La Fondation des Femmes lance une grande campagne de sensibilisation et de collecte de fonds, #PlusJamaisSeules. Un nouveau hashtag de ralliement pour venir en aide aux associations qui accompagnent les femmes victimes.
Le changement a eu lieu il y cinq ans, en octobre 2017. Cinq jours après les premières accusations de harcèlement et viols portées contre le producteur américain Harvey Weinstein, des milliers de voix de femmes se sont élevées sur les réseaux sociaux pour raconter les remarques sexistes, les insultes, les attouchements, mais aussi les viols et agressions, dont de nombreuses femmes ont été victimes. Depuis cette date, la parole s'est libérée.
"L'effet #MeToo ne s'essouffle pas, au contraire", prévient Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. Le hashtag #MeToo a été une vraie révolution, une vraie prise de conscience du point de vue de la société. Parce que la société s'est mise à encourager les victimes à porter plainte et à parler, et cela n'avait jamais existé auparavant. "Ce qui est étonnant en fait, c'est de voir que l'on n'est pas sur un effet de mode, mais sur un phénomène qui perdure. Année après année, on voit que les chiffres des plaintes et des témoignages continuent d'affluer", explique Anne-Cécile Mailfert.
Mais les associations ont besoin de plus de moyens, et c'est pour cela que la Fondation des Femmes lance cette grande campagne de sensibilisation et de collecte de fonds pour permettre de venir en aide aux femmes victimes de violences sexuelles qui se retrouvent isolées face à une société et un système qui les écrasent et les découragent, explique cette militante.
#MeToo, un écho aux associations
L'effet #MeToo a permis aux femmes d'être informées de leurs droits, indique Céline Foulc, directrice du CIDFF 93 (Centre d'Information des Droits des femmes et des Familles). Ainsi, d'autres milieux ont osé parler. "On a des femmes victimes de violences intra-familiales, des personnes victimes d'inceste, et on a reçu sur le réseau 12 000 femmes victimes d'agressions sexuelles et de viols. Il y a eu 46 000 victimes de violences sexistes et sexuelles reçues pour l'année 2021 sur l'ensemble du réseau CIDFF", énumère Céline Foulc.
Avant d'ajouter que, parmi ces femmes, beaucoup déposent plainte, d'autres non : "c'est leur choix et on doit le respecter et continuer à les accompagner. Plus les femmes osent dénoncer les violences qu'elles subissent, plus le regard de la société change", avance la directrice.
"Depuis 2017, les violences sexuelles enregistrées par les forces de l’ordre, les plaintes, ont augmenté de 82%, preuve que les femmes prennent la parole et vont saisir les tribunaux pour obtenir justice", ajoute Anne-Cécile Mailfert. Dans le même temps, les condamnations pour viol ne cessent de diminuer, atteignant même un record historiquement bas avec moins de 800 condamnations en 2020 face aux 94 000 viols ou tentatives évalués chaque année. Un constat partagé également par Céline Foulc : "Le problème de la procédure pénale reste difficile et compliqué. 80% des plaintes sont classées, donc un énorme travail reste encore à faire".
"Si elles portent plainte, c'est qu'elles veulent que justice soit faite, mais il n'y a pas un vrai chantier sur le pourquoi de l'impunité des violences sexuelles", avance Anne-Cécile Mailfert. Selon elle, on peut parler d'impunité aujourd'hui puisque moins de 1% des violeurs sont condamnés. 77 mois, c'est le délai moyen pour un premier jugement pour viol sur majeur(e). Et moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites avec 732 condamnations pour viol en 2020.
Alors que les femmes se tournent massivement vers les associations, ces dernières n'ont pas été réellement soutenues. C'est dans cette logique que s’inscrit la campagne #PlusJamaisSeules ajoute la présidente de la Fondation des Femmes : "On espère avoir 500 000 euros d'ici la fin de l'année pour soutenir les associations qui soutiennent les victimes".
#MeToo : un porte voix
Grâce à #MeToo, des voix différentes se sont faites entendre. "Au CIDFF, nous recevons majoritairement des victimes de violences au sein du couple, mais c'est en train de bouger et nous commençons à avoir des plaintes au sein du travail", reconnaît Céline Foulc.
