"Vous pouvez être désorienté" : la "chambre sourde" de l’Ircam, complètement isolée du monde sonore

A deux pas du Centre Pompidou à Paris, l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (Ircam) abrite une "chambre anéchoïque". Dans ce cube souterrain, qui ressemble à un décor de science-fiction, plus de 99% des ondes sonores sont absorbées.

Quand on reste à l’intérieur de la salle sans parler ni bouger, le silence est presque déstabilisant. Aucun bruit, à part le sien : on n’entend que sa propre respiration et son pouls au niveau des tempes. Dans le cube, on se déplace sur une étroite passerelle en métal, fixée au-dessus du sol. Toutes les parois sont recouvertes de dizaines de prismes en laine minérale, d’environ 90 cm de long chacun.

"Ces dièdres sont faits dans un matériau absorbant, explique Brigitte d'Andrea-Novel, directrice de l'Unité Mixte de Recherche "Sciences et Technologies de la Musique et du Son" (sous la tutelle du CNRS et de Sorbonne Université) et enseignante-chercheuse à l’Ircam. La structure géométrique de la pièce est conçue comme une espèce d'alvéole dans une ruche. Il y a un bruit résiduel très faible, de 15 décibels."

Dans la chambre anéchoïque, il n’y a - comme son nom l’indique - pas d’écho. "On arrive à reproduire de manière artificielle les conditions du 'champ libre' : on a enlevé tout phénomène de réverbération, de réflexion du son dans l’espace", indique Brigitte d'Andrea-Novel.

"Quand vous êtes tout seul, vous pouvez entendre votre cœur battre"

Comme le reste des studios du centre, la chambre sourde, construite au niveau -2, se cache sous la fontaine de la place Igor-Stravinsky. "Les studios sont conçus comme des cubes en béton isolés phoniquement les uns des autres. L'idée est d’éviter d’être perturbé par l’environnement sonore extérieur ou le métro, afin d’obtenir une insonorisation optimale", précise l’enseignante-chercheuse.

Seul et immobile, risque-t-on de devenir fou dans le cube ? Interviewé par le Daily Mail, Steven Orfield, fondateur d’un laboratoire situé à Minneapolis aux États-Unis, qui accueille aussi une chambre sourde, "défie les gens de s'asseoir à l’intérieur dans l’obscurité" plus de 45 minutes. L’article en question évoque également une chambre similaire utilisée pour tester les limites des astronautes de la Nasa, placés dans un réservoir rempli d'eau à l'intérieur de la pièce afin de voir "combien de temps cela prend avant que des hallucinations surviennent".

"Aucun risque en restant un quart d’heure en tout cas, rassure Brigitte d'Andrea-Novel. Mais c’est un espace clos, et ce n’est pas très agréable. Personnellement, je n’aime pas du tout y aller. Quand vous êtes tout seul, vous pouvez entendre votre cœur battre. C’est vrai qu’au bout d'un moment, les conditions psycho-acoustiques font que vous allez vous focaliser sur vos propres sons, votre bruit intérieur, et vous pouvez être désorienté. On est tous des structures vibrantes."

Tests de matériel, spatialisation du son… A quoi sert la chambre ?

La chambre anéchoïque de l’Ircam, elle, sert à effectuer des mesures acoustiques et est régulièrement louée à des professionnels. "Ça permet par exemple d’étudier la sensibilité et la directivité d'un microphone, ou de définir les bandes passantes d'une enceinte, détaille l’enseignante-chercheuse. Les industriels peuvent aussi y tester des produits, pour caractériser le rayonnement des sources vibrantes et ainsi éliminer des bruits parasites lors de la conception d’une machine."

Autre application possible, pour la réalité virtuelle ou augmentée par exemple : la synthèse binaurale, c’est-à-dire la reproduction avec un casque de la perception sonore naturelle humaine, avec une écoute 3D adaptée aux deux oreilles. "On peut faire dans la salle les mesures "HRTF" ("head-related transfer function", ou "fonction de transfert relative à la tête"). Ce sont des mesures individualisées et très précises", explique Brigitte d'Andrea-Novel.

"La personne est munie d’un micro dans chaque oreille, et se place au milieu de la chambre, poursuit-elle. Autour de l’individu, il y a une ceinture de hauts-parleurs, qu’on déplace au fur et à mesure. Ça permet un calcul de la morphologie, qui joue sur la façon dont les ondes sonores sont reçues."

L’Ircam, entre recherches scientifiques et musicales

La chambre anéchoïque date de la création de l’Ircam, fondé en 1977 par le compositeur et chef d'orchestre Pierre Boulez en parallèle du Centre Pompidou. Le centre est à la fois dédié à la création musicale et à la recherche scientifique. Près de la chambre sourde, on trouve ainsi un studio doté d’un dôme de haut-parleurs, utilisé pour développer des logiciels de spatialisation du son.

Au sein des différents départements de l’institut, le laboratoire de recherche, piloté par Brigitte d'Andrea-Novel depuis 2018, rassemble 80 personnes. Travail sur l’acoustique des instruments, le design et l’ergonomie sonores, l’impact du son sur certaines pathologies médicales, la synthèse vocale… Les différentes équipes de chercheurs travaillent d’ailleurs avec des musiciens, accueillis en résidence dans le cadre de projets artistiques.

Le centre accueille par ailleurs un espace de projection, qui sert notamment de salle de concert. Les murs sont dotés de périactes : des couvertures géométriques orientables, qui permettent de faire varier l’acoustique pour produire des environnements sonores variés. En travaux depuis sept ans, la salle doit rouvrir à l’occasion du festival ManiFeste, en juin prochain.

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