Quand des universitaires, des associations de terrain et des habitants se rencontrent... Profession Banlieue, un centre de ressources sur la politique de la ville en Seine-Saint-Denis, vient de lancer un podcast "Penser le 9-3". L’objectif de ces émissions : sortir des caricatures pour montrer ce département autrement.
"Montrer toute la complexité de la Seine-Saint-Denis. Aller au-delà des faits divers pour apporter une réflexion collective sur les quartiers." Voilà l’objectif d’Antoine Tricot, le journaliste qui présente les podcasts intitulés "Penser le 9-3". Dans ses émissions de 35 minutes disponibles sur les plateformes dédiées depuis mercredi, il invite des militants associatifs et des chercheurs, urbanistes, géographes, sociologues, pour donner leurs points de vue et des solutions sur des thèmes liés à la politique de la ville.
"L’idée est de mettre en avant la parole des habitants", explique Antoine Tricot. Selon lui, les chercheurs et le monde associatif sont "étroitement liés, car ils vivent dans les mêmes quartiers, se croisent tous les jours. J’ai donc souhaité leur donner la parole sur un socle commun, car ils travaillent souvent ensemble."
"Dépasser les caricatures"
A l’origine de ce podcast, il y a Profession Banlieue, un réseau professionnel des acteurs des quartiers populaires en Seine-Saint-Denis, et un centre de ressources sur les questions de politique de la ville..Cette structure s’est alliée en 2021 à Making Waves, une société émettrice de podcasts pour imaginer un espace de rencontres sonores entre chercheurs et acteurs du monde associatif.
Parmi les thèmes abordés dans les quatre premiers épisodes publiés ce mercredi, on retrouve le jardinage, les animateurs jeunesse, ou encore la rénovation des quartiers populaires. "La Seine-Saint-Denis est sans doute le département le plus caricaturé de France. On en dresse souvent une image très péjorative à travers la violence ou bien, on en fait un portrait mélioratif avec des portraits de jeunes Dyonisiens qui ont un beau parcours. Dans ce podcast, nous souhaitons dépasser ses images d’Épinal", indique Antoine Tricot.
"Parfois, ce sont les chercheurs qui choisissent des habitants avec lesquels ils ont travaillé pour leurs recherches afin de les accompagner sur l'émission", indique le journaliste qui officie notamment pour France Culture. Les problématiques de vie publique au sein des quartiers populaires, il y est sensible depuis plusieurs années.
Cet habitant de Seine-Saint-Denis a entamé une réflexion autour de l’image médiatique des quartiers populaires dans son livre Cheville Ouvrière paru en 2020 aux éditions Creaphis. "L’idée du livre comme celle du podcast est de montrer qu’on peut créer une image différente des quartiers populaires que celle qui est véhiculée dans les médias. Faire voir qu'ils peuvent être un lieu de dialogue entre des habitants et qu’ensemble, ils peuvent réflechir aux problématiques de politique de la ville".
Selon lui, le podcast est également un moyen de mettre en lumière les travaux des différents chercheurs du département "qui restent méconnus du grand public".
"Donner un autre point de vue aux jeunes Dyonisiens"
L’urbaniste Marie-Hélène Bacqué a participé au premier épisode du podcast sur le thème de la politisation des jeunes. Elle estime que "le fait d’avoir ce type d’espace d’expression est important pour eux, car ils sont pour la plupart marqués par la stigmatisation dont le département fait l’objet". Selon elle, il est "très important d’apporter de nouvelles idées qui leur permettent de se sentir fiers de leur département, et de leur montrer que leur voix peut être entendue.".
Enfin, pour cette professeure en urbanisme à l’université Paris-Nanterre, ce podcast peut participer à "leur donner envie de s’impliquer dans la vie politique de leur quartier. Ils doivent se sentir autorisés à faire part de leur expérience et de leur point de vue." A ce titre, les créateurs du podcast prévoient l’organisation d’une soirée débat et écoute le 9 février prochain au Canal 93 à Bobigny.
"Cela permet d’avoir un autre regard sur notre propre activité"
Selon Samuel Lehoux, membre de l’association agroécologique A l’Autre Champ, ces temps d’échanges sont l’occasion "d’adopter un autre regard sur notre propre activité". "Cela ouvre les perspectives, car on a l’habitude d’évoquer notre métier avec nos propres codes et le fait d’amener le point de vue scientifique nous permet de l’aborder différemment", estime cet habitant de Villetaneuse.
Il a participé à un épisode consacré au jardinage avec la géographe Flaminia Paddeu qui s’est intéressée à l’un des champs de l’association pour ses recherches. "Cela montre que des scientifiques réfléchissent à des problématiques environnementales même au cœur des quartiers. Enfin, ce type d’échanges permet de voir que notre travail concret de la terre alimente des réflexions sociales et écologiques", conclut Samuel Lehoux