Ils auraient aimé que ce soit plus simple mais ont été confrontés à l’incompréhension, la déception, le déni voire le rejet violent de leurs proches. A l’occasion de la journée mondiale du coming out, Eléonore, Victoria, Valentin et Martine témoignent de la difficulté d'être LGBT en 2021.
Eléonore préfère taire son nom pour protéger sa famille. Une famille, qui l’a rejetée après son coming out. Un violent coming out qu'on lui a imposé.
“Pas juste catho. Catho tradi.”
Eléonore naît à Versailles, en 1997. Elle est la deuxième d’une fratrie de 5 enfants. Alors qu’elle est encore petite, sa famille déménage à Nantes. Elle grandit dans un milieu “catho tradi”. “Pas juste catho. Catho tradi.” Eléonore affiche onze années de scoutisme au compteur, sans avoir jamais vraiment aimé ça.
Scolarisée dans une école privée catholique, elle profite des temps de récréation pour lire Harry Potter, interdit à la maison car considéré comme du “satanisme”. Chaque dimanche, elle assiste à la messe en latin.
“On m’a longtemps caché que l’homosexualité existait”
A la maison, le mot “homosexuel” est interdit. Elle se rappelle encore le jour où elle a prononcé “lesbienne” à sa petite soeur… “Je me suis fait défoncer par mes parents”.
Quand tu ne nommes pas une chose, elle n’existe pas
insi, on lui a longtemps caché l'existence de l'homosexualité. Ce n’est que vers la fin du collège qu’elle découvre que... tout le monde n’est pas hétérosexuel.
Adolescente, elle participe à la Manif pour Tous
Dans son monde, dans sa norme, “c’est la Manif pour Tous, génial”. Participer à cette mobilisation de 2012 luttant contre la loi autorisant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, ça revient à “partir en car avec les copains et la famille marcher dans la capitale avec des panneaux”. C'est "fun".
Douche froide à son retour au lycée, vêtue de son nouveau sweat “Manif pour Tous”. “Euh… t’es homophobe”, soutiennent ses camarades. Elle tombe des nues. “Ben… non, j’suis juste pour la famille."
Elle échange avec ses amis, sort de sa bulle “catho tradi” et entame un long processus, celui de la remise en question. “Rien que ça, c’est déjà pécher”. Plus tard, elle se rendra compte qu’elle a “manifesté contre elle-même”.
“J’ai mis du temps à accepter mes pensées, mes désirs”
Eléonore a compris qu’elle n’était pas hétéro vers la fin du lycée : “j’ai mis du temps à accepter que ce que je ressentais en moi : mes pensées, mes désirs. Je les ai longtemps refoulés et condamnés”. En première année d’études, elle commence à les assumer auprès de ses amis.
“J’ai commencé par me définir comme bisexuelle”. Une étiquette en évolution permanente. Aujourd’hui, elle prefère le mot “queer”, qui définit une personne dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas aux modèles dominants.
“Comment se fait-il que tu embrasses des filles ?”
Les années passent, elle part faire des études de traduction à la Roche-sur-Yon, puis à Angers. Elle a une petite amie, mais impossible d’en parler à son entourage familial, qu’elle bloque sur les réseaux sociaux. Jusqu’à ce que son monde bascule, le 11 septembre 2020.
“Comment se fait-il que tu embrasses des filles ?” reçoit-elle, par SMS, de la part de sa mère, alors qu’elle fait du shopping à Nantes, avec sa copine.
“Je n’ai pas fait de coming-out, on m’a outée”
Quelqu’un l’a “balancée”. Elle ne cherche pas à nier. S’ensuit alors une conversation très brève : “j’ai répondu que j’aurais préféré qu’on en discute autrement, elle m’a demandé ‘comment veux-tu qu’on en parle ?’ ce à quoi j’ai dit que je n’avais pas prévu d’en parler. Elle m’a répondu ‘n’en parlons pas alors’”.
Eléonore n’a jamais su qui l’avait “outée”. Elle préfère ne pas le savoir.
“Tu es instable mentalement”
Trois semaines s’écoulent sans que sa mère ne l’appelle. Sa mère, avec qui elle se sent proche, avec qui elle passe régulièrement de longs moments au téléphone. Pas cette fois.
