Carnet de Notes : à Sarcelles une chanson de Pierre Perret victime de censure dans un spectacle de théâtre

Une fois de plus ou une fois de trop ? "Papa, Maman", la chanson de l'auteur du Zizi (ou l'éducation sexuelle à l'école) explique de façon explicite aux enfants comment on fait les bébés. Reprise dans un spectacle de théâtre, elle a déclenché l'indignation de certains parents et enseignants.

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Carnet de notes, spectacle de grande qualité salué à de multiples reprises par la critique (Le Parisien, Télérama, Le Canard enchaîné, Francetvinfo …), s'adresse à tous les publics sans restrictions d'âge. Depuis les toutes premières représentations au Festival d'Avignon en 2017, la Compagnie de Sans Souci l'a joué près de 250 fois, dans des centres culturels aux quatre coins de la France et dans de nombreux théâtres, comme à Paris, il y a 3 ans au Lucernaire, là où nous l'avions découvert.

Sur scène, sept artistes (chanteurs/musiciens/comédiens) proposent un voyage à travers les chansons de ces 50 dernières années qui abordent le sujet de l'école, de la maternelle au baccalauréat. Parmi la quinzaine de chansons sélectionnées dans ce spectacle, celle que Pierre Perret a écrite en 1976 : "Papa, Maman", sans aucun doute inspirée par l'entrée officielle dans les programmes scolaires de l'Education nationale, trois ans plus tôt, de cours d'éducation sexuelle, suite à une circulaire du ministre de l'époque, Joseph Fontanet.

Jadis maîtres ou parents nous laissaient pas tellement le choix

Les rapports sexuels on parlait pas de ces machins-là

Pierre Perret

A chacun de ses passages sur scène depuis la création de ce spectacle, la troupe de comédiens avait pour habitude d'être chaleureusement applaudie en fin de représentation. A Sarcelles, en ce début de mois de mai, il en fut autrement.

La mécanique de la censure

"Tout a commencé il y a 15 jours", nous déclare Mariline Devaud Gourdon, la directrice de la Compagnie du Sans Souci : "Nous étions programmés par la ville de Sarcelles le lundi 10 et le mardi 11 mai pour 4 représentations de notre spectacle à destination des écoles primaires de la ville. A l’issue de la première représentation, des parents d’élèves accompagnant les classes, se sont plaints auprès du directeur de leur école primaire pour dire à quel point notre travail était choquant, car nous chantons des mots « tabous » qui sont les mots de la chanson “Papa, Maman” de Pierre Perret. Nous avons travaillé cette chanson de 1976 comme étant la « leçon de reproduction » au sein de notre spectacle."

A regarder l'extrait du spectacle incriminé :

Même si l'éducation sexuelle est au programme de l'école primaire depuis 20 ans, il est des mots que certains parents ne souhaitent pas voir tomber dans l'oreille de leurs enfants. Dans la chanson de l'auteur de Lily, on peut en effet entendre les mots "orgasme, utérus, verge, pénis, érection…".  Bref, le registre habituel des chansons coquines de celui qui est sacré comme le poète de l'enfance et dont des dizaines d'école portent le nom - 33 sont recensées en 2011 selon son site, dont celle de Serris en Seine-et-Marne, département de résidence de l'artiste depuis plus de 50 ans.

Tout cela est arrivé en 4 heures de temps !

Mariline Devaud Gourdon

Tout s'emballe alors depuis l'école du Val-Fleuri de Sarcelles (Val-d’Oise) : "Les plaintes adressées au directeur ont été remontées directement auprès des Inspecteurs de secteurs, qui eux-mêmes ont immédiatement envoyé un mail interdisant aux enseignants d’emmener les classes assister à notre spectacle le lendemain. Lundi, après nos deux représentations, nous avons été prévenus que les classes annulaient leur venue."

La ville de Sarcelles, après la première journée de représentation, a reçu un courriel de l'Inspecteur d'Académie mentionnant des retours négatifs de parents et des témoignages d’enseignants, choqués par le champ lexical à l'œuvre dans la chanson de Pierre Perret. La décision immédiate de l'Inspecteur est alors d'interdire aux classes suivantes de se rendre au spectacle.

