Aujourd'hui âgée de 49 ans, Saadia se reconstruit à Stains, en Seine-Saint-Denis, auprès de ses trois jeunes filles. À l'occasion de le journée internationale contre les violences faites aux femmes, ce vendredi 25 novembre, elle raconte son calvaire physique et psychologique vécu avec son bourreau.
Quand Saadia parle de son ex-mari, elle l'appelle "ce monsieur". Un monsieur qu'elle a aimé et qu'elle a rencontré en 2011. "On s'est rencontré par le biais d'une amie. Marocain, il venait de mon pays et on a eu le coup de foudre. À tel point qu'on s'est marié un mois plus tard", raconte Saadia.
C'est cet amour qui lui fera supporter les coups, les insultes et les humiliations pendant plusieurs années. "La première fois qu'il m'a frappée, j'étais enceinte de ma première petite fille et j'étais à trois mois de grossesse", confie-t-elle. Il était 5 heures du matin, quand, allongée sur le dos, elle est réveillée par un coup de poing brutal sur son ventre. "J'ai hurlé de douleur tant le choc a été brutal", raconte Saadia. Désorientée, elle tente de se lever, mais n'y parvient pas. Allongée pendant une heure, elle parvient à s'extraire de son lit, et c'est à quatre pattes qu'elle se dirige vers le couloir en gémissant de douleur.
Son mari, auteur du coup-de-poing, vient vers elle et lui demande ce qu'elle a à pleurer comme ça et si elle veut qu'il appelle la police. Bouleversée et craignant d'être expulsée car elle est sans papiers, Saadia n'ose rien dire. Il part et la laisse à même le sol. "C'était un dimanche matin, et je savais qu'il allait se rendre au bar du coin pour boire de l'alcool à 8h du matin", raconte Saadia. La veille, le couple s'était disputé car Saadia n'avait donné à son mari que 10 euros. Saadia lui avait donné cette somme pour acheter une salade et du Destop et il lui avait hurlé dessus en exigeant plus. "Il m'a jeté le billet à la figure en me disant : 'Tiens ton argent de merde, je ne suis pas un gamin pour n'avoir que 10 euros', et il est sorti", se souvient-elle. Une date inoubliable car c'est la première fois qu'elle entend son mari lui parler comme cela.
Ce même soir, le couple doit recevoir le frère du mari et sa femme. Saadia prépare le repas et entend le bruit de la clé dans la porte d'entrée. Son mari est revenu, empli de colère. Les invités arrivent. Durant toute la soirée, son mari est tout sourire et bienveillant. Dès leur départ, son visage se referme soudainement et il redevient glacial envers sa femme. Avant l'heure du coucher, son comportement est très nerveux. Craintive, Saadia finit de ranger la vaisselle et va se coucher dans le lit conjugal. Son mari lui tourne le dos de manière ostentatoire. Le réveil sera brutal.
Le début de l'emprise
Après le départ de son mari, elle appelle son beau-frère en larmes, qui arrive et apprend que Saadia est enceinte. "Mon mari m'avait ordonné de ne pas parler de ma grossesse et j'étais très gênée vis-à-vis de mon beau-frère qui m'a demandé pourquoi, alors que la veille tous dînaient ensemble, l'annonce de ce bel événement n'avait pas été faite". Le beau-frère prend les choses en main et appelle les pompiers qui insistent auprès de Saadia pour comprendre comment elle a pu recevoir un tel choc au ventre. Les signes de violences sont là. Conduite à l'hôpital, elle revient chez elle, rassurée par les résultats de l'échographie, et décide de ne pas porter plainte. "J'attendais mon premier bébé et j'aimais mon mari. J'ai fini par croire ce qu'il disait à son frère, comme quoi il s'était juste retourné un peu trop vite dans le lit et qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il m'avait touchée un peu fort ", raconte-t-elle.
Une version de l'histoire que Saadia accepte. Impossible pour elle d'imaginer son mari si violent, surtout qu'ils s'aiment et qu'ils attendent leur premier enfant.
Seulement, depuis plusieurs mois, son mari avait la main mise sur tout l'argent que la jeune femme gagnait en étant nounou non-déclarée. "Pourtant, lui-même gagnait sa vie et travaillait à Peugeot à Aulnay-sous-Bois, mais moi je gagnais plus que lui avec mes gardes d'enfants et il ne me laissait rien. Il faisait les courses, allait au marché et j'étais obligée de tout lui donner", poursuit-elle. En plus de la contrôler financièrement, il lui ôtait sa liberté.
