VIDÉO. Le Hellfest est-il devenu le Disneyland du metal ? Le point de vue de deux experts

Premier festival de metal d'ampleur, le Hellfest a rendu au genre ses lettres de noblesse, gagnant une popularité telle qu'il est désormais fréquenté par des novices. Son site en est presque devenu touristique. Pour autant, le Hellfest a-t-il changé au point de dénaturer la culture metal qui a fait son succès ? Réponse du sociologue Gérôme Guibert et de l'anthropologue Corentin Charbonnier, spécialistes de ce genre musical.

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Monstrueux, infernal, d'enfer : les façons de qualifier le Hellfest ne sont pas exagérées. Le festival de musiques extrêmes né en 2006 en Loire-Atlantique est devenu un petit empire à la renommée internationale parmi les metalheads, les amateurs de musique metal.

Lors de la première édition, il avait rassemblé environ 15 000 personnes, accueillant 72 artistes sur deux scènes. Les chiffres ont doublé, voire triplé en 16 ans d'existence.

Le Hellfest dispose désormais de son propre site à Clisson, d'un budget de 35 millions d'euros, et de nombreux services lors du festival. Il arbore aussi une scénographie travaillée et coûteuse. Une nouveauté s'y ajoutera en 2024 : la Gardienne des Ténèbres, une sculpture de métal et de bois animée. Ce projet est développé par la compagnie de la Machine de Nantes. 

► Voir le reportage réalisé par Céline Dupeyrat, Cyril Dudon et Valérie Brut 

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Le succès fulgurant du Hellfest lui a-t-il fait perdre son authenticité ? ©France Télévisions / Céline Dupeyrat / Cyril Dudon / Valerie Brut

Un événement atteint de gigantisme

Cette nouvelle apparence du festival et sa communication léchée se sont développées grâce à la volonté non dissimulée de Benjamin "Ben" Barbaud, le directeur du festival, d'en faire une destination touristique.

Les dimensions démentielles du Hellfest contrastent avec l'histoire de la culture metal, un genre consommé entre adeptes, à la cote de popularité historiquement basse. "Les études du ministère de la Culture sur les goûts culturels des Français montrent que le metal est le genre musical le moins aimé, avec l'opéra", selon Gérôme Guibert, sociologue de la culture métal. 

Le Hellfest a fait évoluer la perception de cette musique. "Il a permis au metal de se démocratiser. Ça peut soulever des reproches, mais c'est aussi très pertinent, parce qu'il y a encore 15 ans, personne ne parlait du metal dans les médias nationaux", analyse l'anthropologue Corentin Charbonnier, auteur d'une thèse intitulée Approche anthropologique du festival du Hellfest en tant que lieu de pèlerinage pour les metalheads.

Les metalleux étaient à peine mieux traités qu'une rave party dans les médias nationaux.

Corentin Charbonnier

Anthropologue

Ben Barbaud a parié sur ce genre musical désavoué pour construire le Hellfest et poser les bases de son succès. "Il a eu une intuition, et il a vu un potentiel. Il a vu des gens attachés à un genre de musique, mais qui avaient peu l'opportunité de trouver des concerts et des festivals", commente Gérôme Guibert. 

Le metal aux racines du Hellfest

Les fans de metal ont une façon active de consommer leur musique, mais ils ne représentent qu'environ 10% d'une classe d'âge. Auparavant, la seule manière de trouver les rares évènements où aller écouter leurs groupes fétiches était de se tourner vers des médias alternatifs. 

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"Beaucoup de gens pensaient que le metal était peu écouté en France, détaille le sociologue. Ce qu'on avait pas anticipé, c'est que les gens qui écoutent du metal sont souvent passionnés et continuent à aller à des concerts. Et comme ça existe depuis 40 ans, le nombre d'amateurs n'a fait qu'augmenter."

Le directeur du Hellfest s'est engoufré dans la brèche, adoptant une démarche entrepreunariale qui consiste à répondre à une demande. 

Ben Barbaud gère une entreprise, il l'a toujours dit comme ça.

Gérôme Guibert

Sociologue de la culture et du metal

Ben Barbaud n'a alors que 25 ans. Il est avant tout adepte de musique hardcore et punk. Ce qu'il a d'abord conçu comme un festival de niche est devenu un événement drainant un public plus large. D'un événement dédié aux amateurs du genre, le Hellfest attire désormais de nouveaux publics désireux de découvrir son univers convivial et festif.

