Depuis plus de deux semaines, l'usine d'incinération d'Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne est toujours bloquée. Aucun camion poubelle ne peut entrer décharger ses détritus. Les grévistes ont suivi l'entretien présidentiel. Un discours attendu.
Rassemblés sous une tente installée dans la cour de l’usine, une vingtaine de grévistes suivent grâce à un téléphone portable posé sur une table de camping, le discours d’Emmanuel Macron. Ils écoutent attentivement en grignotant leurs sandwiches. Au fur et à mesure que président s’exprime quelques réflexions fusent. Et lorsque celui-ci évoque le travail pénible des éboueurs et des égoutiers, Albert (nom d'emprunt), s'anime. "Pour une fois, il parle de nos métiers", dit cet ancien éboueur qui travaille maintenant au service technique des égoutiers de l’eau et l'assainissement. "On n'a pas gagné mais il a parlé de nous et rien que pour ça, je suis fier d’avoir bloqué l'entrée de l’usine". "Parce que pour une fois, on existe dans le discours du président", se félicite-t-il.
Ce mercredi à 13 heures, Emmanuel Macron s'adresse aux Français lors d'un entretien télévisé. Un sujet occupe tous les esprits : va-t-il oui ou non annoncer le retrait de sa réforme des retraites, adoptée au forceps ?
Marie travaille depuis 15 ans comme éboueur. Elle, à l'issue du discours ne cache pas sa déception. “Le président n’a qu’une logique, celle de l’argent, il n’entend pas les gens qui souffrent”, regrette-elle. Cette femme menue de 50 ans a fait dans sa vie de nombreux petits boulots. Après son divorce elle est entrée sur concours à la mairie de Paris tout d'abord comme fossoyeur, puis on lui a proposé de devenir éboueur, raconte-t-elle.
Elle parle du métier, très dur, du corps qui se fatigue. Si la réforme des retraites est votée, éboueur et agent d’assainissement, partiront à la retraite à 59 ans, au lieu de 57 et elle ne se voit pas faire 2 ans de plus. Demain, elle sera à la manifestation. Elle est "déterminée", dit-elle et continuera à se mobiliser de toutes ses forces contre ce qu'elle considère comme un passage en force du gouvernement.
Même déception pour Karim Kerkoudi, éboueur à la mairie de Paris, du 14e arrondissement et responsable de la Cgt FTDNEEA, Filière Traitement Déchets Nettoiement Eau Egouts Assainissement de la Ville de Paris. "Emmanuel Macron, a confirmé le mépris qu’il a pour le peuple français, et pour les grévistes, car si j’ai bien entendu, il n’a pas dit une seule fois le mot grève", explique Karim qui est présent sur le piquet de grève de l’incinérateur d’Ivry depuis le 6 mars.
La grille de l'usine est fermée et les grévistes filtrent les entrées. A l'intérieur, c'est ambiance feu de camp improvisé, pour tenir le coup et se réchauffer. Depuis près de trois semaines, l'usine d'incinération d'Ivry-sur-Seine est totalement bloquée. 100 % des salariés qui travaillent au traitement des déchets à Ivry sont en grève, explique un représentant syndical CGT.
Karim Kerkoudi travaille depuis 21 ans dans le secteur du traitement des déchets. Il regrette la surdité du président de la République : "70 % des Français sont contre cette réforme des retraites mais lui il n'entend rien", déplore-t-il. Il se battra jusqu'au bout pour lui mais aussi pour les autres. "Demain il y a une grande manif, c’est ma sixième manif et nous les éboueurs, on a décidé que pour la première fois qu'on allait défiler en tenue". "On veut être visible et entendu", insiste-t-il.
"Ici on occupe le dépôt d’Ivry et ce n'est ne pas de gaîté de cœur, on se gèle les pieds tous les soirs", renchérit Karim. "Mais ce mouvement, je pense qu’il est important, pour moi, mais aussi pour mes enfants, pour la jeunesse, parce que sinon on va laisser un "pays de merde" à nos enfants et ça je ne veux pas m'y résoudre".
"Soutenir ceux qui sont en première ligne"
Eric Geneste, militant du mouvement Alternatiba, est venu apporter en vélo cargo des plats cuisinés par des bénévoles pour "soutenir ceux qui sont en première ligne". Il regrette le "discours inaudible" du chef de l'Etat, qui "nous a bien fait comprendre qu'il ne bougera rien".
Après plus de deux semaines de grève, le blocage des trois sites d'incinération entourant Paris et des dépôts de bennes a provoqué l'amoncellement des ordures dans les rues de la capitale. Selon la mairie, 9.500 tonnes jonchaient les trottoirs, une estimation en légère augmentation pour la première fois depuis le début des réquisitions décidées jeudi par la préfecture de police.
Le discours présidentiel n'a pas entamé la détermination des grévistes. La grève des éboueurs parisiens est reconduite jusqu'à lundi, ont confirmé mercredi les responsables de la CGT qui bloquent l'accès à l'usine d'incinération d'Ivry.