La forêt de Rambouillet et ses 22 000 hectares sont menacés par la sécheresse. Grâce à son réseau de cours d'eau, d'étangs, et de marais, elle était considérée comme "le château d'eau" des Yvelines. Mais aujourd'hui, la faune et la flore sont mises à rude épreuve en raison de l'assèchement des nappes phréatiques.
Mi-avril, la pluie tombe imperturbablement sur ce bout de forêt de Rambouillet dans les Yvelines. Pourtant, parmi les 41 points d'eau que compte cette partie de la réserve biologique (dont le lieu n'est pas mentionné pour prévenir les risques de braconnage), seuls 11 sont en eau.
Depuis que Laurent Tillon, biologiste et ingénieur forestier à l'Office National des Forêts (ONF), les étudie, il n'a jamais vu une telle situation. "Il existe certains secteurs encore où l'on considérait qu'on s'en sortait quand même pas trop mal. C'était le cas des forêts en Normandie, des forêts bretonnes, des forêts picardes ou du nord de la France et puis des forêts de tout le Bassin parisien, forêt de Rambouillet comprise. Jusqu'à l'an dernier, en 2022", constate-t-il, amère.
Ce fin observateur de la forêt, qui a écrit trois ouvrages sur le thème (Être un chêne ou Les Fantômes de la nuit, des chauves-souris et des hommes chez Actes Sud), s'est décidé à lancer une alerte face à la situation dramatique que vivent les amphibiens. Car si les points d'eau sont nécessaires pour abreuver les mammifères, ils sont surtout décisifs pour la faune et la flore.
La réserve biologique abrite ainsi une zone marécageuse qui se charge en eau de l'automne à la fin de l'hiver et sert, en quelque sorte, de grosse éponge qui restitue l'eau dans le courant du printemps et au début de l'été. Mais les faibles précipitations n'ont pas permis d'alimenter les nappes phréatiques. Les arbres ont alors trouvé dans ces points d'eau une ressource pour se maintenir en vie et les ont asséchés.
Des nappes phréatiques au plus bas
Selon le dernier rapport du BRGM, les pluies d'automne ont été insuffisantes pour recharger le stock d'eau des nappes phréatiques, et compenser le déficit pluvial en 2022 malgré les pluies récentes.
Le niveau des nappes est aujourd'hui en dessous de la moyenne des 5 dernières années comme nous le montre cette infographie basée sur les données de l'ADES, le portail national d'accès aux données sur les eaux souterraines.
Des populations d'insectes aquatiques pourraient disparaître
Première victime du manque d'eau, les amphibiens. "Ça ne nous a pas inquiétés tout de suite parce que dans le jeu effectivement des aléas climatiques, il y a des années qui sont très bonnes pour la reproduction des amphibiens et d'autres qui le sont beaucoup moins", explique Laurent Tillon.
Les tritons, crapauds et grenouilles pondent en effet entre février et avril selon les espèces. Le cycle larvaire dure ensuite trois à quatre mois. C'est au plus tôt en juin que les petits amphibiens, dont les branchies se sont atrophiées pour laisser place à des poumons, sortent de l'eau pour gagner les sous-bois.
Même avec son œil aguerri, ce biologiste à l'ONF a, cette année, des difficultés à trouver des têtards. Enfants comme parents sont d'ailleurs invités à ne pas les prendre dans les forêts qu'ils visitent.
Autre population fortement touchée par le manque d'eau : les insectes aquatiques comme les libellules et les coléoptères. "Les amphibiens peuvent vivre plusieurs années adultes. Donc si une année ils ne peuvent pas se reproduire, l'année d'après ils vont se rattraper. Une libellule, il lui faut obligatoirement un point d'eau chaque année car elle a un cycle d'un an", poursuit-il.
Le visage des forêts va changer
Si les récentes pluies ont permis d'arroser la forêt, il ne s'agit que d'un faible répit. Il faudrait qu'il pleuve tous les jours jusqu'à juillet pour que la nappe phréatique se remplisse suffisamment. "Ce qui veut dire que la plupart de l'eau qui est tombée ne va pas aller en profondeur et les arbres ne vont pas avoir d'eau à leur disposition et risquent de dépérir", prédit Laurent Tillon. Selon lui, il s'agit "d'un risque pour tous les arbres de toutes les forêts européennes".
Les forêts du nord de la France pourraient-elles changer de visage ? Oui, obligatoirement, anticipe Laurent Tillon : "On plante des essences exotiques sur de toutes petites surfaces. Ce sont des tests parce que l'on fait face à cette problématique-là de manière très claire, pourtant, personne ne le croit."
D'ici 25 à 30 ans, les paysages auront changé et ressembleront à ceux méditerranéens (qui, eux, ressembleront à ceux de pays sahéliens). "Notre gestion forestière est d'anticiper un peu ce qui va se passer. Car le réchauffement que l'on vit actuellement est tellement rapide que l'on doit aider un peu la nature. Pour donner un exemple, le chêne vert, qui est une essence forestière et un arbre que l'on trouve plutôt sur le pourtour méditerranéen, en théorie, on l'aurait dans 600 ans. Donc soit on attend, avec le risque qu'à échéance de 70/80 ans, il n'y ait plus de forêt du tout. Soit on fait des essais et on le plante dès maintenant", poursuit-il.
La résilience des forêts est mise à rude épreuve. Avec le risque, un jour, d'en faire des sanctuaires non autorisés aux visiteurs que ce soit pour des raisons de sécurité (éviter les chutes d'arbres morts) ou de protection de la biodiversité.