Et quand elles reprennent contact vient le moment de “l'explication”, de la “justification”. “J’ai essayé de lui faire comprendre la souffrance que représentait ce silence, les moments dans ma vie où j’avais eu envie de mourir et où la seule solution avait été de fuguer. Elle m’a répondu que j’étais instable mentalement. Entendre ça de la bouche de sa mère, c’est quelque chose.”
A ce moment-là, seule sa mère “sait”. Lorsqu’elles regardent un film toutes les deux et que deux filles s’embrassent, sa mère se lève pour cacher l’écran. “Elle vit dans son homophobie, à mes côtés”.
“J’ai peur des gens de ma paroisse"
En parler à son père ? Pas question. “J’avais peur pour ma sécurité. Il est particulièrement dur. Il vit dans un milieu extrêmement homophobe." Un milieu qui ne l'a pas épargnée. Elle a déjà été harcelée par des jeunes de sa paroisse auparavant sous prétexte qu’elle postait des photos “choquantes” sur les réseaux sociaux. Elle vit alors dans la crainte qu’à tout moment, on vienne “l’emmerder physiquement”.
“Quand tu fais ton coming out, tu as le choix des mots et du moment, je n’ai eu le choix de rien”
L’angoisse, la peur. Puis elle découvre qu'il se raconte n'importe quoi à son propos dans sa famille.
Reprendre le contrôle sur son coming out
Elle ne savait même plus qui était au courant, qui ne l’était pas : “on m’avait outée, je n’avais aucun contrôle sur rien. Alors j’ai voulu reprendre le contrôle en témoignant dans une interview vidéo de Konbini sur la Manif pour Tous pour dire qui je suis et ce que j’ai traversé”.
“J’ai grandi en sachant qu’un jour, ils allaient me rejeter”
Cette vidéo date de février 2021. Elle la voit aujourd’hui comme un acte “radical mais nécessaire pour avancer”. Eléonore a grandi en sachant qu’un jour, elle devrait “couper les ponts” avec sa famille, que cette dernière “ne finirait jamais par l’accepter”.
Ce moment est arrivé plus tôt que prévu.
“J’ai été virée de chez moi, je n’ai jamais revu mon père”
Son père a vu la vidéo. Il ne lui a jamais donné de nouvelles depuis. Elle n’a plus le droit de revenir à la maison. Ni même pour Noël. Elle n’a toujours pas revu ses petites sœurs.
Encore en études, Eléonore s’est retrouvée sans toît, sans argent, sans parents. Ses grands-parents l’ont accueillie un mois, sans mentionner son homosexualité, en lui suggérant de s’excuser auprès de son père.
“Tu iras brûler en enfer” : accepter sa sexualité, c’est remettre en question l’Eglise
Ce n’est qu’en côtoyant d’autres personnes, d’autres milieux, qu’elle se rend compte de la violence de son entourage. “On m’a toujours décrit l’homosexualité comme une maladie, une perversion. On m’a dit que j’allais brûler en enfer, que c’était un péché”.
Accepter sa sexualité, c’est aussi accepter de remettre en question toute son éducation. “Et c’est tellement dur que si tu n’as pas besoin de faire ce travail, tu n’y arriveras pas. Et tu n’en auras besoin que si ça te concerne”, considère Eléonore. C’est pour ça qu’elle essaye de ne pas avoir de rancœur envers sa famille. “C’est tellement plus simple de considérer que l’Eglise a raison.”
“Moi hétéro, ça n’existe pas”
En ce 11 octobre 2021, journée mondiale du coming-out, Eléonore a 23 ans et vient de décrocher un CDI dans le domaine de la traduction, à Paris.
Elle ne sait pas encore où elle va passer Noël mais elle ne regrette pas : “Me confondre en excuse, renoncer, ça aurait été accepter de passer sous silence qui je suis. Moi hétéro, ça n’existe pas.”
Et elle n’est pas la seule. Plusieurs personnes de son milieu sont venues lui faire leur coming-out, après qu’elle a témoigné sur Konbini.
Aujourd’hui, Eléonore n’est plus seule. Et elles non plus.
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