En 2021, les violences faites au travail ont augmenté de 21%, précise la directrice du CIDFF 93. Pour elle, il faut déconstruire une représentation de la société et #MeToo participe à mettre sur la place publique la possibilité de nommer les violences.
#MeToo, c'est une révolution et une émancipation des femmes qui a permis aussi à nos mères et nos grands-mères de se poser beaucoup de questions, c'est complètement transgénérationnel
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes
#MeToo est une révolution formidable pour toutes ces femmes, rappelle Anne-Cécile Mailfert : "C'est une émancipation des femmes et cet effet a permis aussi à nos mères et nos grands-mères de se poser beaucoup de questions, c'est complètement transgénérationnel ce qu'il se passe".
L'abandon du gouvernement
La politique est finalement le milieu le plus réactionnaire à #MeToo, au sens où il retient le changement, dénonce la présidente de la Fondation des Femmes. Un changement qui semble faire peur aux hommes. "Ils ne veulent pas du changement, c'est probablement parce que c'est un milieu qui reste très masculin, et avec cette méfiance et cette suspicion de ce qui pourrait se passer si toutes les femmes se mettaient à parler", énonce Anne-Cécile Mailfert. Pour preuve, elle avance que le gouvernement a nommé des experts sur des commissions et des rapports sur la présomption d'innocence mais n'en a pas nommé sur l'impunité, ni la présomption de crédibilité. "Pour nous, les femmes, on n'a pas peur de la présomption d'innocence. On a peur de ne pas être crues et que la justice ne fasse pas son travail".
Le gouvernement, donc Emmanuel Macron, doit entendre ces voix de femmes, et faire en sorte que tout change
Anne-Cécile Mailfert
"Finalement, la réaction politique reste encore celle de la domination masculine qui voit les choses de son point de vue et du point de vue des hommes. Ils ont plus peur d'être accusés à tort que d'être agressés. Donc on voit bien que le point de vue des femmes n'est pas représenté dans les plus hautes instances", regrette Anne-Cécile Mailfert.
La Fondation affirme qu'elle travaillait beaucoup mieux avec l'ancienne ministre de la Justice Nicole Belloubet et qu'ils ont senti la différence quand elle est partie. "Deux ans après #MeToo, on nomme un ministre de la Justice qui est anti-féministe et qui ne croit pas aux chiffres de la violence faites aux femmes et Gérald Darmanin qui a été accusé par deux femmes. On voit bien que le président de République se dit 'voilà, c'est fini', que ce n'est pas le sujet, et que ce n'est pas important, sinon il n'aurait pas fait ces nominations-là", martèle Anne-Cécile Mailfert.
Le gouvernement doit entendre ces voix de femmes et faire en sorte que tout change, ajoute-t-elle et demande des juridictions spécialisées formées pour bien comprendre les mécanismes et ce que sont les violences sexuelles. "Il ne faut plus avoir des juges qui demandent aux victimes comment elles étaient habillées. Vous en avez encore en France qui sont comme ça. Ces personnes peuvent juger autre chose, mais pas des viols", déplore Anne-Cécile Mailfert.
"Une brèche s'est ouverte depuis cinq ans et le gouvernement reste sourd", regrette la présidente de la Fondation des Femmes. Les associations comme l'AVFT (Violences faites aux Femmes au Travail) n'ont pas vu leurs subventions augmenter en 20 ans. "En 2003, elles touchaient 245 000 euros. En 2023, 255 000 euros. Soit une augmentation de 10 000 euros. C'est donc qu'il y a un vrai manque de soutien et de vision politique", avance Anne-Cécile Mailfert.
Un appel qui a peut-être été entendu par l'exécutif. Le budget du 3019, le numéro d’appel d’urgence contre les violences conjugales, a augmenté de 2,9 millions d’euros et se portera à 5,9 millions en 2023, contre 3 millions prévus initialement. "#MeToo, ça changé les choses et pour longtemps", estime la Présidente de la Fondation des Femmes.