Et comme le spectacle était programmé pour quatre représentations scolaires dans la salle municipale André Malraux, c'est alors au tour de la mairie de Sarcelles d'intervenir dans le processus de la censure : "Seule une classe de 15 élèves maintenait sa venue, et nous avons décidé de jouer pour cette classe. La direction des affaires culturelles de Sarcelles est alors intervenue pour tout annuler. Tout cela est arrivé en 4 heures de temps !", conclut Mariline Devaud Gourdon.

Une surprise totale pour la troupe, car la plainte émanerait de deux parents seulement, présents lors de la première représentation du matin. Une surprise d'autant plus grande qu' à la fin du spectacle, la troupe est venue comme à son habitude sur le bord de la scène pour échanger avec les enfants.

"Aucun parent, ni enseignant n'a alors pris la parole. Seulement des écoliers pour demander ce qu'est le baccalauréat et si le baiser échangé à un moment donné est un vrai baiser." précise la metteuse en scène. "Nous leur avons alors expliqué ce que c'est qu'un baiser de théâtre."

La suite officielle, selon le Rectorat de l’Académie de Versailles: "Trois écoles de la ville de Sarcelles étaient prévues pour assister à ce spectacle. Les écoles primaires de Sarcelles sont réparties en deux circonscriptions, avec chacune un inspecteur de circonscription. Suite à la première représentation de la compagnie de théâtre, tous deux ont été informés que la partie du spectacle dédiée à la reproduction était abordée à travers la chanson « Papa maman » de Pierre Perret. Des enseignants présents se sont dit « choqués » par le fait de présenter cette chanson à des élèves de CE1 et CE2."

Par ailleurs, le Rectorat assure ne pas avoir été informé du problème avant la décision locale d'interdiction. "L’un d’eux a estimé que les classes concernées de sa circonscription ne devaient pas assister au spectacle. Le second a laissé aux écoles la liberté de choix, après avoir pris connaissance de ces éléments." Un enseignant aurait eu la liberté de maintenir sa participation pour le lendemain, mais il a finalement renoncé.

Depuis ces annulations, le Rectorat soutient la décision des deux Inspecteurs : "Si le sujet de la reproduction fait bien partie des programmes scolaires, il est précisé qu’ «à ce niveau d'âge, il ne s'agit pas d'une éducation explicite à la sexualité». Les inspecteurs ont donc estimé que certains termes utilisés dans la chanson (orgasme, violer, verge, érection, sucent…) pouvaient paraitre crus, voire inadaptés dans un contexte scolaire, pour des élèves de CE1 et CE2. Ces notions méritent un accompagnement pédagogique important, particulièrement à cet âge."

Dis-moi comment on fait les bébés...

En effet en France, la sexualité est à aborder à l'école primaire en cycle 3 (CE2, CM1 et CM2), soit entre 9 et 11 ans. Cette thématique a été introduite dans les programmes scolaires en 1973 - à l'époque en tant qu'enseignement facultatif, sur le niveau lycée, au sujet de la contraception et des maladies vénériennes. L’éducation à la sexualité en milieu scolaire devient une obligation légale depuis la loi Aubry du 4 juillet 2001, selon laquelle  « une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène » (article L312-16 du code de l’éducation). Toutefois il n'y pas de caractère obligatoire car, comme la circulaire d’application n'en prévoit pas les moyens suffisants, l’éducation à la sexualité est dispensée "de manière inégale et non satisfaisante sur l’ensemble du territoire", comment le constate les associations du Planning Familial.

La réponse du Rectorat permet-elle pour autant de légitimer l'annulation de la seconde journée de représentation de Carnet de Notes devant un public d'écoliers à Sarcelles ?

Si l'objectif des enseignants de ces écoles était, en accompagnant leurs élèves à ce spectacle, d'organiser un cours "d'éducation explicite à la sexualité", ils auraient pu facilement se rendre compte, en consultant le site internet de présentation de Carnet de notes, qu'ils n'y trouveraient pas matière à bâtir un cours sur ce thème, mais plutôt une approche ludique de l'Histoire de l'école.

Bientôt, on ne pourra plus emmener les élèves au Louvre.

