A l'occasion de la publication de son livre "Avocat des Libertés" aux éditions Nouveau Monde, nous avons rencontré Yassine Bouzrou. Portrait d'un avocat qui n’est pas issu du sérail, au parcours hors norme et qui est devenu une pointure dans les prétoires.
Yassine Bouzrou ne craint pas d’être dans la lumière. « Je pense qu’un avocat pénaliste qui n’a pas d’égo, ça n’existe pas. Bien entendu, il y a une part d’égo dans toute cela. »
De footballeur à avocat
A 42 ans, cet avocat décrit par le milieu judiciaire comme étant l’un des meilleurs pénalistes de sa génération est un enfant de la banlieue parisienne ; son ascension fulgurante, il ne la doit qu’à lui-même.
Son père est chauffeur livreur à Rungis, sa mère, garde malade. La fratrie est composée de 5 enfants. Yassine Bouzrou est né à Bezons dans le Val d’Oise, il grandit à Courbevoie (Hauts-de-Seine) où il a conservé ses amis. A 9 ans, il se voit footballeur professionnel, il usera ses crampons dans le club de Courbevoie puis celui de Boulogne-Billancourt où il sera d’ailleurs sacré meilleur buteur des Hauts-de-Seine.
J’avais des facilités scolaires mais je n’étais pas très discipliné.
Yassine Bouzrou
Des exploits remarqués sur la pelouse, mais à l’époque, à l’école, c’est par sa turbulence qu’il se distingue : « J’avais des facilités scolaires mais je n’étais pas très discipliné. Je préférais passer mon temps ne dehors de l’école », avoue-t-il. Volontiers bagarreur, le jeune Yassine se fait renvoyer de plusieurs établissements. Le droit va le réconcilier avec les études : « à l’âge de 13 ans, j’adorais défendre tout le monde, tous mes camarades de classe et passionné par les séries et les films sur la justice, j’ai commencé à m’intéresser au métier d’avocat », poursuit Yassine Bouzrou.
Titulaire d’un bac technologique, il souhaite s’orienter en fac de droit mais là encore, l’éducation nationale ne voit pas les choses d’un bon œil. « Je suis tombé sur des interlocuteurs qui me décourageaient et m’orientaient vers telle ou telle filière en me décourageant d’entreprendre des études supérieures (…) j’ai bien fait de ne pas suivre ces conseils », s'exclame-t-il. Il intègre la faculté d’Assas, obtient ses diplômes sans difficulté, sa spécialisation est une évidence « pour moi, le droit n’existe qu’à travers le droit pénal. »
L’avocat des Champs-Elysées
Le temps d’un stage, Yassine Bouzrou fait ses armes auprès de Jean-Yves Lienard, Christian Saint-Palais et Jean-Yves Le Borgne, tous pénalistes de renom. Il prête serment le 25 Octobre 2007 et ouvre le même jour son propre cabinet, un fait sans précédent. « J’ai besoin d’être indépendant en toute circonstance, et les circonstances me le permettaient. J’étais en quelque sorte conseiller juridique bénévole quand j’étais étudiant. Vu le nombre d’établissements scolaires fréquentés, je connaissais beaucoup de monde (sourires), donc le jour où je suis devenu avocat, j’avais déjà une clientèle potentielle assez importante », assure-t-il.
