Se chauffer grâce aux eaux usées des toilettes, de la douche ou du lave-vaisselle ? La ville de Paris souhaite chauffer de nouveaux bâtiments publics grâce à un procédé qui exploite la chaleur des eaux usées pour la réintroduire dans les circuits de chauffage.
Près de la place du Colonel-Fabien, dans le Xe arrondissement de la capitale, une dizaine d'ouvriers en combinaison blanche, équipés de harnais de sécurité, casques de chantier, gants et bottes s'activent entre la chaussée et le sous-sol, via une plaque d'égouts. Quatre mètres et une double volée d'échelons plus bas, c'est une partie de l'avenir énergétique de la capitale et de ses 2 millions d'habitants qui se joue peut-être.
Un double échangeur thermique
Retenu pour mener le chantier et exploiter le site, pour un montant de 2 millions d'euros, le groupe Suez chargé de la distribution de l'eau et la gestion des déchets, y installe un double échangeur thermique de 60 mètres de long, un sur chaque côté du collecteur d'eau, afin de fournir 60% du chauffage de cinq bâtiments publics voisins : un collège, deux écoles, un gymnase et une piscine pour enfants.
L'entreprise a mis en place un procédé qui repose "sur un échangeur de chaleur couplé à une pompe à chaleur. Constitué d’un circuit de canalisation en boucle fermée, l’échangeur transporte une eau qui va être chauffée par la chaleur des eaux usées. Elle parvient ensuite à la pompe qui assure la transition entre le réseau d’assainissement et le circuit de chauffage. Via une démultiplication des calories, la température de l’eau est alors élevée et rendue exploitable", peut-on lire dans un communiqué de Suez.
L'échangeur thermique est une fine plaque d'un centimètre d'épaisseur qui est intégrée avec du ciment à la paroi verticale. C'est au contact de ces échangeurs que l'eau viendra "libérer ses calories, transportées jusqu'aux deux pompes à chaleur installées dans les bâtiments", explique Damien Balland, responsable innovation et performance énergétique à la Ville de Paris.
Une technologie qui peut aussi servir à fabriquer du froid, précise l'ingénieur, puisque l'eau des égouts a une température qui varie entre 13°C l'hiver et 20°C l'été, soit respectivement plus et moins que la température extérieure. Ainsi, l'exploitant "peut produire du chaud l'hiver et du frais l'été", explique Damien Balland.
Selon Suez, cette technologie "réduit les émissions de gaz à effet de serre de 50 à 70% par rapport à une solution thermique traditionnelle."
2600 km d'égouts à Paris
"La capitale se prête particulièrement à ce type de chauffage, avec son réseau souterrain de 2.600 km", souligne Cédric Reboulleau, chef du service des projets d'énergies renouvelables de la ville.
L'installation de ces plaques nécessite en effet, outre "des bâtiments à alimenter à proximité", des égouts suffisamment vastes, sans virage, et la présence d'un collecteur principal afin d'avoir "de l'eau tout le temps", liste Damien Balland.
La Ville étudie 14 autres sites pour des projets similaires. "On était dans l'expérimentation, on est dans la généralisation", résume l'adjoint à la Construction publique Jacques Baudrier. L'élu communiste rappelle les "130 millions d'euros par an pour la transition écologique du bâti" qui en font le "premier poste d'investissement" de la mairie.
Entre les ambitions environnementales voulues par Anne Hidalgo, la maire de Paris et la crise énergétique, ce système de chauffage permet une économie d'énergie "de 40% en 2030 par rapport à 2010, et 60% en 2050", souligne l'élu PCF. "On est actuellement à 7% d'économies renouvelables produites localement, on doit passer à 10% d'ici 2030", ajoute l'adjoint EELV à la Transition écologique Dan Lert.
Voté en 2018, le plan climat de la ville de Paris prévoit la neutralité carbone en 2050.
Plusieurs infrastructures de ce type en Île-de-France
Les travaux menés par Suez ne sont pas une première en Île-de-France. La ville de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) expérimente ce système depuis une décennie pour chauffer sa piscine.
A Paris, c'est même le deuxième projet de récupération de chaleur dans les égouts, la mairie du XIe et une école voisine ayant été les pionniers en 2019. Les égouts fourniraient ainsi 30% de leur consommation d'énergie depuis, selon la mairie centrale.
Autre exemple, à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, les bassins du nouveau complexe aquatique, ouvert en juin 2021, sont également chauffés par les eaux des égouts. Et c'est le concurrent direct de Suez, le groupe Véolia, qui a mis au point la technologie utilisée, Energido. Aujourd'hui, 85 % des besoins de chaleur des bassins seraient alimentés de la sorte.
D'autres technologies sont utilisées, comme à la piscine de la Butte-aux-Cailles où la chaleur dégagée par des centres de données chauffe les bassins intérieurs. Le futur centre aquatique olympique en cours de construction à Saint-Denis sera également chauffé de la sorte.
Avec AFP