Coronavirus : dans les 46 bidonvilles de l'agglomération nantaise, l'urgence sanitaire a été gérée... mais après ?

En cette période de crise sanitaire, associations, collectifs et pouvoirs publics, travaillent main dans la main pour améliorer les conditions sanitaires dans les 46 bidonvilles répartis sur 9 communes de  l'agglomération nantaise. Une gestion que tous espèrent voir appliquée à long terme.

46 bidonvilles, sur 9 communes de l'agglomération nantaise. Au total près de 2 200 personnes vivent aux portes de Nantes sur des terrains insalubres, dans des caravanes de fortune et dans des conditions misérables, voire indignes.

Une population à la marge, invisible. Les Roms pourtant n'ont pas été les "oubliés" de cette crise. Les associations, les services de l'Etat, les collectivités et la métropole avancent ensemble depuis le début de la pandémie pour que le minimum sanitaire soit assuré.

Sur le terrain, les bénévoles sont à pied d'oeuvre, à peine le temps de souffler. Dès le 16 mars, associations et collectifs ont fait le tour des camps à Nantes, Bouguenais, Vertou, Orvault, Rezé, Saint-Herblain, Sainte-Luce-sur-Loire...
 

6 cas de covid-19 dans les bidonvilles

Yves Aubry est un vieux de la vieille en matière d'accompagnement des populations roms. "On est dans cette situation depuis 15 ans, date à laquelle les premières familles sont arrivées sur l'agglomération nantaise. Les choses n'ont pas beaucoup évolué. Déjà, à l'époque, ils étaient installés sur des terrain dits sauvages en stationnement illicite. Sur les conditions d'accueil de ces populations rien n'a bougé, malgré le changement de statut et l'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne.

Les Roms depuis 15 ans sont sur des terrains non stabilisés, sans eau, sans électricité, dans des caravanes déglinguées et des abris insalubres. Environ 1 000 enfants vivent dans ces conditions - Yves Aubry, association Une famille, un toit

Si le constat est terrible, Yves reconnait une avancée notable depuis le confinement: " L'accès à l'eau a été mis en place aux abords des bidonvilles lorsque cela a été possible, notamment à partir des bornes incendies ou à partir du réseau. Parfois c'est éloigné de quelques centaines de mètres du camp, mais c'est mieux que rien, il faut savoir le souligner. En revanche, pour l'électricté rien ! On aurait pu installer des systèmes de compteurs forains pour sécuriser l'alimentation. On le regrette fortement, cela aurait évité des risques d'incendies.

Anne Plou était médecin. Aujourd'hui retraitée, elle milite au sein du collectif Roms Europe.

"Sur le plan de la santé la PASS (Permanence d'Accès aux Soins de Santé) a créé une antenne mobile qui tourne sur les terrains, dit-elle, quand un cas de covid-19 est suspecté, la procédure est de faire appel au médecin traitant quand il y en a un. En fonction des signes, les soignants décident d'une hospitalisation ou d'un simple confinement dans les caravanes de toutes les personnes contacts. Médecins du Monde circule aussi sur les camps". 

Depuis le 20 mars, 6 cas de covid ont été identifiés dans les 46 bidonvilles. Trois familles ont été accueillies dans des centres de desserrement.
 

L'accès à l'eau dans 99% des camps

Désormais les Roms ont donc accès à l'eau, oui mais" parfois pourrie" , selon Samuel Poirier du Cemea Pays de la Loire . 

"A certains endroits, il n'y a qu'un tuyau pour 100 personnes, ça ne permet pas d'avoir des conditions sanitaires convenables.
Ce mouvement d'éducation populaire traville auprès de ces populations toute l'année.

Une quinzaine de jeunes venus des bidonvilles y effectuent un service civique "pour faire des animations dans les camps", précise Samuel. "L'essentiel en ce moment c'est de conserver le lien avec eux et de les accompagner sur toutes les difficultés sociales qu'ils rencontrent.

"Pour l'accès à l'eau, nous avons travaillé avec les collectivités pour recenser les camps. A ce jour, 99 % des terrains ont  un point d'eau. Alors bien sûr ce n'est pas le robinet super équipé mais il y a quand même la possibilité pour ces populations d'aller récupérer de l'eau et de pouvoir appliquer les gestes barrières"
, répond  Nadine Chaïb, sous-préfète de Loire-Atlantique.