L'isolement de Saadia a commencé après une sortie entre copines qui a viré au cauchemar. Alors qu'elle est invitée par des copines à fêter leur première année de mariage, car une d'entre elles s'est mariée à la même date qu'elle et attend aussi son premier enfant, elle demande la permission à son mari de sortir. Celui-ci lui conseille d'aller retrouver ses copines et de s'aérer.
Elle retrouve ses copines à Saint-Lazare et voit qu'elle a un message sur son répondeur. Elle l'écoute et fond en larmes. "Il m'a laissé un message dans lequel il me disait que lorsque je reviendrais de ma petite sortie entre filles, la serrure de l'appartement serait changée et qu'il ne serait pas présent pour l'accouchement et qu'il ne reconnaîtrait même pas notre enfant", rapporte Saadia, toujours aussi émue après plus de 11 ans. La sortie vire au cauchemar. Ses copines appellent un taxi et toutes ensemble se rendent à Stains, là où vit la jeune femme. Sa clé ne permettra plus d'ouvrir la serrure du logement. Elle s'effondre, n'a rien sur elle, et son traitement pour son diabète fœtal est resté à l'intérieur. Elle n'ose toujours pas porter plainte et sera hébergée une semaine par une de ses amies.
L'isolement, une prison
Au bout de douze jours, alors qu'elle supplie la famille de son mari de l'aider, elle n'obtient aucun soutien. Seule en France, elle décide, résignée, de retourner au domicile conjugal. Le cauchemar reprend de plus belle. L'ambiance sera la même jusqu'à l'accouchement de sa fille en 2012. Saadia finit par se renfermer. Plus personne ne vient à la maison. Elle attend son second enfant, une nouvelle petite fille. Elle finira sa grossesse dans la peur, l'angoisse des disputes, et les remarques humiliantes et accouchera en juillet 2014. Elle confiera, plus-tard, qu'elle l'aimait toujours. "L'amour rend vraiment aveugle, je peux le dire maintenant et c'est pour cela que je suis restée. J'ai été naïve de le croire, mais j'espérais qu'il change", déclare-t-elle.
Ne pouvant plus se rendre à son travail avec deux enfants en bas-âge, elle se retrouve enfermée avec son époux qui vient d'être licencié. Les coups, les insultes, les humiliations seront le quotidien de Saadia. Entre-temps, sa situation se régularise et elle obtient sa carte de résidence en janvier 2015. Un jour, elle décide d'en parler à une assistante sociale de la ville qui l'oriente vers le CIDFF 93 (Le Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles). Prise en charge, on lui conseille de porter plainte et on l'aide à s'inscrire à Pôle emploi pour qu'elle puisse suivre une formation d'assistante maternelle. Galvanisée, car elle se sent accompagnée avec des projets professionnels, elle se rend au commissariat pour porter plainte.
Seulement, le lendemain, elle revient pour annuler sa plainte. Le commissaire lui parle et lui explique qu'elle doit quitter ce mari violent. Pour la convaincre, il lui dévoile que son mari est déjà connu des services pour une précédente plainte de violences conjugales avant son mariage avec Saadia. Ce jour-là, elle finit par comprendre pourquoi son dossier d'agrément pour devenir assistante maternelle a toujours été retoqué. Malgré cette information, Saadia insiste pour ne plus porter plainte.
"J'ai expliqué que c'était le père de mes enfants et qu'il pouvait changer. D'ailleurs, depuis deux ans, il a arrêté de boire et essaie de retrouver le droit chemin", dira Saadia, comme pour se convaincre. Son mari écopera de trois ans de prison avec sursis, comme une épée de Damoclès qui planait au-dessus de sa tête. "Il était toujours colérique, me volait mon argent, me poussait tout le temps très fort. Mais comme il avait peur de la police, il arrêtait, mais moi, j'étais suivie psychologiquement et j'étais dans une angoisse permanente", raconte Saadia.
Elle tiendra jusqu'à sa troisième grossesse fin février 2016. "Je n'ai pas supporté de le voir molester mes filles parce qu'elles prenaient ma défense quand il me frappait. La grande lui a dit : 'arrête de taper maman s'il-te-plaît, tu vois bien qu'elle attend un bébé' et cela l'a mis hors de lui et il a poussé mes deux filles". Épuisée et en larmes, elle tenait son ventre et suppliait pour que cela cesse. "Je lui ai dit : 'nos filles ont grandi et elles comprennent maintenant'", se souvient-elle. Ce jour-là, le mari s'en va et ne reviendra plus. Saadia a accouché seule de sa troisième fille en octobre. En sortant de l'hôpital, personne n'est là et elle découvre que son mari a vidé son compte bancaire. "Je n'avais rien pour payer des couches, du lait et nourrir mes enfants", se remémore-t-elle. Elle se rend alors au CDIFF 93 et alerte sur la disparition de son mari. Prise en charge par l'association, Saadia ne sera plus jamais seule et décide cette fois-ci de porter plainte contre son mari.
