Tourné durant de longs mois auprès d’agricultrices réunies en collectif pour sortir de leur isolement et réfléchir à leur place dans le monde agricole, "Croquantes" esquisse un avenir possible pour les campagnes, par la reconnaissance pleine et entière du travail qu’y accomplissent les femmes.
Avec "Croquantes", Isabelle Mandin et Tesslye Lopez posent un nouveau jalon dans leur démarche documentaire résolument du côté et aux côtés des femmes.
En 2021, elles avaient signé "Habitantes", au terme d’une immersion de quatre années dans le quartier Monplaisir d’Angers alors en rénovation. Les deux réalisatrices avaient accompagné les habitantes dans leur projet collectif et joyeux de féminiser les noms de rues autour de chez elles.
Des femmes en quête de visibilité
Cette conquête de visibilité et de prise en compte de la parole des femmes est également au cœur de "Croquantes", pendant rural de "Habitantes".
Un chemin plus long encore tant le milieu professionnel agricole a été si longtemps à la traîne en matière de reconnaissance du statut et du travail des agricultrices, mais aussi négligé par les luttes féministes, ainsi que le rappelle le documentaire "Moi Agricultrice" de Delphine Prunault, que France 3 Pays de la Loire diffusera à la suite de "Croquantes".
La condition des femmes en milieu rural s’apparente à une double peine : à la charge mentale et aux tâches ménagères toujours déséquilibrées à leur préjudice, s’ajoutent des liens sociaux plus compliqués à nouer pour cause d’habitat dispersé, la difficulté de l’accès aux soins liée à la désertification médicale et la voiture nécessaire pour à peu près tout, des courses aux activités des enfants en passant par l’accès aux loisirs... Quand on en a le temps.
Sororité et autonomie
Dans ce contexte, "Croquantes" entreprend le récit d’un éveil en commun par la voix d’Émilie Serpossian, animatrice au Centre d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural (CIVAM) de Loire-Atlantique.
Émilie anime le Groupe Femmes. Il rassemble des agricultrices de tous âges, certaines engagées à déconstruire le patriarcat, d’autres qui ne se reconnaissent pas dans l’étiquette féministe, mais toutes animées par la conviction qu’il faut que ça change.
Et que la solution passe par les femmes elles-mêmes, même si le mot "sororité" qui fait son apparition dans les échanges au détour d’un atelier s'avère compliqué à prononcer.
Elles s’en amusent d’ailleurs de ce mot qu’elles ne connaissaient pas toutes, mais il dit ce pourquoi elles se réunissent à temps régulier : dire "stop" ensemble à la non-reconnaissance de leur travail.
En France, on compte 27 % de femmes exploitantes ou co-exploitantes agricoles. C’est mieux que les 8 % en 1980, mais entretemps, la répartition genrée des tâches dans les exploitations n’a évolué qu’à la marge.
Dans les échanges du groupe femmes qui constituent la matière vive de "Croquantes", les constats sont sans appel : aux femmes reviennent majoritairement la traite, le soin des veaux, l’administratif et la vente ; aux hommes, le travail en extérieur, la conduite des engins, les réparations.
La répartition genrée des tâches agricoles
"Et pourquoi pas ?", dit l’une des agricultrices, "la question est de savoir si cette répartition est subie, ou choisie, reconnue ou pas."
Précisément, une autre s’insurge : le travail de la traite effectué par les femmes, et qui fait rentrer l’argent dans l’exploitation, est minoré, alors que les semis et le labour effectués par un tracteur généralement conduit par les hommes est survalorisé.
Le tracteur, c’est pas fatiguant, c'est juste chiant !
Une agricultrice
D’ateliers en échanges, Isabelle Mandin et Tesslye Lopez observent ces femmes agricultrices au travail, mais aussi conquérir leur autonomie en apprenant ensemble à concevoir leurs propres outils, en se formant à la mécanique ou à la soudure.
"Croquantes" raconte aussi comment le groupe animé par Émilie écrira et mettra en scène une pièce basée sur le récit de leur quotidien. Du théâtre documentaire pour s’affirmer et se faire entendre qui sera joué comme il se doit à la ferme, les stabulations faisant office de loges, devant leurs voisines et voisins, leurs enfants, leurs hommes.
L'héritage des "Croquants"
Les Croquants étaient ces paysans du Sud-Ouest dont les révoltes répétées, aux 16ᵉ et 17ᵉ siècles, ont fait trembler les possédants, avant d’être durement réprimées. Les revendications des Croquantes restent quant à elles bien peu audibles dans le concert protestataire qui secoue actuellement le monde agricole.
Pourtant, leur discours fait sens : l'aspiration des agricultrices à être enfin reconnues, à vivre de leur travail en choisissant leurs tâches et en les partageant plutôt que les subir, pourrait s’avérer sur le long terme plus transformateur pour la culture rurale que les PAC qui se succèdent.
En mettant en actes la pensée écoféministe héritée de Françoise d’Eaubonne les Croquantes de Loire-Atlantique font moins œuvre de radicalité que de pragmatisme et leur discours séduit. En témoigne le succès des quelque 150 projections du documentaire organisées partout en France ces derniers mois, avant sa diffusion sur France 3 Pays de la Loire.
"Croquantes" un documentaire d'Isabelle Mandin et Tesslye Lopez.
Une production Les Films Hector Nestor.
Diffusion jeudi 22 février à 23 h 00.
Rediffusions à 9 h 10 vendredi 23 février et lundi 11 mars.
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