Si les conditions sanitaires s'améliorent, les associations se demandent pourquoi il a fallu autant de temps et un virus pour arriver à une soudaine prise de conscience.

"Pourquoi avant il n'y avait point d'eau, pourquoi il n'y a pas de sanitaire, pas d'élecricité ? Parce que la politique de l'agglomération nantaise depuis plus de dix ans c'était : installer tout ça c'est leur reconnaitre le droit de rester. Il y a bien eu quelques réalisations ces dernières années mais surtout des expulsions. A nous de faire en sorte que les avancées liées à la crise s'inscrivent dans la durée", affirme Anne Plou.

"Les réponses sont collectives, dit Marie-Hélène Nédellec, vice-présidente de Nantes métropole, en charge de la coopération décentralisée des populations migrantes et de l'hébergement spécifique. Moi je voudrais vraiment saluer le travail effectué par les associations qui restent en permanence en contact et en lien avec ses familles. Pour l'eau, c'est la métropole qui gère mais c'est bien parce qu'il y a eu des repérages, des associations qui prennent des photos sur le terrain tous les jours, que nous pouvons agir à la métropole".

"Il y a un vrai travail des bénévoles sur les camps et du côté des institutions une réflexion plus globale en matière de santé et d'éducation. Des questions qui restent primordiales pour ces populations particulièrement fragiles. Il faudra voir comment continuer à avancer ensemble après le 11 mai",
ajoute Marie-Hélène Nédellec.

Il y a du mieux aussi pour la collecte des déchets. Des containers ont été installés aux abords des camps. "Le problème c'est qu'il y a un réel manque de civisme de la part des habitants de la métropole qui ne se gênent pas pour venir y entasser leurs ordures. On constate régulièrement lors de nos déplacements sur les sites que les bennes sont utilisées par les riverains, s'emporte Yves Aubry.

Privés de revenus

D'ordinaire, ils ne gagnent pas bien lourd mais au moins certains travaillent ici où là. Aujourd'hui, plus moyen de gagner quelques centaines d'euros.

"Ces populations, pour partie, travaillent chez des maraîchers que ce soit du côté Nord, à Carquefou, Saint-Mars-du-Désert, Petit-Mars, ou du côté sud au Loroux-Bottereau, à Saint-Julien-de-Concelles, ou la Chapelle-Basse-Mer, explique Yves Aubry, on est normalement sur des contrats qui sont journaliers ou hebdomadaires. Ces contrats dans la période actuelle n'ont pas été renouvelés. Quand ils sont arrêtés, il n'y a pas le nombre d'heures suffisantes pour avoir accés au chomage. Ils sont donc totalement privés de revenus".


Les premiers jours les plus délicats

En terme de perception de la crise et des consignes à respecter, notamment les gestes barrières, les premiers jours ont été les plus délicats selon les bénévoles : "Sur les terrains, la vie est clanique, une vie en groupe, comme nous dans nos maisons. La famille est élargie. La distanciation est plus difficile à mettre en pratique. En fait, le confinement se fait par camp".

"Nous nous sommes fixés des objectifs, d'abord la diffusion et le respect des mesures sanitaires. Il fallait à la fois porter ces mesures à la connaissance des populations et les mettre en oeuvre. Les documents concernant les gestes barrières ont été traduits avant d'être diffusés par les associations", précise Nadine Chaïb, sous-préfète de Loire-Atlantique.

Rapidement les associations se sont organisées pour les distributions alimentaires. "Nous avons été confrontés à l'arrêt des sites, comme les Restos du coeur, le Secours Populaire, le Secours Catholique, Saint-Vincent de Paul...L'ensemble du réseau a été fermé quelques semaines. Les familles ont pu manquer de soutien alimentaire. Même en cas de réouverture les Roms n'étaient plus acceptés", témoigne Yves. Alors les associations ont cravaché et pris le relais.
Les points de distribution préparent des colis, les collectifs les récupérent et les dispatchent chaque semaine sur les sites : "Là on a une difficulté de logistique et d'intendance mais on le fait, même si ça met à mal nos structures associatives qui ne sont pas forcément équipées pour ça et dont ce n'est pas vraiment vraiment la mission".

