Aux permanences du Centre LGBTQI+ Nosig à Nantes, ados et jeunes adultes en transition de genre se succèdent en quête de soutien. Trois femmes trans, Martine, Gwenola et Clara les accueillent lors de ces rendez-vous que le documentaire en immersion "Unique en mon genre" retrace avec sensibilité.
Ils s’appellent Asaël, Thiago, Léon. Elles s’appellent Mélanie, ou Emma. Ces prénoms ne sont pas ceux qui leur ont été donnés à la naissance, mais ceux qu’ils et elles se sont choisis pour vivre en adéquation avec leur identité. Le parcours qu’ils et elles ont entamé est complexe et tourmenté, il tranche avec l’évidence qui les habite : être homme dans un corps féminin, être femme dans un corps masculin. Un corps qui va devoir changer pour devenir enfin qui on est.
Martine, présidente de la commission trans du centre Nosig (Nos Orientations Sexuelles et Identités de Genre) de Nantes le constate : les transitions s’amorcent de plus en plus jeune, notamment durant la scolarité au lycée.
Comme Aélio qui dès le jour de la rentrée demande à ses profs de l’appeler par ce prénom et pas par celui qui figure sur son état-civil. Il veut entamer une hormonothérapie pour effacer toute ambigüité sur le fait qu’il est aujourd’hui et sera demain un garçon. Léon avait fait la même demande sans succès dans son lycée. Aujourd’hui étudiant, il est parvenu à le faire admettre dans son école, et ça lui fait du bien au moral.
"Et si elle se trompait" ? s’interroge tout haut le père de Noë, 19 ans. Son enfant qu’il appelle encore sa fille lui a écrit une longue lettre qui commence au féminin et se termine au masculin, résumé explicite de sa démarche.
Il n’était pas préparé. Il a lu la lettre cent fois, s’embrouille désormais entre "il" et "elle", fait des efforts mais ne parvient pas à lui donner le prénom qu’elle revendique désormais comme le sien. Il veut voir son enfant heureux, mais l’idée d’une transition définitive l’effraie. Pour les parents, confrontés à cette urgence impérieuse, ça va souvent trop vite, dès lors que se pose la question de la chirurgie.
Mais pour leurs ados pris au piège d’un corps qui ne leur ressemble pas, il en va tout autrement. Les parents qui poussent la porte des permanences de Nosig sont certes secoués, perdus, plein de questions et de résistances, mais ils veulent comprendre et surtout ne pas rompre le lien de parentalité. Dans bien des cas pourtant, la révélation de l’impératif de transition entraîne des ruptures violentes.
"Mon père était plus proche du chien que de moi, il l’appellait fiston" témoigne Emma, jeune femme trans de 23 ans. "Il m’a dit : tu imagines ce que nous on ressent ? Je lui ai répondu : pauvre petit chat… Moi je suis en train de vivre une transition et toi, ton problème c’est ce que vont dire tes voisins ?". Emma ne voit plus sa famille, ne parle plus à son frère et sa soeur à qui elle s'était confiée et qui ont trahi le secret de sa transidentité en la révélant à ses parents. Elle a interrompu ses études pour travailler afin de subvenir à ses besoins.
Dans le cas de transitions plus tardives, la rupture des liens familiaux pèse aussi sur les adultes déjà parents comme Mélanie, qui demeure pour l’état-civil père de trois enfants. "Mon aînée de 12 ans ne veut plus me voir et a demandé que soit effacé tout ce qui se rapporte à moi sur les documents scolaires". La transphobie, l’exclusion affective, familiale et bien sûr économique menacent tous les parcours de transition avant, pendant et après. Une menace de mort, le risque suicidaire étant plus élevé chez les personnes transgenre.
Martine, Gwenola et Clara qui animent les permanences au centre Nosig peuvent témoigner de ces lourdes difficultés, mais aussi donner de l’espoir. Hier hommes mariés et pères, elles sont aujourd’hui trois femmes épanouies dans leur vie affective et professionnelle, trois femmes militantes.
Entre ces deux époques il y a eu les doutes, les séparations, tant de choses à construire, à commencer par l’angoisse du jour où tout change dans le regard des autres.
Enseignantes, Martine et Gwenola ont vécu leur transition sur leur poste, leur entourage professionnel et leur hiérarchie ainsi que les élèves et leurs parents en avaient été informés. Dans les établissements privés catholiques où elles exercent respectivement, leurs collègues et leurs élèves les ont donc quittés hommes en juin et retrouvées femmes à la rentrée de septembre. Martine se souvient que sa situation a été évoquée au plus haut niveau, tant au diocèse qu’au rectorat. En 2010, la médiatisation annoncée du cas de Martine posait problème aux institutions.
"On aurait bien voulu que je disparaisse, mais pour moi c’était impossible de ne pas continuer à enseigner. J’ai pensé que j’aurais droit à du chahut dans ma classe et à affronter la transphobie, mais ça c’est fort bien passé avec les élèves et avec une grande partie de mes collègues."
En 2012, la transition sur poste s’est bien passée également pour Gwenola qui enseigne en classe prépa. Côté familial, après un divorce par consentement mutuel, elle vit en couple avec sa compagne. Le lien avec ses deux enfants âgés aujourd’hui de 22 et 17 ans a résisté. "Mes enfants me genrent au féminin mais m’appellent papa. Papa elle fait ci, elle fait ça, ça a un côté un peu cocasse mais ça me va, on a trouvé quelque chose qui nous convient".
Avant et durant sa transition, Gwenola est allée chercher soutien et conseils auprès du centre LGBT. C’est tout naturellement qu’elle s’y investit aujourd’hui. "Après une période où je venais chercher de l’écoute, je suis passée moi-même dans l’écoute des jeunes ou des moins jeunes. Nous sommes aussi des parents et on est en mesure de mieux les comprendre."
Plus jeune, Clara a joué au tennis au niveau professionnel. Un sport qui reste sa passion, qu’elle pratique désormais en catégorie féminine. Sa transition s’est accompagnée d’un changement de vie professionnelle : Clara a suivi une formation pour devenir conductrice de bus, métier qu'elle exerce aujourd'hui et qui lui plaît, malgré les agressions transphobes, qu'elle subit comme l'immense majorité des personnes trans. "Avec la transition, on se forge une certaine force, une armure, on sait qu’on peut se retrouver à chaque instant, et à vrai dire tout au long de la vie avec une insulte, une agression. A chaque fois je dois le prendre en pleine figure et faire face"
Pour autant, son message reste lumineux :
"Avant je n’étais pas malheureuse mais le nombre de fois pendant presque 40 ans où j’ai eu un éclat de rire, où je me suis vraiment lâchée, ça se compte sur les doigts d’une main. Depuis que j’ai pu faire ma transition et découvrir qui je suis vraiment, j’ai eu la même quantité d’émotions et de joie en l’espace de quelques mois. Je vivais sans goût et sans couleurs alors que maintenant, chaque chose a une saveur spécifique".
Documentaire sensible et informatif, illuminé par la bienveillance de Martine, Gwenola et Clara "Unique en mon genre" détricote témoignage après témoignage les représentations et a priori sur la transidentité. Et nous délivre une leçon de courage et de dignité.
►Voir ou revoir le documentaire
Unique en Mon Genre, un documentaire de Pascale Fournier
Co-production France 3 Pays de la Loire – 13 prods
Diffusion jeudi 9 juin à 23h00
Disponible sur france.tv