Chaque jour, depuis 30 ans, des agents de la RATP arpentent les quais du métro et du RER pour venir en aide aux sans-abri et leur proposer d'être accompagnés dans des structures d'accueil.
"Je vais dormir là, sur une marche d'escalier. J'ai une couverture. Le bruit, ça ne me gêne pas. Quand on est bien fatigué, rien ne nous dérange !" Murielle, 59 ans, a l'habitude "de naviguer" dit-elle, entre la gare d'Austerlitz et Châtelet.
Il est 21 heures à Nation sur le quai du RER A. Murielle, assise face au quai, a pris sa décision. Elle compte passer la nuit ici. À moins que la maraude du Recueil social n'arrive à la convaincre de rejoindre le bus. Un véhicule affrété par la RATP qui stationne pour l'instant sur la place de la Nation et qui pourra l'emmener à Nanterre. Au CHAPSA, au centre d'hébergement et d'assistance aux personnes sans-abri.
Convaincre Murielle de rejoindre le bus, c’est la mission de ce soir d'Oliver et Moutaa, agents du Recueil social et en maraude ce soir jusqu'à 22h15. "Murielle, on la connaît depuis longtemps, elle est suivie depuis par mal d'année", explique Olivier Bocage depuis 3 ans au Recueil. "Je pense qu'elle a dû faire un burn-out quand elle travaillait. On ne peut pas la forcer à venir avec nous. Il a des périodes où elle va venir et des périodes où elle préfère sa liberté."
"On ne force personne à nous suivre"
Murielle rejoindra peut-être le bus du Recueil social plus tard, mais pour l'heure, les deux agents poursuivent leur tournée dans le métro. Avec bienveillance, ils interpellent par leurs prénoms des sans-abri, seuls ou en groupe, blottis dans des sacs de couchage reposant à même le sol. "On ne force personne à nous suivre", souligne Moutaa Bouchenak, agent au Recueil social depuis 6 ans.
"On essaye de batailler à notre échelle, de les emmener pour qu'ils aillent dormir au chaud, prendre une douche ou manger un morceau avec nous dans le bus", explique Johanne Rosier, responsable du Recueil social depuis cinq ans.
Voilà 30 ans que le Recueil social œuvre en faveur de ces sans-abri réfugiés dans les couloirs du métro. Le dispositif est animé aujourd’hui par une soixantaine de personnes. Des agents de la RATP tous volontaires : des anciens machinistes, des receveurs, des ex-agents de sûreté... Le Recueil social tourne 24 heures sur 24 sur 5 horaires différents et sur l'ensemble du réseau exploité par la RATP.
On leur demande s'ils sont volontaires. On leur dit qu'ils peuvent compter nous, sur l'équipe.
Moutaa Bouchenak, agent au Recueil social
"Le Recueil social est né d'une proposition d'un médecin - Patrick Henri - du CHAPSA de Nanterre qui au auparavant était aux mains de la pénitentiaire et qui est passé ensuite dans le social", explique Johanne Rosier, responsable du Recueil social depuis cinq ans.
"En 1994, la loi a changé. Le vagabondage et l'errance ne sont plus des délits mais deviennent une question de société. C'est à ce moment-là que naissent le Samu social fondé par Henri Emanuelli et le Recueil social par deux médecins copains du CHAPSA", commente-t-elle.
De plus en plus de jeunes, des travailleurs pauvres
Il est 21 heures trente, place de la Nation. À l'arrière du bus, Jérome, 35 ans, patiente dans le véhicule où il a pris le temps de boire un café, plaisanter avec le conducteur du véhicule qui le conduira, une fois le bus plein, à Nanterre. "J'irai ! J’ai mon paquetage", s'exclame-t-il.
Ce soir, la température est passée sous les 10 degrés, alors Jérôme est d'abord descendu dans le métro. Arrivé, il y a peu de Normandie, c’est la première fois qu'il monte à bord du bus. "Je comptais rester dans le métro jusqu’à 1 heure 45 (...) quand il ne pleut pas, je me couche sur mon matelas avec mon duvet et ma couette rue de la Roquette et j'essaie de dormir. Mais s’il pleut, je vais dans le lavomatique à côté", explique-t-il.
Jérôme n’est pas encore une figure connue des agents du Recueil social. "Depuis quelques années, Il y a beaucoup de profils improbables qu'on ne rencontrait pas jusque-là", constate Moutaa.
"On rencontre des moins de 25 ans, des jeunes sans ressources en errance qui sont dans un parcours de vie très compliquée. Il y a aussi énormément de travailleurs pauvres en situation régulière ou irrégulière. On voit des beaucoup de personnes très âgées qui sont très abîmées par la vie", détaille Johanne Rosier, la responsable du Receuil.
Chaque jour, en moyenne, les agents du Recueil Social visitent 60 stations et rencontrent une centaine de personnes (données 2021). En 2023, plus de 24 000 accompagnements ont ainsi été réalisés.
Il est presque 22 heures, Murielle se décide finalement à rejoindre le bus stationné place de la Nation. Elle ne rejoindra pas l'hébergement d'urgence mais elle ira se réchauffer un moment dans le véhicule, au milieu de ces compagnons d'infortune. C'est presque devenu une habitude quand elle aperçoit les uniformes marron des agents du Recueil qu'elle connaît bien. "Quand ils arrivent, je vais prendre au moins un café."