La préfecture, de son côté, a mis en place la distribution de chèque service à destination des familles pour compléter le dispositif.

Sans parler des masques qui manquent partout ou presque, des kits d'hygiènes ont également été distribués dans les bidonvilles, notamment des savons, pour se laver les mains et des gels hydroalcooliques fournis par les collectivités, pour les terrains encore trop éloignés des points d'eau.


Dans les bidonvilles aucune continuité pédagogique

Pour l'instant, toutes les procédures d'expulsions ont été suspendues, un cours répit pour les Roms. Les associations respirent, elles aussi, du coup, mais les inquiétudes se portent ailleurs. Tous les enfants n'étaient pas scolarisés, loin de là.

Pour ceux qui l'étaient, le lien avec l'école a été brutalement rompu. "Souvent les écoles ont mis à disposition des documents pédagogiques qu'il fallait aller chercher. Très très peu de parents se sont déplacés ou ont été contactés pour venir chercher les kits. Nous avons fait un recensement sur trois sites. Sur 35 familles, 4 seulement avaient des moyens de communication, de type smartphone ou ordinateur sur lesquels elles auraient pu recevoir des appels ou des cours. Au final, ça n'a pas fonctionné", déplore Yves Aubry, bénévole.

Sur l'ensemble des bidonvilles de l'agglomération nantaise, il n'y a plus aucune continuité éducative. Et ça c'est ce qui nous inquiète le plus - Yves Aubry, bénévole de l'association "Une famille, un toit"

"Nous essayons de notre côté de ramener du matériel pédagogique, de réinstaurer le lien avec les écoles et de recenser les enfants non scolarisés qui pourrait avoir envie de l'être à la rentrée. Du coup, nous travaillons sur cette question de la place des mômes dans les bidonvilles et notamment nous essayons de préparer l'après pour les questions d'éducation", ajoute Samuel Poirier.
 

"On se met autour de la table"

"On se met autour de la table, chacun dans son rôle bien évidemment et à sa place. On aborde les problématiques. On essaie de trouver des solutions, chacun dans son champ d'intervention. J'ai le sentiment qu'il y a une volonté de partager", explique Nadine Chaïb.

Associations, collectivité et services de l'Etat, on se parle et on essaie d'avancer. Ce n'est pas un sujet facile. On est sur population marginalisée. La resorbtion des bidonvilles est une politique publique qui doit être partagée - Nadine Chaïb, sous-préfète de Loire-Atlantique.

Depuis le 20 mars, des réunions hebdomadaires sont organisées chaque semaine en audio conférence. Elles rassemblent la direction de la cohésion sociale, l'ARS, l'éducation nationale, les associations, Nantes Métropole et les interlocuteurs des 9 collectivités concernée.

"Cette dynamique partenariale, existait déjà en amont, elle va perdurer au delà de cette période de crise, précise Nadine Chaïb la sous-préfète de Loire-Atlantique en charge de la politique de la ville. Il est important d'avancer et de réfléchir ensemble pour definir des stratégies d'interventions sur la question", conclut Nadine Chaïb.
"Oui, des choses ont été mises en place. Mais au delà de l'eau et de la nourriture, je ne sens pas de volonté d'aller plus loin. En revanche, je salue les actes concrets. Cette crise, on la prend comme un levier pour monter en puissance sur des actions de solidarité. Il y a bien une dynamique, elle doit maintenant s'incrire sur du long terme",  explique Samuel Poirier.

Le confinement a provoqué un repli encore plus fort qu'avant. Ces populations là vivent déjà la discrimination et le rejet. Là, le fait d'être calfeutrés sur leurs terrains, ça en rajoute. Déscolarisation, perte d'emploi, comment va t-on pouvoir raccrocher ces familles à la vie ? - Samuel Poirier, responsable actions bidonvilles au Ceméa Pays de la Loire

"Des réunions chaque semaine je n'avais jamais vu ça. Madame Chaïb, sous-préfète a une marge de manoeuvre, une certaine autonomie pour agir et elle l'utilise, c'est à saluer. Mais je ne suis pas naïve non plus. Je n'oublie pas que l'année dernière en pleine épidémie de rougeôle sur les terrains et en pleine canicule, le préfet a expulsé une trentaine de familles qui ont été abandonnées sur le bord de la route pendant 48 heures", conclut Anne Plou.

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