Le film culte, qui a lancé les carrières de Mathieu Kassovitz et Vincent Cassel, est de retour au cinéma. Recrutement de centaines de figurants sur place, image du quartier, impact médiatique… Making-of du tournage à Chanteloup-les-Vignes, 25 ans après, avec l'ancien maire Pierre Cardo.
"L’important, c’est pas la chute. C’est l’atterrissage." A l’occasion de son 25e anniversaire, La Haine ressort cette semaine au cinéma, avec une version restaurée 4K. L’œuvre réalisée par Mathieu Kassovitz suit pendant 24 heures un trio d’amis – Vinz (Vincent Cassel), Saïd (Saïd Taghmaoui) et Hubert (Hubert Koundé) – après une nuit d’affrontements entre jeunes et policiers dans une cité en région parisienne. Violences policières, discriminations… Le sujet semble toujours bel et bien d’actualité.A Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), où le long-métrage a été tourné, la situation a ceci dit évolué. "Les années qui ont suivi, on a connu encore des problèmes bien sûr mais le film a créé petit à petit beaucoup de liens", se rappelle Pierre Cardo, l’ancien maire UMP de 1983 à 2009.
"A l’époque, l’équipe de production cherchait en vain une commune, personne ne voulait accueillir le tournage, se souvient l’élu. Le contexte était assez chaud, et les mairies de banlieue considéraient que ce n’était pas le moment. J’étais assez préoccupé par rapport à l’image de la ville quand ils m’ont contacté. Même si c’est une œuvre d’art, une fiction, il y a toujours une certaine défiance à l’égard du traitement médiatique. J’ai fini par dire oui, à condition de prendre contact avec le tissu associatif, et d’impliquer les habitants."Personne ne voulait accueillir le tournage
300 figurants recrutés parmi les habitants
Une chance pour l’équipe du film : parmi une liste des 20 quartiers, le maire de Chanteloup est le seul à accepter. "A l’époque, le projet s’appelait "Droit de cité", et non pas "La Haine", note d’ailleurs l’ex-édile. J’ai gardé le clap avec l’ancien titre." Un changement de nom décidé face aux nombreux refus, selon les explications du producteur Christophe Rossignon à France 3 : "On avait un peu modifié le scénario. C’était un mensonge assumé."Suit le tournage, de septembre à novembre 1994. "Les deux premiers jours de l’installation, ils ont eu droit au bizutage classique, quelqu’un a essayé de leur piquer une caméra… Mais les médiateurs ont vite pris le relai", raconte Pierre Cardo. Au total, près de 300 figurants et une dizaine de personnes pour la régie sont recrutés sur place. "On est arrivé trois mois à l'avance, on dormait sur place, détaille même Mathieu Kassovitz à Télérama. C'était le temps nécessaire pour faire comprendre qu'on n'était pas une équipe de Navarro."Le tournage crée parfois des situations insolites, se remémore Pierre Cardo : "Des figurants s’habillaient avec des tenues de CRS. Et certains habitants les ont pris comme tels. J’ai reçu des coups de fils de personnes qui se disaient satisfaites d’avoir plus de sécurité. Psychologiquement, c’est amusant, ça calme le jeu."Des figurants s’habillaient avec des tenues de CRS. Et certains habitants les ont pris comme tels.
Une commune débordée par l’impact médiatique après la sortie du film
L’ancien maire se dit surtout satisfait d’avoir vu "les jeunes s’approprier le film" : "Le calme étant un peu revenu, ça a complément changé l’ambiance. Et ça m’a conforté dans mes convictions. Si on transforme les habitants en acteurs, au sens large, ils prennent possession de leur vie. Les institutions, la police et la justice ne peuvent pas tout régler."Alors que d’autres scènes sont tournées à Paris, le long-métrage est finalement projeté en 1995 au festival de Cannes, et remporte le prix de la mise en scène. Nommé ensuite 11 fois aux César, le film décroche trois récompenses, dont le César du meilleur film. Un succès dans les salles, aussi : La Haine réalisera deux millions d’entrées en France. Avant la sortie officielle, "on a eu droit à une avant-première à Chanteloup, raconte Pierre Cardo. Des jeunes sont même partis à Cannes." De quoi provoquer une gaffe : "Je voulais qu’on taise le lieu de tournage, car je ne voulais pas d’un écriteau "Chanteloup, c’est "La Haine". Mais lors du festival, certains n’ont pas pu retenir leur joie."
Pierre Cardo explique que la commune a ensuite été débordée par l’impact médiatique : "Certains médias ont associé la commune aux problèmes de "La Haine", et c’est cette image qui l’a emporté. C’était tellement facile de résumer la réalité de la banlieue comme ça. On a plus ou moins digéré ce traitement."
"On a eu raison de faire ce tournage"
L’ancien maire juge au contraire que "le film ne présente pas les quartiers d’une façon si terrible. Les gens ont même été surpris de voir s’exprimer pour la première fois les sentiments des jeunes, et leur point de vue dans leur relation aux autorités. J’ai trouvé qu’il représentait une partie de cette jeunesse, même si les portraits et les chemins de vie sont extrêmement différents en banlieue. Une seule chose m’a choqué à titre personnel, c’est la représentation du maire qu’on retrouve dans beaucoup de films, accompagné de nombreux politiques dans le quartier. Personnellement, je suis toujours descendu tout seul, sans garde du corps. Je portais une écharpe blanche, je n’étais ni flic, ni voyou."Est-ce qu’on va un jour considérer les habitants des quartiers comme des citoyens à part entière ?
Au final, La Haine a-t-elle provoqué une pub négative ? "Les jeunes, eux, en sont fiers. Après, ça dépend à qui vous en parlez… Mais je pense qu’on a eu raison de faire ce tournage. "La Haine" a apporté du positif à Chanteloup-les-Vignes. Et c’est dommage qu’on ne puisse pas renouveler ce genre d’aventures, ça donne une âme, ça regroupe les gens. Il faut donner l’occasion aux jeunes d’exister. Est-ce qu’on va un jour considérer les habitants des quartiers comme des citoyens à part entière ? Quand j’entends certains, je n’en ai pas l’impression, et ça me peine. Il faut faire appel à la médiation, à des personnalités pour créer des événements. "La Haine", c’était une bonne idée. Il faudrait aujourd’hui faire preuve de la même imagination et de la même ouverture d’esprit."
L’œuvre culte de Mathieu Kassovitz, elle, sera en tout cas bientôt adaptée en comédie musicale.