Son frère ainé lui achète sa robe, Yassine Bouzrou a des frais importants : il a choisi de s’installer sur les Champs-Elysées. « Je suis un enfant de la banlieue ouest des Hauts-de-Seine donc le Paris proche où j’ai grandi, ce sont les Champs ! » Son bureau est minuscule, au-dessus du Mac-Donalds, mais l’adresse prestigieuse : « c’était bien en terme de clients potentiels, j’avais d’ailleurs des clients qui me surnommaient l’avocat Champs-Elysées. »
Pendant 6 mois à Nanterre, il enchaîne les affaires de stupéfiants et les comparutions immédiates. Il obtient des relaxes. En prison, son nom court derrière les barreaux. En 2008, il est appelé par l’un des lieutenants de Youssouf Fofana pour assurer sa défense au procès du Gang des Barbares (Ndlr : Assassinat d’Ilan Halimi). Il sera le seul avocat à obtenir des acquittements. Trois codes de procédure pénale sous la main (un dans sa sacoche, un sur son bureau et un dans sa voiture au cas où), Yassine Bouzrou se fait un rapidement un nom. Il intègre le top 30 des avocats les plus influents de France alors qu’il n’a pas encore trois ans de barreau.
L'avocat des libertés
Yassine Bouzrou travaille sur son premier dossier alors qu’il est encore étudiant : l’affaire Abou Bakari Tandia, un sans-papiers qui tombe dans le coma et meurt après son passage en garde à vue au commissariat de Courbevoie en Janvier 2004. Il s’y plonge à corps perdu, l’affaire se conclut par un non lieu mais en 2008 la bavure de Montfermeil, filmée par Ladj Ly et qui inspirera le film « Les Misérables » lui donne une notoriété nationale. Il obtient la condamnation des policiers et se passionne pour la matière. « J'ai vite compris que c’était une matière difficile où on se trouvait face à une institution, une machine (…) donc cela m’a plu d’aider ces victimes », affirme-t-il.
Nous avons un système judiciaire qui protège les forces de l’ordre.
Yassine Bouzrou
Depuis cinq ans, son nom est indissociable de celui d’Adama Traoré, mort peu de temps après son interpellation à Beaumont/Oise et dont il représente la famille. Dans son livre « Avocat des Libertés », Yassine Bouzrou dénonce un régime dérogatoire favorable aux forces de l’ordre dans le système judiciaire : « Nous avons un système judiciaire qui protège les forces de l’ordre lorsqu’elles commettent des infractions pénales. Il y a une impunité quasi systématique : soit les policiers ne feront pas l’objet de poursuites judiciaires, soit ils feront l’objet de poursuites mais avec des sanctions tellement faibles que cela en devient totalement ridicule. Selon moi, en France, le problème des violences policières illégitimes est un problème de violence judiciaire avec une justice qui ne fonctionne pas comme elle devrait fonctionner dans les autres cas. »
Ces affaires ont contribué à sa médiatisation, pour autant Yassine Bouzrou refuse l’étiquette 'anti-flic' . « Je suis anti-policiers qui commettent des violences illégitimes.»
Son travail, Yassine Bouzrou, le raconte dans le livre qu'il vient tout juste de publier aux éditions Nouveau Monde.
Un avocat pressé
A 42 ans, Yassine Bouzrou refuse qu’on le mette dans une case, il revendique son éclectisme. Si son nom est souvent associé aux violences policières illégitimes, elles ne représentent que 5% du portefeuille de son cabinet sur les 1500 dossiers à son actif depuis 15 ans : affaire Zahia, défenseur de Piotr Pavlenski dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Griveaux, il représente également des victimes dans l’attentat de Nice.
Père de deux enfants, amateur de rap français où il compte quelques clients, il ne manque aucun match de l’OM. Dans son parking, public, trône sa Ferrari, recouverte de poussière « ça dissuade », s’amuse-t-il. La vitesse, il aime cela, dans sa carrière comme sur les circuits automobiles. Avec sept victoires sur dix obtenues pour ses clients, l’ancien bagarreur de la banlieue ouest s’est forgé deux nouveaux surnoms : « Relaxator » par ses clients (en référence aux relaxes et 'Acquittator' associé à Eric Dupond-Moretti) et « l’As de la procédure » conféré par les policiers.
L'avocat a toujours refusé les reportages télévisés. Laurence Barbry et Louise Simmondet l'ont rencontré. Un reportage de France 3 Paris Île-de-France.