attachée de conservation, commissaire de l'exposition au palais de Chaillot.
"Émile Zola va aussi contacter des architectes, et en particulier Franck Jourdain qui est l'architecte de la Samaritaine crée en 1865. Il va s'inspirer de la figure de l'entrepreneur. Celle d'Aristide Boucicaut, le fondateur du Bon marché pour imaginer son personnage principal."
C'est dans cette dernière moitié du 19e siècle que se déroule l'âge d'or de ces grands magasins, accompagné par la révolution industrielle, d'une population urbaine qui croît considérablement, et dans un Paris profondément remanié par les travaux du Baron Haussmann.
Accueillir comme au spectacle
Des rotondes d'angles, de vastes dômes, des escaliers majestueux aux ferronneries ouvragés, des halls monumentaux pour accueillir comme au spectacle une clientèle en majorité féminine, les grands magasins sont d'abord spectaculaires. Inondés de lumière, ils sont construits pour éblouir.
"L'utilisation du fer et du verre est alors extrêmement employée. Ça permet de laisser vide de très vastes plateaux pour avoir le plus d'espace de vente, de laisser entrer la lumière du jour. C'est aussi pour ça qu'il y a des coupoles pour éclairer la marchandise et la rendre très attrayante", détaille Elvira Férault.
"Grâce également à l'emploi de verres plats qui permet la fabrication de vitrines de plus en plus importantes. L’objectif du grand magasin, c'est de stocker de plus en plus de marchandises et d'accueillir le flux de visiteurs de clients et de clientes", ajoute-t-elle.
À la fin du 19e siècle, ce modèle architectural du grand magasin se répand dans toutes les capitales occidentales mais aussi en Égypte, au Mexique, à Sofia, à Casablanca, à Copenhague ou encore à New York.
En 1889, l'Ecole des Beaux-arts de Paris en fait un sujet de concours. "Les élèves architectes planchent et conçoivent des architectures qui sont déjà quasiment codifiées avec un certain nombre de caractéristiques qu'on va retrouver systématiquement dès les années 1870-90."
Place à la lumière artificielle
À partir de 1930, les enseignes se tournent vers une clientèle plus modeste et proposent, par le biais de magasins à prix uniques, des articles à bas coûts. Après la seconde guerre mondiale, le modèle du grand magasin américain va s'imposer.
L'organisation intérieure des établissements est repensée pour être plus rentable. L'architecture se discipline, s'uniformise. L'introduction de l'escalator redistribue les espaces. La clientèle devient un sujet d'étude économique et sociologique.
Cest le début du marketing
Elvira Férault, commissaire de l'exposition
"On supprime les halls monumentaux très théâtralisés qui ne sont pas du tout efficaces en termes de rendement et aussi les escaliers monumentaux qui ne desservaient que le premier voire le deuxième étage. On clôture les façades", relate la commissaire de l'exposition. "L'éclairage intérieur devient artificiel et contrôlé. Ça permet aux clients et aux clients de perdre un peu la notion du temps, de mettre l'accent sur les marchandises".
Les grands magasins doivent composer avec l'offre de grands centres commerciaux en périphérie des villes. Il faut capter une consommation de masse. Pour rester attractif, les grands magasins organisent de grandes expositions, des défilés de mode et ouvrent leurs rayons à une clientèle plus jeune. C’est après-guerre l'introduction du prêt à porter.
Se réinventer sans cesse
Dans les années 70, bousculées par les crises pétrolières et financières, certaines enseignes à Paris ne résisteront pas. La Belle Jardinière ferme ses portes définitivement en 1972, les grands magasins du Louvre en 1974.
Au début des années 90, une nouvelle forme de commerce apparaît et va bousculer les modes d'achats. L'e commerce va progressivement modifier la relation qu'entretenaient jusqu’à présent le grand magasin et sa clientèle. On ne se déplace plus systématiquement pour acheter.
"Les grands magasins vont alors chercher progressivement à se distinguer les uns les autres, à revenir à leur identité architecturale originelle. Ils vont, pour ce qui est des vaisseaux amiraux, avoir une politique de restauration extrêmement importante, pour remettre en valeur leurs architectures qui deviennent des véritables valeurs commerciales", explique Elvira Férault.
Les grands magasins renouent avec leur identité. Façades et décors sont réhabilités. À l'exemple du grand magasin La Samaritaine Paris Pont-Neuf réouvert en 2021 après 16 ans de travaux.
Il faut donner envie aux clients de se déplacer dans le grand magasin pour y vivre une expérience singulière. On peut y déjeuner, se faire coiffer, assister à des défilés de mode, voir des expositions...
"Aujourd'hui, la valeur touristique pour les grands magasins parisiens n'est absolument pas remise en question. Ce sont des mastodontes qui ne cessent de se réinventer et ils ont vraiment une capacité de résilience assez étonnante. Ils continuent à avoir une volonté d'expansion", conclut la commissaire de l'exposition.
Une exposition à voir à La Cité de l'architecture et du patrimoine à Paris jusqu'en avril 2026.