Lucile ne sait pas si son université va pouvoir rouvrir. Comme ses camarades de promo et les autres, elle a le sentiment que les étudiants sont les grands oubliés dans la gestion de cette crise sanitaire. Elle a écrit une lettre au Président Macron qu'elle a diffusée sur les réseaux sociaux.
"Monsieur le Président de la République, Mesdames, Messieurs les Ministres et Membres du Gouvernement, Mesdames, Messieurs les élu(e)s, 2021 doit être un nouveau souffle. Après avoir passé plusieurs mois confinés, à sacrifier nos libertés et la construction de notre avenir, sans nous poser de questions : nous suffoquons. Nous, étudiants, avons dû lutter, seuls, chacun de notre côté pour simplement continuer à vivre. Et pourtant, vous vous adressez rarement à nous. Avez-vous oublié vos 20 ans ? C’est déjà difficile de se construire et de se projeter dans une société divisée et en crise. Il devient impossible de continuer à donner un sens à notre existence."
C'est un extrait de la lettre qu'a écrite Lucile Bregeon. Elle a 21 ans, elle est en 3ème année de licence de communication à l'Université Catholique de l'Ouest. Des études qu'elle poursuit tant bien que mal à l'antenne nantaise de l'UCO, basée à Angers. Lors du premier confinement, elle est retournée vivre chez ses parents, aux Herbiers, en Vendée. Ça s'est plutôt bien passé dit-elle.
Nous sommes des milliers à nous trouver dans une détresse psychologique, scolaire, matérielle et parfois physique. Ce ne sont pas les témoignages qui manquent.
Au deuxième confinement, c'était devenu trop difficile de travailler à la maison avec ses frère et sœur, trop de monde, trop de bruit, pas de connexion internet suffisante... Alors, Lucile est repartie dans son appartement de Rezé, près de Nantes, avec ses deux colocataires. L'un est étudiant, l'autre travaille.
Tous les cours se font à distance. "Quand ce sont des cours magistraux, témoigne Lucile, trois heures, c'est un peu impossible à suivre, on a tendance à décrocher. On nous envoie les cours ensuite mais ça fait un peu le double de travail, les cours magistraux plus les cours qu'on reçoit..."
"On a l'impression de travailler pour rien"
Lucile trouve aussi qu'on leur demande plus de travaux à rendre. Et il est difficile aussi de travailler sur les dossiers qui doivent se faire en groupe. Lucile a demandé avec ses camarades à disposer d'une salle à l'UCO mais cela leur a été refusé et, si la bibliothèque universitaire leur est ouverte, ils n'ont pas le droit de s'y réunir pour travailler.
Nous avons conscience de la crise et nous ne demandons pas un retour à la normale. Mais il est urgent qu’un retour partiel en cours se fasse.
"On a l'impression de travailler pour rien, se désole-t-elle, tout de chez nous, rien de concret, pas de contact avec les autres."
Et avec la crise économique, l'avenir qui était déjà bien gris avant, s'assombrit.
"On a appris qu'un étudiant lyonnais s'était suicidé"
Avec le deuxième confinement, de nombreux étudiants ont rendu leur appartement mais ils ont dû trouver des solutions pour se loger lorsqu'il a fallu passer les épreuves des partiels début janvier. Le relâchement est évident. Des dossiers sont rendus en retard et certains ne donnent plus de signe sinon de vie, du moins de travail.
"Il y a des gens qu'on n'a pas vus se connecter de tout le confinement, a constaté Lucile. On a appris qu'un étudiant lyonnais s'était suicidé. Ça inquiète."
L'organisation des cours ou des épreuves est aussi un peu défaillante. "Le partiel du 4 janvier était inscrit à 9h sur les convocations et à 10h sur les emplois du temps !" Cela a été rectifié mais les étudiants se seraient bien passés de ce stress supplémentaire.
Lucile, comme ses camarades, aimerait bien que les cours reprennent sur le campus. Au moins partiellement. Elle ne veut plus passer sa journée seule, sans personne à qui parler. "Il faut que les cours reprennent en présentiel, pour notre formation, pour notre bien-être" dit-elle.
La lettre qu'elle a publiée sur les réseaux sociaux et envoyée aux députés LREM de Loire-Atlantique, a suscité de nombreux retours. De sa propre famille tout d'abord, qui ne se rendait pas compte de la situation. Mais aussi d'autres étudiants qui l'ont remerciée d'avoir mis des mots sur ce qu'ils ressentaient.
L'université de Nantes dit n'avoir pas de chiffres pour le moment sur le taux de décrochage. Il faudra attendre la fin des partiels nous dit-on, pour avoir un comparatif avec les années précédentes.
Mais le sentiment d'abandon est fort. Des étudiants disent avoir perdu la trace de certains professeurs pendant les deux premières semaines de confinement. Des contrôles ont été annulés, fragilisant la moyenne. Des cours sont faits en distanciel mais en direct, d'autres sont enregistrés et d'autres encore envoyés sous format texte.
