Peint il y a près de 40 ans, le rideau de scène de la Comédie-Française a été réinstallé ce mardi après trois ans d'absence. Récit de cette opération d'envergure qui aura duré deux jours.
Petit à petit, la scène de la salle Richelieu s'habille... à mesure que la grande toile rouge rejoint son emplacement originel.
Ce mardi, à la Comédie-Française, on attendait un petit peu le retour du rideau de scène comme on patiente pour l'arrivée de la mariée. Il faut dire que l'immense toile de lin de près de treize mètres sur onze n'est pas un rideau comme les autres. C'est avant tout une œuvre d'art, peinte par l'artiste Olivier Debré sur commande du ministère de la Culture.
Mais voilà, 36 ans après sa première installation, en 1987, la poussière et les déformations ont elles aussi fait leur œuvre, au fil des levées et descentes de rideau. Ces mouvements répétés "ont exercé des tensions sur la matière picturale". "On a constaté une usure, à la fin de la décennie 2010 déjà, dans la partie basse du rideau. La toile était pratiquement coupée", détaille Béatrice Salmon, directrice du Centre national des arts plastiques (Cnap), responsable de la conservation de l'œuvre.
Manutention délicate
La toile peinte de rouge avait donc été décrochée en 2020, avant de passer 3 mois dans un entrepôt de la région de Tours pour retrouver son éclat d'antan. Une cure de jeunesse "au millimètre, avec de très petits pinceaux", orchestrée par Marc Philippe, spécialiste de la restauration de décors peints.
Et de retour place Colette (Ier arrondissement de Paris) en cette fin août, l'opération de remontage de l'œuvre, n'en est pas moins délicate.
Une poignée d'ouvriers s'affaire autour de ce qui ne ressemble encore qu'à un imposant rouleau. À l'intérieur de ce tube de 12 mètres de long, l'huile sur toile d'Olivier Debré, enroulée pour faciliter sa manutention.
Ce lundi, elle a d'abord été montée par une grue depuis l'extérieur jusqu'au premier étage du bâtiment, avant d'être transportée vers la scène. Avec un défi, ne toucher ni la rambarde, ni aucun autre élément de la façade, pour ne pas risquer d'endommager l'œuvre. L'opération est "assez remarquable" pour Daniel, touriste venu de Nancy, qui s'est arrêté pour prendre la mesure du moment. "C'est la Comédie-Française quand même !", s'exclame-t-il.
Pour des questions de logistique, "le rideau, plus large que haut, a été roulé sur sa partie la moins large. Ce qui fait qu'après l'avoir déroulé, il faut encore le tourner pour qu'il se présente dans le bon sens et s'insère dans le cintre [la partie qui tient le rideau, ndlr]" avant sa réinstallation, précise Aude Bodet, directrice des collections du Cnap.
Il faut ensuite mettre en place la barre qui soutiendra la toile déployée à 10 mètres de hauteur, sorte de grande tringle actionnée par un système électrique.
De l'art contemporain dans une institution séculaire
Une opération calculée au cordeau pour que la pièce métallique puisse venir se loger sur toute la longueur de la scène. À tel point qu'à l'intérieur même du théâtre national créé en 1680, quelques aménagements ont été nécessaires pour accueillir à nouveau le grand rideau. Des ouvertures ont notamment dû être réalisées dans la structure de la scène pour pouvoir y glisser la toile, sans trop la froisser.
D'autant plus que le tissu est aussi un bout d'histoire. À son installation, il avait apporté "un souffle nouveau" au plus vieux théâtre d'Europe encore en activité, raconte Aude Bodet.
L'oeuvre, commandée à l'artiste en 1986, avait été une des premières de style contemporain à investir des lieux historiques, à la suite des colonnes de Buren à deux pas de là, dans la cour d'honneur du Palais Royal. "Ça a changé le regard sur l’art contemporain. Ce rideau est un marqueur important.", insiste Béatrice Salmon, directrice du Cnap.
Budget total : un peu plus de 200 000 euros
Agathe Sanjuan, directrice de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, abonde : "Olivier Debré à souhaité reprendre, dans une version contemporaine, le rideau classique. On voit des draperies, des plis, dans une version abstraite. Il a modernisé une vision plus traditionnelle du rideau de scène".
Enveloppe totale de l'opération, un peu plus de 200.000 euros. Un budget gonflé par les coûts de transport de cette toile drapée, pris en charge par une dotation du ministère de la Culture.
15h30 ce mardi, les premiers applaudissements se font enfin entendre. Ceux des ouvriers, qui, autour de Marc Philippe, savourent le tant attendu moment du déploiement de la toile monumentale.
Pour que sa restauration se dévoile aux yeux de ses premiers spectateurs, il faudra toutefois attendre. Première levée de rideau prévue début septembre.