Me Sarah Saldmann rassemble différentes plaintes pour lancer d’ici quelques semaines une "action collective" contre le géant des Ehpad, dans la tourmente depuis la publication du livre "Les Fossoyeurs". "Le dossier ne fait que commencer", affirme l'avocate.
Sophie Mayer, dont la mère résidait dans la maison de retraite "La Chanterelle" au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis), fait partie des familles en colère contre le groupe Orpea. Le 14 novembre 2018, elle reçoit l’appel d’un aide-soignant : "Il nous a dit que maman était tombée la veille, et que, comme elle souffrait un petit peu, ils préféraient l’emmener à l’hôpital, raconte la plaignante. Quand on a rejoint maman, elle souffrait le martyre, c’était terrible, elle nous a dit qu’elle était tombée sur les genoux la veille, et qu’elle avait appelé mais que personne n’avait répondu."
Sa mère sera finalement opérée à deux reprises à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, après des radios révélant des fractures aux deux jambes. "Maman est restée 24 heures avec les deux jambes fracturées au sein de la résidence du groupe Orpea", déplore-t-elle. Suite au traumatisme, sa mère, "de retour à la maison", décédera en mars 2019. Depuis, Sophie Mayer explique n’avoir "jamais réussi à savoir ce qu’il s’était passé".
Après de nombreuses relances, elle a pourtant fini par obtenir un entretien avec Orpea : "J’étais seule avec mon époux, il y avait sept personnes en face de nous. Visiblement, ils s’étaient tous mis d’accord sur des horaires qui ne correspondaient absolument pas. Ils nous ont expliqué que maman avait enjambé la barrière de son lit en pleine nuit. On leur a dit que c’était impossible : maman ne pouvait pas bouger, elle était en fauteuil roulant et sous somnifère. On s’est retrouvé face à un mur. Ils nous ont dit qu’elle ne s’était pas plainte et que les personnes âgées ne ressentaient pas la douleur."
Sophie Mayer raconte avoir décidé de porter plainte suite à la publication du livre-enquête Les Fossoyeurs, dans lequel Victor Castanet dénonce de graves dysfonctionnements au sein des Ehpad du groupe Orpea. Le journaliste pointe du doigt une obsession pour la rentabilité, avec par exemple des carences au niveau du personnel et des rationnements des couches ou de l’alimentation.
"La parution de ce livre a été comme un électrochoc, j’avais l’impression d'être allée au bout du bout de ce que je pouvais faire", raconte Sophie Mayer. La plaignante décrit "une colère noire, mais aussi une détermination sans faille pour que plus jamais on ne traite nos aînés de cette façon-là... Ce qu’ils ont fait subir à ma mère, on ne le ferait pas subir à un chien."
"La maison de retraite était à 10 minutes de chez moi, maman était visitée extrêmement régulièrement par la famille, ajoute-t-elle. Quand je vois ce qu’ils lui ont fait, je n’ose même pas imaginer ce qu’ils ont pu faire aux résidents dont la famille habite en province ou à l’étranger."
"Ce que les victimes veulent, c’est une reconnaissance au pénal"
L’avocate de Sophie Mayer, Me Sarah Saldmann, est en train de rassembler différentes plaintes pour lancer une "action collective" contre le groupe. "Ce n’est pas une class action au sens américain", précise l’avocate. L’idée, est selon elle, d’"avoir beaucoup de plaintes déposées simultanément" : "Ça fait une masse et une vraie union contre un géant comme Orpea. Si chacun fait sa plainte de son côté, le groupe se contentera d’envoyer un recommandé type à chacun."
Parmi les familles qui la contactent, Me Sarah Saldmann évoque par exemple des dossiers de plaintes pour "homicide involontaire" ou "violence par négligence". "Parmi les cas que j’ai pu voir, ce sont des patients qui sont enfermés, des patients qu’on ne nourrit pas assez, liste-t-elle. L’hygiène revient aussi beaucoup." L’avocate ne précise pas le nombre de familles concernées, jugeant que "le dossier ne fait que commencer".
"Quand vous payez aux alentours de 5000 euros, vous vous attendez à un palace, comme dans les brochures et lors de la première visite. La réalité, c'est qu’après la première admission, il n’y a rien", poursuit Me Sarah Saldmann. "Ce que cherchent les victimes, ce n’est pas un dédommagement financier, souligne-t-elle. Ce qu’elles veulent, c’est une reconnaissance au pénal, voire des excuses - je ne sais pas si on peut l’espérer. C’est pour la dignité de leur père ou de leur mère."
Les dirigeants d’Orpea convoqués mardi par la ministre déléguée à l'Autonomie des personnes âgées
Contacté, le groupe n’a pas souhaité répondre à nos questions. Orpea, dont les dirigeants sont convoqués mardi par la ministre déléguée à l'Autonomie des personnes âgées Brigitte Bourguignon, a annoncé dimanche dans un communiqué le limogeage de son directeur général Yves Le Masne. Remercié "pour les 28 ans de sa vie qu’il a passés au service du groupe", il est remplacé par Philippe Charrier, promu de président non exécutif à PDG "avec effet immédiat".
De son côté, Brigitte Bourguignon a évoqué sur Twitter des "accusations étayées et d'une gravité exceptionnelle". "Je souhaite que toute la lumière soit faite sur les faits signalés", a promis la ministre. A noter par ailleurs que l'Agence Régionale de Santé (ARS) d'Île-de-France a mené en fin de semaine une inspection de l'établissement "Les bords de Seine" à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), la maison de retraite du groupe Orpea, au cœur de l’enquête de Victor Castanet. Ce lundi, le parquet de Nanterre a indiqué à l'AFP qu'une enquête préliminaire avait été ouverte entre mars et avril 2020 contre cet Ehpad, suite à un dépôt de plainte pour des faits d'homicide involontaire concernant une résidente. Une enquête préliminaire avait été alors confiée à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP).
Orpea, qui a évoqué la semaine dernière des accusations "mensongères, outrageantes et préjudiciables" à propos du livre de Victor Castanet, a annoncé sa propre "mission indépendante d'évaluation", confiée à "deux cabinets de premier plan". Une mission toujours "en cours de désignation". Le groupe dit vouloir "faire toute la lumière sur les allégations" en cours.