Par une impressionnante qualité d’images d’animaux familiers ou menacés de notre région, ce documentaire-évènement nous démontre l’utilité des espèces qui peuplent nos paysages et nous alerte sur leur fragilité face aux déséquilibres de la biodiversité.
Et si un récit en images de 52 minutes parvenait à faire autant pour la prise de conscience des menaces qui pèsent sur notre environnement le plus proche que des heures de discours ? "Loire terre sauvage" porte cette ambition.
À Saint-Brévin, on peut parier que toutes celles et ceux qui l’auront vu regarderont désormais attentivement où ils posent les pieds sur la plage pour ne pas écraser les œufs des dix seuls couples de gravelots à collier interrompus qui nichent en Loire-Atlantique.
Dans les jardins ou les parcs et malgré les traces de leur présence sous les pelouses, peut-être qu’on se posera quelques questions avant de piéger les taupes. Et plus généralement, tout un chacun pourra réaliser concrètement les conséquences de l’effondrement dramatique de la biodiversité sur notre quotidien.
La grande qualité du documentaire de Nicolas Goudeau-Monvois est de nous sensibiliser à ces dangers en laissant l’homme à sa juste place : celle d’un occupant du paysage, responsable collectivement de sa dégradation, capable pourtant par des actions parfois individuelles de lui apporter les soins réparateurs dont il a besoin.
Les vrais personnages du film sont des animaux, qui ont autant que l’homme toute légitimité à occuper cet espace, à s’y nourrir et à s’y reproduire, ce que nos modes de vie et de production leur rendent d’année en année plus difficile.
La biodiversité au service de nos sols
L’histoire commence sous terre, dans le vignoble du Layon dans un domaine viticole où la nature est redevenue reine : voici par ordre d’apparition à l’écran les collemboles, arthropodes de moins d’un millimètre qui œuvrent par milliers à aérer les sols et à fabriquer l’humus ; le lombric, filmé de tellement près qu’on le croirait sorti de Dune ; la taupe enfin, capturée par l’objectif dans l’une de ses galeries dévorant le pauvre lombric et nombre de ces congénères – la vorace doit manger l’équivalent de son poids chaque jour. Trois espèces des plus communes mais dont les actions concertées maintiennent les sols vivants, et en permettent l’exploitation respectueuse.
À l’inverse, quelques plans de drone et le recours judicieux aux effets spéciaux nous précipitent dans le cauchemar de la monoculture : arrachage de haies et de bosquets, assèchement des mares et regroupement des parcelles ont concrétisé au fil dans ans un idéal productiviste entretenu par le progrès sans repos de la mécanisation et le recours systématique aux engrais chimiques et aux pesticides. L’Anjou, aux paysages pourtant si pittoresques et souvent préservés en bord de Loire est aussi ce territoire gagné par l’uniformisation de la culture du maïs ou du blé, à perte de vue.
Là où la polyculture maintenait la variété animale a succédé un désert : adieu libellules, grenouilles, hiboux, scarabées. 90% des espèces présentes hier ont disparu de nos champs. "Loire terre sauvage" nous montre l’un des derniers habitants de ce triste environnement : on admire le talent constructeur du minuscule rat des moissons capable de tresser avec adresse et frénésie un incroyable nid en suspension dans les tiges de blé.
Mais il est l’un des tout derniers locataires de ce territoire stérile. Les lourds engins qui le parcourent ont tassé le sol. L’eau dont ces cultures sont gourmandes ruisselle désormais à sa surface et entraîne avec elle la chimie qu’on y a répandue, jusque dans la Loire et ses affluents.
Capable de nous ouvrir les yeux sur l’insoutenable fragilité de l’être sauvage avec pédagogie, "Loire terre sauvage" nous fait également prendre conscience du rôle ambigu joué par les espèces invasives. Dans les marais de Brière, l’écrevisse de Louisiane a fait disparaître les herbiers aquatiques, entraînant l’éviction de toute la faune qui y trouvait refuge, et qui fournissaient la nourriture d’autres espèces.
Parmi celles-ci, la Guifette Moustac, un oiseau protégé qui ressemble à une sterne. Par chance amatrice d’écrevisses, elle en fait désormais son régal. Mais l’écrevisse est désormais sa source d’alimentation exclusive. Si demain l’écrevisse est frappée d’extinction par une maladie, la guifette ne pourra plus se nourrir en Brière, et disparaîtra à son tour.
Les invasives, dont la présence est intimement lié à la mondialisation des échanges modifient profondément l’équilibre de zones même les plus protégées. Conquérantes, comme l’écrevisse ou la jussie pour les végétaux, rien ne semble les arrêter… sauf l’arrivée d’une espèce encore plus invasive qui la supplantera.
Gravelot et Ours Blanc, même combat !
Il existe heureusement encore des havres de paix pour la faune en Pays de la Loire. Le lac de Grand-Lieu en est le parfait exemple. Son accès est interdit au public, ce qui a permis à de nombreuses espèces de s’y installer et d’y prospérer. Ainsi la Grande Aigrette très menacée dans les années 90, devenue commune aujourd’hui. Un environnement préservé qui permet à Nicolas Goudeau-Monvois de nous captiver avec le combat d’un couple d’échasses blanches contre une belette venue s’approcher trop près du nid et des oisillons sans défense.
Suivant le courant, "Loire Terre Sauvage" termine son récit à l’embouchure du fleuve, paysage paradoxal qui résume toutes nos contradictions : riche diversité des eaux douces et salées mélangées de l’estuaire, industrialisation polluante et menaçante, excès de présence humaine avec le développement touristique. Comme un appel à regarder le littoral comme un formidable gisement de vie plutôt qu’un espace voué aux seuls loisirs, le documentaire nous laisse à la fois émerveillés par la ténacité des espèces les plus fragiles à continuer d’y habiter, et un peu désemparés de contribuer à leur rendre la vie difficile voire impossible, par notre inconscience.
Peut-on s’émouvoir autant du sort du petit gravelot à collier interrompu luttant contre une tempête de sable sur une plage de Loire-Atlantique que de celui de l’ours blanc victime de la fonte de la banquise ? Assurément, les deux causes valent qu’on s’y consacre. C’est toute la valeur de "Loire Terre Sauvage" de nous sensibiliser à la fragilité qui nous environne, la plus immédiate, celle pour laquelle nous pouvons agir sans difficulté ni délai.
"Loire Terre Sauvage" de Nicolas Goudeau-Monvois, une coproduction France 3 Pays de la Loire - Nomades
► Diffusion jeudi 2 juin à 23h sur France 3 Centre-Val de Loire.
Première diffusion jeudi 17 mars à 23h15, rediffusions à 9h50 le jeudi 31 mars et le mercredi 13 avril.