Une parole retrouvée
"Saadia a pu être prise en charge, et être informée de ses droits grâce à un personnel formé, et c'est ce qu'on doit continuer à faire, et à avoir dans toutes les structures", enchaîne Céline Foulc du CIDFF 93. Le déclic arrive quand les victimes commencent à parler.
La parole de Saadia s'est libérée le jour où elle a alerté sa famille ou plutôt, la famille de son mari, quand elle est retournée pour la première fois au Maroc depuis son arrivée en France, une fois sa situation régularisée. Avec ses filles âgées de 2 ans et demi et de dix mois, Saadia arrive à Agadir en mai 2015. Elle se confie à sa belle-mère qui doute d'elle et lui reproche de mettre son fils en colère. Seulement, en août, son discours change. Son fils arrive pour l'été et commence à maltraiter sa femme devant sa mère. Sa belle-mère décide de venir en France pour un mois afin de soutenir Saadia, mais cela ne change rien aux crises de son fils. Elle ne reproche plus à Saadia de vouloir quitter son fils et l'encourage même.
Mais Saadia résiste et espère toujours que le père de ses enfants va finir par se calmer. "J'étais naïve et comme je suis croyante, je pensais qu'il allait se calmer. Mais j'étais soulagée d'avoir le soutien de ma belle-mère, car c'était important pour moi qu'elle me croie", reconnaît Saadia.
Elle a réussi à faire évoluer les mentalités et ce, aussi bien dans sa culture que dans son cercle familial : "Ma belle-mère, je l'adore aujourd'hui. C'est ma meilleure amie et c'est à elle que je me confie pour tout, maintenant. Vous savez, j'ai tout accepté car, dans ma culture, on laisse les familles arranger les histoires de couple, mais ma belle-mère a bien vu que cela n'allait pas suffire".
Saadia est toujours accompagnée par le CIDFF. C'est avec l'association qu'elle a entamé les poursuites judiciaires pour abandon de domicile conjugal à l'encontre de son mari.
Elle ne reverra, "ce monsieur" qu'au tribunal, quelques mois après son accouchement. La juge confiera la garde exclusive des enfants à la mère. Quelques mois plus tard, son ex-mari obtient un droit de visite d'une journée durant le week-end. "On m'a expliqué que je n'avais pas le droit de lui refuser, car c'est le père de mes filles. La grande le connaît depuis longtemps, et la dernière, même s'il ne l'a jamais connu, a le droit de connaître son père", concède Saadia.
Quand il vient les chercher, Saadia refuse de le voir et met ses filles dans l'ascenseur. Cette journée du week-end, c'est toujours la plus longue pour elle qui attend que l'interphone sonne pour y entendre la voix de ses filles revenues, enfin. Sa crainte : qu'un jour leur père obtienne l'autorisation de les prendre un mois durant l'été au Maroc, un souhait qu'il formule régulièrement. Saadia prévient : "s'il obtient un jour ce droit, j'irai voir le ou la juge, et je leur dirai que si quelque chose arrivait à mes filles, je les tiendrais pour responsables".
Après 12 ans d'enfer, aujourd'hui âgée de 49 ans, Saadia se reconstruit avec trois filles âgées de onze, huit et six ans. Elle témoigne dès qu'elle le peut pour qu'aucune autre femme n'accepte ce qu'elle a enduré. "Je remercie le CIDFF et la France pour nous avoir sauvées, moi et mes filles, d'un mari pervers narcissique qui m'a fait endurer le pire", clame-t-elle.
Elle est officiellement divorcée depuis trois mois. Maintenant, elle se démène pour pouvoir quitter son domicile, un F2 à Stains, où elle a emménagé quand elle venait de se marier. "Je tournerai définitivement la page quand j'aurai quitté ce logement où tout a commencé et où mes filles sont nées dans cet univers fait uniquement de violences". Elle attend que sa demande de logement soit acceptée pour pouvoir, enfin, redémarrer sa nouvelle vie avec ses filles : "J'ai envie que mes filles évoluent dans un nouvel endroit où elles auront un nouveau départ avec leur maman qui n'est plus une victime, et elles non plus, et que toutes ensembles, nous commencions une nouvelle vie", souffle Saadia.