"Le festival a une aura socialement très positive. C'est un lieu où il y a à peu près tout le monde, qui est très libre sur tout, qui est sécurisé, et qui est beau, affirme Corentin Charbonnier. C'est l'un des seuls sites de France qui propose une vraie décoration."

Le rapport à l'art est très présent sur le Hellfest, ce qu'on retrouve moins sur d'autres festivals. Ça attire des gens issus d'autres univers.

Corentin Charbonnier

Anthropologue

Gérôme Guibert voit deux aspects positifs liés à la popularité du festival. Il permet le retour des fans plus âgés, qui avaient abandonné pendant un temps l'idée de se rendre dans ce type d'événements, pensant ne pas y avoir leur place.

Le Hellfest a aussi fait évoluer le regard sur les metalheads, autrefois considérés comme violents et satanistes. En 2006, l'arrivée du festival n'était pas regardée d'un bon œil par les riverains. "Maintenant, ils sont plutôt perçus comme des gens conviviaux qui, plutôt que de côtoyer la violence dans leur quotidien, le font à travers la musique d'une manière cathartique", déclare le sociologue.

Un festival à prix d'or

Le faste exaltant du Hellfest tient en particulier à son modèle économique à l'américaine. Ne touchant que très peu de subventions publiques, il est majoritairement autofinancé. Le revers de cette rutilante médaille : le prix des packs 4 jours. Il a augmenté de 40 € en 2023, pour atteindre la modique somme de 329 €.

Ce prix n'est pour autant pas rédhibitoire. Les billets ont tous trouvé preneurs en une semaine, alors que la programmation n'avait pas encore été dévoilée. Mais la ruée vers l'enfer n'est pas du goût de tous les amateurs de la première heure.

"Le fait qu'une culture minoritaire devienne très importante et visible est contradictoire. Soit on est dans le metal, soit on est dans les évènements mainstream", avance Gérôme Guibert. 

Au sein de la culture metal, certains vont trouver que le genre est devenu trop visible alors que ça fait partie de son essence d'être peu visible.

Gérôme Guibert

Sociologue de la culture et du metal

Et Corentin Charbonnier d'ajouter : "Il y a une confrontation entre deux publics et deux visions d'un événement et qui, pourtant, cohabitent pendant cinq jours et ça fonctionne".

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Pour une critique du Hellfest ou de la stratégie de Ben Barbaud, il faudra repasser. Tous deux amateurs et connaisseurs de la culture metal, Gérôme Guibert et Corentin Charbonnier ne montrent aucun signe de déception vis-à-vis de l'évolution du festival.

"Il y a toujours un cercle hyper précieux de festivaliers qui sont là depuis les premières éditions, qui sont des passionnés. Il y en a pour tous les goûts. Les petites scènes sont très clairement des scènes de puristes où je continue à kiffer, comme l'Altar, la Temple ou la Warzone", salue Corentin Charbonnier. 

Une âme qui se perd ?

Les deux spécialistes s'accordent pour dire que la programmation reste à la hauteur sur les musiques de niche. Beyond the Styx, Vended "d'une brutalité géniale"...Les groupes moins connus côtoient les têtes d'affiche comme Iron Maiden, Mötley Crüe, ou Def Leppard. 

Là où le succès reste énorme, c'est qu'il y a un nombre de groupes incroyables qu'on ne voit nulle part et qui sont rassemblés à Clisson chaque année.

Gérôme Guibert

Sociologue de la culture et du metal

Les artistes présents sur la scène du Hellfest continuent de satisfaire, mais c'est surtout l'identité du festival qui fait désormais son charme.

"Les recherches montrent qu'un festival réussi est un festival pour lequel les gens viennent pour le festival, pas forcément pour les groupes qui sont programmés, commente Gérôme Guibert. Depuis 2015-2016, les billets sont vendus en moins d'une semaine. Même s'ils programmaient des groupes moins connus, ils pourraient sûrement quand même faire le plein."

Si l'âme du Hellfest s'est un peu diluée dans la masse, elle est toujours bel et bien présente. Mais que chacun s'estime prévenu : le festival est avant tout une entreprise et une marque pour son directeur, qui n'hésite pas à afficher clairement qu'il tournerait la page si d'aventure les flammes de sa réussite (et de sa rentabilité) venaient à s'éteindre. 

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