Cinq ans sans la Cité Gagarine, "c'est un petit bout de la ville qui est parti"

Le 31 août 2019 débutaient les travaux de démolition de Gagarine. Cité HLM en briques rouges emblématique d'Ivry-sur-Seine, elle a aussi bien marqué le paysage urbain que ses habitants. Mais, pour ces grands ensembles, se pose la question de la préservation de l'existant et de leur histoire qui font le patrimoine "commun" des villes.

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C'était il y a 5 ans. Le dernier jour du mois août 2019, les habitants d'Ivry-sur-Seine disaient au revoir à la cité Gagarine, l'une des cités HLM qui a marqué la ville durant presque 60 ans. Haute de 13 étages, en forme de T, construite en briques rouges, elle a marqué le paysage urbain d'Ivry-sur-Seine.

"C'est une image de notre quartier qui s'en va, témoignait alors au micro de France 3, une femme venue regarder les débuts de la destruction. J'avais envie de pleurer vous voyez." Une autre sourit tristement en commentant les premiers coups de pelleteuse : "C'est une image de notre quotidien qui s'en va."

"Esthétiquement parlant, la cité était intéressante"

"C'est un petit bout de la ville qui est parti, constate aujourd'hui Aurore Reynaud, architecte et docteure en architecture, autrice d'une thèse sur l'étude d'un héritage architectural banalisé. J'avais été étonnée de voir qu'on avait opté pour une démolition de Gagarine. La démolition, c'est un peu daté maintenant."

Une décision qui l'a d'autant plus surprise qu'elle n'avait "jamais remarqué de problèmes structurels de l'extérieur" et qu'"esthétiquement parlant, la cité était intéressante", notamment avec ses "briques rouges", ajoute la spécialiste. "Aujourd'hui, on conserve de plus en plus le patrimoine du XXe siècle, il y a beaucoup de défenseurs de ce patrimoine, notamment en Seine-Saint-Denis."

Ça peut coûter le même prix de démolir pour reconstruire un bâtiment neuf. Aujourd'hui, les matériaux utilisés coûtent plus cher et sont souvent moins nobles.

Aurore Reynaud

Docteure en architecture

Si un projet d'écoquartier est prévu pour remplacer les immeubles de la Cité Gagarine, Aurore Reynaud reste perplexe. "Ça peut coûter le même prix de démolir pour reconstruire un bâtiment neuf. Aujourd'hui, les matériaux utilisés coûtent plus cher et sont souvent moins nobles. Là, on avait un bâtiment en briques rouges, qui était encore en place, on n'en fait plus depuis les années 1970 maintenant, argumente-t-elle avant d'ajouter, la question est : est-ce qu'on fait mieux aujourd'hui ?"

"Le moment était venu de lui donner une nouvelle vie. Il y a bien eu une réhabilitation entre 1995 et 1997, mais elle n'avait pas réussi à redresser les choses", regrette le maire PCF d'Ivry-sur-Seine Philippe Bouyssou. À ce jour, le projet d'écoquartier est toujours en cours de construction. "Le bâtiment Pioline, le premier de la nouvelle cité Gagarine-Truillot, a été livré" cette année, explique-t-il, confiant. 

Vers des villes qui "se ressemblent toutes" ?

Pour lui, ce projet d'envergure - qui a nécessité de reloger plus de 360 familles dans la commune - était la seule issue possible. "Il a fallu lui redonner un avenir et passer par cette déconstruction. La construction de Gagarine était venue après celle d'autres cités, mais avait été faite de manière un peu 'cheap' si je peux dire."

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Malgré ses réticences, Aurore Reynaud se dit intriguée par le projet : "Aujourd'hui, on a énormément de mal à dater les bâtiments. Les villes se ressemblent toutes, commence-t-elle, réaffirmant sa position de défendre le patrimoine architectural du XXe siècle, avant d'ajouter, j'ai hâte d'aller voir ce qui va être construit malgré tout. Peut-être que ce sera mieux."

"On avait le sentiment d'être en Amérique"

Garder des traces du passé, un objectif que s'est également fixé la mairie d'Ivry-sur-Seine. "Le but n'est pas de tout effacer mais de passer un cap. On a gardé plusieurs traces de cette cité, informe Philippe Bouyssou. Carmen Santana [l'achitecte du projet, ndlr] a notamment souhaité intégrer au sol la trace de l'ancienne cité Gagarine" en forme de T.

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Mais au-delà du patrimoine architectural, il y a l'histoire sociale. Dès son inauguration, la cité Gagarine a marqué les esprits : "Youri Gagarine, le premier cosmonaute à avoir effectué un vol dans l'espace, était venu l'inaugurer en personne", détaille Emmanuel Bellanger, directeur de recherche au CNRS, du Centre d'histoire sociale des mondes contemporains et également auteur du livre 'Ivry, banlieue rouge' publié en 2017. "C'est une cité ouvrière, emblème d'une ville rouge qui, à elle seule, raconte le communisme municipal et son ambition de créer des logements dignes, pour tous."

Équipés notamment d'une salle de bains et d'une cuisine, les appartements sont à l'époque un symbole de modernité. "On avait le sentiment d'être en Amérique, compare Philippe Bouyssou. Avant les années 1950, il y avait un grand nombre d'habitats privés insalubres. Les HLM étaient une étape des progrès social et humain." "Ces cités marquent le droit à l'intimité. C'est la fin de la cohabitation des générations dans les mêmes espaces, on a accès au confort", ajoute Emmanuel Bellanger.

On avait le sentiment d'être en Amérique. Avant les années 1950, il y avait un grand nombre d'habitats privés insalubres. Les HLM étaient une étape des progrès social et humain.

Philippe Bouyssou

Maire PCF d'Ivry-sur-Seine

Synonymes du "bonheur en banlieues", ces cités HLM sont le lieu où "prédominent la vie ouvrière et ses solidarités", précise le chercheur. "La cité Gagarine raconte aussi l'histoire du logement social. Ce qui est très important c'est de préserver cette histoire sociale, de raconter ces histoires intimes et collectives."

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Également membre de l'aMuLoP, l'association pour un musée du logement social, Emmanuel Bellanger est persuadé qu'un lieu doit recueillir cette "mémoire". "Il y a deux ans, nous avions fait une exposition à Aubervilliers", exposition retraçant la vie de la famille Croisille dans leur trois pièces. L'idée était de revivre le quotidien d'une famille des quartiers populaires dans les années 1960.

"Le projet du musée de l'aMuLoP est similaire à cette préconfiguration réussie en 2022, qui s'était inspirée du Tenement Museum aux États-Unis", musée new-yorkais qui retrace l'histoire de l'immigration du pays à travers les logements. 

Si "le projet avance bien et a reçu plusieurs soutiens", il faudra attendre encore un peu avant de le voir se concrétiser et de pouvoir retrouver ces petites histoires individuelles, comme celles de Gagarine, qui "racontent aussi l'Histoire de la France."

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