Ceci n’est pas un appel irrationnel, c’est le cri de détresse d’une génération en péril. Nous sommes 2,73 millions d’étudiants, représentant la société de demain. Nous devrons reconstruire la France, l’Europe et le monde.
"On nous dit que tout ça est de notre faute"
Du côté de l'UNEF, syndicat étudiant, on dénonce le manque de distanciation sociale constaté lors de certains examens qui se sont déroulés sur le campus. "Un étudiant nous a raconté qu'il était à moins d'un mètre de celui qui était devant lui" témoigne Tahar Ben Hamad, le Président de l'UNEF Nantes. S'il constate les efforts faits par la présidence pour améliorer les choses, comme les aides financières pour se procurer du matériel informatique et rester connecté, il note tout de même un ras le bol. "On nous dit que tout ça est de notre faute, parce que les étudiants font des fêtes" se révolte Tahar Ben Hamad.
Il évoque aussi la pression des cours en distanciel, parfois huit heures devant l'ordinateur. "Le rythme est intense, dit-il, les étudiants ne peuvent plus suivre, ils ont parfois plusieurs projets à rendre en même temps. Il y a des burn out. Certains professeurs qui ont appris du premier confinement, ont diminué le niveau, mais d'autres n'en ont rien à faire !"
Et puis, tous ne maîtrisent pas l'outil informatique. On évoque le cas de cette étudiante qui a mal envoyé son travail sur le site lors d'un partiel à distance et risque un zéro.
Aucune contamination sur le campus
Pour le docteur Michel Blanche, qui dirige depuis six ans le service de santé des étudiants à l'Université de Nantes, le contexte sanitaire actuel s'ajoute aux difficultés que rencontraient déjà les étudiants auparavant. L'arrivée dans un nouvel environnement pour les premières années, le stress des concours pour les autres...
"Cela a aggravé l'état de certains étudiants qui n'allaient déjà pas très bien, explique le Dr Blanche et décompensé des troubles psychiques pouvant entraîner des syndromes dépressifs plus ou moins aigûs."
Il confirme également que ces jeunes ne vivent pas bien d'être montrés du doigt "comme étant les grands pourvoyeurs du virus. Or, tient à préciser le Dr Blanche, on n' a eu aucun cas de contamination sur le campus, hormis en STAPS (filière sport)."
La mise à l'écart de toute cette jeunesse étudiante contribue à son mal-être. "L'Etat n'a pas beaucoup parlé des étudiants. On a parlé des cinémas, des commerces, mais pas des étudiants."
Pour le Dr Blanche, il faut très vite que les étudiants reviennent sur les campus. "C'est extrêmement important, dit-il, c'est un des leviers qui permettront d'améliorer un peu leur vie."
3 psychologues pour 37 000 étudiants
En attendant, le service de santé fait ce qu'il peut avec ses trois postes de psychologues pour les 37 000 étudiants de Nantes, Saint-Nazaire et La Roche-sur-Yon. Il y a quelques années, avait déjà constaté Michel Blanche, il y avait plus de deux mois d'attente pour avoir un rendez-vous. Le service s'est organisé pour pouvoir assurer, avec une infirmière, au moins un premier accueil rapide.
"Il faut remettre du lien, dans le respect des gestes barrières, insiste le médecin, et aussi entre les étudiants et les enseignants, il faut diminuer le nombre de cours en ligne."
Une lettre ouverte à Jean Castex sous forme de vidéo
A Nantes, une vidéo commence à tourner très fort en ce moment chez les étudiants, elle a été réalisée par deux Vendéens au nom de tous les étudiant.e.s pour réclamer, elle aussi, un retour sur les campus.
Elle s'adresse au premier ministre et évoque des arguments des plus pertinents. "Si les enfants de primaire peuvent appliquer un protocole sanitaire, on peut légitimement faire confiance aux étudiants pour être responsables" peut-on entendre, entre autres arguments, dans cette lettre ouverte.
Théodore Babarit qui a coréalisé cette vidéo avec Benjamin André, est, comme son camarade, étudiant en quatrième année de droit.
"Avec Benjamin, explique Théodore Babarit, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose. On a écrit le texte dimanche soir et enregistré la vidéo avec les moyens du bord lundi matin pour la diffuser le soir même sur nos réseaux. Elle totalise 170 000 vues (ce mercredi midi). On ne s'attendait pas à ce qu'elle tourne autant. Si certains préféreraient par précaution rester en distanciel, nous pensons nous que si on a les moyens d'ouvrir les lycées, on a les moyens d'ouvrir les universités, au moins partiellement sans que ça pose problème."
A quand la réouverture des universités ?
Lucile Bregeon qui signale également "des cauchemars et insomnies à répétition pour beaucoup d'étudiants", s'inquiète aussi de ne pas pouvoir se renseigner efficacement pour la suite de ses études car les portes-ouvertes dans les établissements risquent d'être annulées un peu partout. Si elle doit aller vivre loin de chez elle, elle voudrait au moins être sure que le lieu où elle va étudier va lui convenir.
"On parle beaucoup des bars et des restaurants, dénonce-t-elle, mais on a l'impression qu'on va rouvrir (les universités) après eux !"