"Gestion harcelante", "remarques humiliantes"," violences verbales". Au collège Paul-Eluard de Bonneuil-sur-Marne, aux lycées Simone de Beauvoir de Garges-les-Gonesses ou Mozart au Blanc-Mesnil... En Île-de-France, rien ne va plus entre les profs et leur direction, une étude montre la dégradation du climat scolaire.
Au collège Paul-Eluard de Bonneuil-sur-Marne (94), la grève est reconduite. Depuis le 8 novembre, seuls quatre enseignants font cours, sur une cinquantaine de professeurs. Tous réclament le départ de leur cheffe d’établissement.
"Il ne pourrait même pas être facteur"
A quelques mois de la retraite, Jean Michel Harvier, admet ne “jamais avoir vu ça”. Enseignant d’histoire géographie au collège Paul-Eluard et secrétaire national du SNES-FSU, il évoque une situation inédite qui s’est dégradée à l’arrivée de la cheffe d’établissement il y a trois ans. Il raconte ces petits maux qui, mis bout à bout, empoisonnent le climat au collège.
Comme, par exemple, ce jour où en parlant d’un enseignant, elle aurait dit “ il ne pourrait même pas être facteur”. Ou cette fois où, à un élève en retard dans le dépôt de son dossier, elle lui refusa son voyage en classe de neige alors que l’équipe encadrante avait tout fait pour qu’il puisse y participer. Remarques “déplacées et humiliantes”, brimades, management toxique et autoritaire : “le personnel est terrorisé”, explique Jean Michel Harvier. Certains de ses collègues appréhendent de se retrouver face à face avec la principale du collège. A tel point qu’en avril dernier, la grande majorité d’entre eux démissionnait de la mission de professeur principal pour éviter les échanges avec la cheffe d’établissement.
Inquiétant quand on sait que l’établissement est classé REP (Réseau d’Education Prioritaire). Depuis 3 ans, sept réunions ont eu lieu avec l’Inspection académique. Médiations, courriers, audiences, enquête administrative : tout a été tenté. Mais “malgré les profs en pleurs et les promesses, rien n’a changé”, déplore Jean-Michel Harvier. Mi-septembre, une enquête administrative a eu lieu sur une journée. Les résultats devraient être connus ce jeudi en fin d’après-midi. Mais d'ores-et-déjà, un préavis de grève a été déposé à partir de vendredi.
Profs qui arrivent la boule au ventre dans leur établissement, tensions quotidiennes : le collège Paul-Eluard de Bonneuil-sur-Marne n’est pas le seul concerné dans la région.
Dépôt de plainte au lycée Mozart du Blanc-Mesnil
Au lycée Mozart au Blanc-Mesnil (93), parents d’élèves élus, lycéens et professeurs dénoncent depuis plus d’un an la “gestion harcelante et brutale”' du proviseur. Et ne comptent plus les actions menées pour le faire partir : grèves, droit de retrait, dépôts de plaintes, signalements. Depuis l’agression d’un élève dans l’établissement, la tension peine à retomber.
Mêmes tensions au lycée Simone de Beauvoir à Garges les Gonesse (95). Après avoir été entendus par l’autorité de tutelle, enseignants et élèves ont repris ce lundi le chemin des classes. Mais menacent de reprendre le blocus sans “actions concrètes” de l’administration.
Dans leur collimateur, notamment : “des violences verbales”, une attitude et des propos déplacés et humiliants de la part de la proviseure du lycée. Pour cette enseignante qui souhaite rester anonyme, les relations avec elle seraient “épuisantes, compliquées, faites d’injonctions sans cesse contradictoires”, et fragiliseraient psychologiquement certains de ses collègues.
Un climat dégradé entre adultes
Vouloir la tête du chef d’établissement est-il de plus en plus fréquent ? Ceux visés n’ont pas souhaité répondre à nos questions, évoquant leur devoir de réserve. Mais une récente étude sur le climat scolaire, menée par l’Autonome de solidarité laïque vient apporter des éléments de réponse pour le moins surprenants. Car si le climat s’est dégradé ces dernières années, l’origine n’est pas à chercher du côté de la relation avec les élèves mais entre les adultes.
Dans cette enquête, les chercheurs Éric Debarbieux et Benjamin Moignard pointent "un véritable effondrement de la qualité des relations entre adultes", qui expliquerait le mal-être des enseignants. 8 851 personnels de l’Education nationale ont été interrogés, et leurs réponses ont été comparées avec une autre étude, la première du genre, menée il y a dix ans. Le constat est sans appel : entre les enseignants et leur direction, le malaise est grandissant.
Près de la moitié des personnes interrogées (48 %) perçoit une mauvaise qualité de la relation enseignants-direction, c’est 14% de plus qu’en 2013. 38,1 % déclarent ne pas se sentir "respectés" par leur direction, contre 23,5% il y a dix ans. Sans surprise, ce malaise est également perçu par les chefs d’établissement. Ils sont 30 %, contre 6 % en 2013, à "ressentir de l’appréhension avant de prendre leur service" ; 28 % d’entre eux, contre 5 % en 2013, ont une relation dégradée avec la vie scolaire. Nous avons soumis ces données à un chef d’établissement.
Le chef d'établissement, un fusible ?
Bruno Bobkiewick est proviseur dans un établissement du Val-de-Marne et membre du syndicat des proviseurs, le SNPDEN-UNSA. Il reconnaît que les cinq dernières années ont fragilisé les chefs d’établissements. “La crise sanitaire et le rythme des réformes très soutenu nous a plus exposés. Les chefs d’établissements représentent l’Etat et cela a contribué à dégrader les rapports humains.” Mais pour lui, les méthodes de management n’ont pas évolué : “On n’a pas eu de nouvelles consignes de management des équipes. On pilote les établissements comme on les pilotait avant.” Seulement voilà : dans certains établissements, demander la tête du chef d’établissement serait selon lui devenu un sport national. “Il existe des établissements bien identifiés avec des professeurs d’une hostilité générale à l’encontre de l’institution et dans lesquels le principal devient un fusible”, explique-t-il. Avant d’ajouter “Des maladresses de la part de chefs d’établissement peuvent évidemment arriver... Mais il faut distinguer ce qui relève de la maladresse de l’incompétence professionnelle et ce n’est certainement pas la salle des profs qui doit trancher mais l’institution.”
Alors, cas isolés ou tendance de fond ? Les auteurs de l’enquête sur le climat scolaire lancent le signal d’alarme. "Venant d’un corps professionnel qui fait de la loyauté à l’égard de l’institution une valeur cardinale de son éthique professionnelle, le degré d’insatisfaction mesuré dans les directions doit sans doute alerter fortement les pouvoirs publics sur la nature et l’ampleur de la défiance des acteurs de première ligne", préviennent-t-ils.