Salon de l'Agriculture 2024 : "L'agriculture n'est plus l'image fantasmée de Martine à la ferme... "

Le Salon de l'Agriculture ouvre ses portes dans un climat tendu ce samedi au Parc des expositions de la porte de Versailles. Eric Birlouez, agronome et sociologue de l'agriculture nous a donné son regard sur cet événement incontournable depuis 60 ans.

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Qu'est-ce qui vous frappe spontanément quand on vous évoque le Salon de l'Agriculture? 

Il y a ce paradoxe qui veut que la population agricole ne cesse de diminuer (2,4% de la population active en France,  416 436 exploitations en 2020 contre 1 587 639 exploitations en 1970) mais que la fréquentation du Salon de l’Agriculture reste stable avec près de 600 000 personnes chaque année. Il faut voir le SIA comme la vitrine de l’agriculture française et c’est, pour la profession, l’occasion de montrer les réalités de l’agriculture et aussi de l’incarner : au salon on va voir des animaux bien évidemment mais on va également voir des producteurs, découvrir les produits du terroir. Il y a ce besoin de recréer du lien entre les agriculteurs et le reste de la société, chose qui était évidente en France il y a encore 40 ans où chacun ou presque avait, dans sa famille, un parent, cousin, oncle ou grand-père agriculteur. Or, ce lien se rompt avec les générations qui se succèdent. Et puis c’est aussi un moyen pour les agriculteurs de faire parler d’eux, de poser leurs revendications et de faire passer quelques messages auprès de la société et des élus.

Vous avez coutume de dire qu'il n'y a pas une agriculture mais des agricultures et que les Français en ont une image fantasmée ?

Le « monde paysan » n'existe plus, il faudrait au minimum mettre le pluriel et parler des mondes paysans car il y a des types d'agricultures très différents. L'éleveur de montagne installé sur une petite surface, qui transforme lui-même son fromage AOP pour le vendre en direct n’a pas grand-chose à voir avec le grand céréalier du bassin parisien cultivant plusieurs centaines d'hectares, avec un grand viticulteur en Champagne ou avec le producteur de porc en Bretagne. Il y a toujours eu des types d'agricultures différents mais là on voit bien que les différences sont de plus en plus marquées, tout comme les styles de vie.

Je suis toujours frappé de voir que les agriculteurs se sentent mal aimés mais on voit dans les enquêtes que les Français témoignent de leur attachement aux agriculteurs

Eric Birlouez, sociologue

Auparavant, être agriculteur n’était pas un métier mais une manière de vivre. On a désormais des styles de vie, des niveaux de rémunérations et des motivations différentes : des jeunes agriculteurs issus du milieu n'ont pas forcément les mêmes motivations que leurs parents à faire ce métier d'agriculteur. Il y a également évidemment tous ceux qu'on appelle les néoagriculteurs installés généralement sur des toutes petites fermes, qui travaillent en circuit court. Beaucoup ont fait des études supérieures et veulent redonner du sens à leur vie en produisant eux-mêmes leur propre nourriture.

On a vraiment un éclatement en mondes paysans, et on observe le même phénomène du côté des consommateurs avec des groupes aux styles d’alimentation différents. On a des mondes qui se sont éloignés des uns des autres, qui ne se comprennent plus forcément mais qui aspirent malgré tout à retrouver du contact. Je suis toujours frappé de voir que les agriculteurs se sentent dénigrés, mal aimés, victimes « d’agribashing ». Il y a des critiques parfois justifiées mais on voit dans les enquêtes que les Français témoignent de leur attachement aux agriculteurs. Ils distinguent sans doute les personnes des pratiques agricoles qui ne leur plaisent pas toujours : ils disent bien que ce sont des gens courageux, des gens qui ne rechignent pas à la tâche et qui doivent s'adapter en permanence.

L'actualité et les dernières manifestations contribuent à cette impression?

Je pense qu’il y a, depuis un moment déjà, mais encore plus aujourd'hui, de plus en plus de Français sensibilisés aux difficultés de beaucoup d'agriculteurs. Et le salon est le moyen de toucher du doigt cette question. Et tous les reportages, les interviews diffusées lors du SIA contribuent à sensibiliser les gens. Je crois qu’il y a une reprise de conscience du rôle de cette population d’agriculteurs dont on s’était éloignée du fait de l'industrialisation et du fait que le système alimentaire a complètement changé en l'espace de 70 ans. Je pense qu'il y a eu un déclic au moment de la Covid et là, avec les récentes manifestations agricoles. 

Vous animez souvent des débats entre agriculteurs et non-agriculteurs : qu’est-ce qui vous frappe lors de ces échanges ?

Il y a souvent des tensions ou des incompréhensions au début et fait d'entrer en dialogue arrondit les angles positivement. Les agriculteurs comprennent les inquiétudes et les questionnements légitimes des consommateurs sur les pesticides par exemple. En retour, les consommateurs prennent mieux conscience de ce que c’est d’être agriculteur en 2024, ce n’est plus l’image fantasmée de « Martine à la ferme ». Le SIA est hyper médiatique et un peu parisien quand même par définition mais j’ai toujours incité les agriculteurs à ouvrir leurs portes, à ne pas avoir peur d'expliquer leur travail et d'être à l'écoute.

Qu’entendez-vous par l’expression «Martine à la ferme » ?

Je veux dire par là une vision idyllique de l'alimentation. Soit le consommateur lambda a une vision extrêmement noire, voire caricaturale des agriculteurs en disant qu’ils nous empoisonnent et polluent, soit, de l'autre côté, c'est « Martine à la ferme » et c'est une vision tout aussi fausse aujourd'hui et idéalisée de la production agricole : le paysan est le petit gars qui a ses deux vaches, ses trois cochons, ses quelques poules, etc. Ce n’est plus ça le visage de l'agriculture française aujourd'hui.

Il existe ces deux pôles complètement contrastés qui, ni l'un ni l'autre, ne correspondent complètement à la réalité. L'agriculture n'est pas uniquement qu'une catastrophe pour la santé et pour l'environnement. Il y a une telle diversité d'agriculture qu’il faut apporter de la nuance. Comme d’habitude, il n’y a pas le camp du Bien et du Mal. Ça ne marche pas comme ça.  

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