Mariline Devaud Gourdon

"Les adultes ont été choqués à la place des enfants, s’indigne Mariline Devaud Gourdon. L’Education nationale n’a même pas regardé le spectacle ; elle aurait pu venir nous voir pour aménager des choses. Il ne faut pas se formaliser en regardant les paroles à plat, sans voir le traitement artistique. Il y a plein de degrés de lecture au texte. Si un parent n’arrive pas à expliquer à son enfant ce qu’est une érection, je suis navrée pour eux ! Et les enseignants pouvaient consulter la liste des chansons avant d’inscrire leur classe. "

Au delà de la réaction de ces parents/spectateurs, pour la comédienne, le véritable problème réside plutôt dans « la réponse de l’école de la République » :

"Elle fait marche arrière et interdit la sortie alors qu’elle avait été validée par la mairie. Bientôt, on ne pourra plus emmener les enfants au Louvre car ils verront un sein de la Vénus de Milo ! La bien-pensance des uns ne doit pas devenir la censure des autres. Le rôle de l’Education nationale n’est-il pas de permettre un accès à la culture à TOUS les élèves, quels que soient leurs milieux sociaux et culturels ?"

Pour mémoire : "Mesdames et Messieurs les censeurs, bonsoir !"

L'auteur du Zizi (sous-titré : ou l'éducation sexuelle à l'école) se souvient que tout au long de sa foisonnante carrière, il a "été censuré toute sa vie". Une des premières fois, c'était du temps du Général De Gaulle avec le tube qui a pourtant fait sa fortune en 1966 : "Les jolies Colonies de vacances". Un titre qu’Yvonne de Gaulle a fait censurer pour le vers «en faisant pipi dans le lavabo». Un jour elle appelle le directeur de la radio-télévision française directement sous le contrôle de l'Etat : «Nous vous prions, cher Monsieur, de ne plus diffuser la chanson de cet horrible personnage que nous considérons comme la honte de la France.» L'intervention des plus hautes sphères du pouvoir n'a finalement eu que peu d'effet. Le directeur de l'ORTF aurait répondu "Bien, Madame". Tout en programmant la chanson sur les ondes dès le lendemain.

En 1973, Pierre Perret connaît un succès sans précédent avec Le Zizi (récompensé par 16 disques d’or). Le morceau - cru et avant-gardiste pour l’époque - échappera à la censure grâce au directeur des programmes d’Europe 1, une des radios périphériques. La chanson devient dès lors un véritable tube, propulsant l’auteur-compositeur au sommet de sa gloire.

Depuis,  à chaque fois que le chanteur a remis le couvert en appelant un chat, un chat, les ciseaux de la censure sortent du tiroir.

Veuillez agréer,  Monsieur le Ministre, ma détestation de la censure.

François Morel

La semaine dernière, le comédien François Morel a endossé le costume d'avocat de la défense le temps de sa chronique sur France Inter, en rendant publique une lettre au Ministre de l'Education nationale.

L'humoriste interpelle sans ambages Jean-Michel Blanquer : "Monsieur le Ministre, choisissez votre camp. Vous-rangez vous du côté de ceux qui interdisent ou de ceux qui permettent ? Jugez-vous normal que des parents d’élèves puissent empêcher un spectacle ? Les Inspecteurs qui s’érigent en censeurs ont-ils agi en votre nom ? Si vous pensez que l’auteur du Zizi et de Lily est un personnage indigne, scandaleux, subversif et dangereux, ne serait-il pas temps de songer à débaptiser toutes les écoles Pierre Perret qui partout en France ont fleuri, de Castelnaudary à Soligny-la-Trappe, de la Chaize-le-Vicomte à Clavettes, de Miribel à Angers ?"

Une lettre ouverte qui a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux.

De leur coté, la troupe de la compagnie du Sans Souci est rassurée de recevoir de nombreux soutiens, y compris d'enseignants qui ont vu le spectacle avec des écoliers. L'incident n'a eu aucune incidence sur la tournée, ni aucune date annulée. La troupe répète actuellement le prochain spectacle musical : "Embrasse-les tous", sur Georges Brassens, dont c'est le centenaire de la naissance. Un spectacle prévu pour tout public, les écoles également. Mais Mariline Devaud Gourdon, metteuse en scène, nous le promet : "On va faire attention aux paroles des chansons car Brassens savait lui aussi utiliser les mots pour décrire "la chose" ... Aussi, nous n'utiliserons pas Fernande."

Mais quid du fameux Gorille ? En 1953, pourtant remanié, il est interdit sur les antennes de l'ORTF. Il passera le mur du son en 1955 sur Europe 1.

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