Face à la dégradation des services d'urgences, des soignants d'hôpitaux sonnent l'alerte

Depuis le début de l'été, les fermetures totales ou partielles de services d'urgences se multiplient en Pays de la Loire. Tous sont débordés par le flux des patients et les durées de prises en charge s'allongent. Une délégation du syndicat Force Ouvrière était reçue ce jeudi 22 août à la préfecture de région. Selon le Dr Joël Jenvrin, président du collège régional de la médecine d’urgence en Pays de la Loire, "la problématique est plus structurelle que liée aux saisons".

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Le constat est sans appel : sur les 26 services d'urgences de la région Pays de la Loire, une douzaine sont totalement ou partiellement fermés cet été, notamment la nuit. "L’hôpital public est en danger", dénonce le syndicat Force Ouvrière, lors d'un rassemblement ce jeudi 22 août devant la préfecture de région, à Nantes. Une délégation a été reçue en fin de matinée par les représentants de la préfecture et l’ARS.

"Contrairement à ce que dit le ministre de la Santé dans la presse, que la situation s’améliore par rapport à 2022, ce n’est pas du tout ce que nous expliquent nos collègues dans les services", affirme Benjamin Delrue, infirmier et secrétaire régional FO Santé au CHU d’Angers. 

Que font les pouvoirs publics au niveau national, concrètement, pour enrayer cette situation à court, moyen et à plus long terme ?

Benjamin Delrue

Infirmier et secrétaire régional FO Santé au CHU d’Angers

"On demande des moyens, des lits d’aval pour hospitaliser les patients, d’avoir des personnels en nombre, médicaux et non médicaux pour pouvoir accueillir et faire tourner l’hôpital public comme il devrait pour la population", ajoute l'infirmier, catastrophé par la situation des services d'urgences de la région.

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"La souffrance dans les services nécessite maintenant que tout le monde soit sur le pont et soit en intervention auprès des autorités. Défendre le service public, c’est fondamental, plus que nécessaire, parce que non seulement la population est mise en difficulté, mais les personnels souffrent", s'alarme Jean-Philippe Csajaghy, ancien médecin urgentiste à Château-Gontier (Mayenne). 

On ne voit pas d’amélioration ni dans les effectifs paramédicaux, ni dans les effectifs médicaux. On nous fait fonctionner depuis des années sur des modes dits dégradés.

Jean-Philippe Csajaghy

Médecin urgentiste à la retraite

Les causes sont bien connues et récurrentes, le manque de personnels soignants et les fermetures de lits. Il manquerait 30% des effectifs de médecins, selon le syndicat. "Les agents et les médecins sont épuisés. Les patients ne sont pas toujours pris en charge comme il le faudrait. Une nuit passée sur un brancard aux urgences augmente le risque de décès de 46%", relève l'Union Départementale FO 44 dans un communiqué.

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"Pour nous, la solution est très simple, c’est la réouverture de tous les lits fermés depuis des années. Aujourd’hui, on est au bout de 40 ans de politique de casse des hôpitaux, on subit ce gouffre de lits qui a été créé, réclame Jérémy Burel, secrétaire général adjoint FO CHU de Nantes. On sait aussi que pour rendre les métiers attractifs, il va falloir réembaucher du personnel, et revoir les salaires, c’est fondamental."

Un effet boule de neige

Selon le Dr Joël Jenvrin, président du collège régional de la médecine d’urgence en Pays de la Loire, l'engorgement des services d'urgence n'est pas que saisonnier, même s'il reconnait que la fermeture de lits est plus prononcée l’été. "Au fil des années, les difficultés se cumulent, s’accentuent. La problématique est plus structurelle que liée aux saisons".

"Les services d'urgence cumulent les difficultés de l'amont, c'est-à-dire de la médecine de ville. En été, on a évidemment des cabinets de médecine de ville qui ferment et un accès aux soins non programmés qui est rendu plus difficile, explique Joël Jenvrin. 

On se retrouve aujourd'hui à gérer des difficultés qui étaient prévisibles, qui étaient attendues, mais qui n'ont pas été suffisamment anticipées et travaillées.

Dr Joël Jenvrin,

Président du collège régional de la médecine d’urgence en Pays de la Loire

Selon lui, de 10 à 15% des patients qui viennent aux urgences ne relèvent pas d'une prise en charge dans un service d'urgence avec un plateau technique lourd. 

L'aval de l'hôpital est aussi impacté par les fermetures de lits dans les services de soins et de réadaptation. "L'été, les services infirmiers à domicile sont aussi en effectif réduit. Et donc tout ça se reporte sur les hôpitaux et par effet boule de neige sur les urgences."

"Les conditions de prises en charge des patients sont rendues plus difficiles"

Le manque de personnel soignant concerne l'ensemble des établissements, les services d'urgences, mais aussi les services de soins hospitaliers, de médecine ou encore de chirurgie. Les établissements sont de fait contraints de fermer des lits.

"Par effet boule de neige, le service d'urgence va se retrouver en incapacité de pouvoir faire monter les patients en hospitalisation, et on va se retrouver à terme, comme c'est le cas aujourd'hui, avec des services d'urgence qui vont être 'embolisés' par des patients qui devraient être dans des services hospitaliers, soignés dans des lits", explique le médecin.

On se retrouve avec des patients qui sont dans des brancards-lits qui restent aux urgences pendant plusieurs heures. On y poursuit les soins, mais évidemment de façon moins efficiente que s'ils étaient dans un service hospitalier.

Dr Joël Jenvrin

Président du collège régional de la médecine d’urgence en Pays de la Loire

Joël Jenvrin tient cependant à rassurer la population sur la prise en charge des urgences vitales. "Les patients graves sont toujours soignés comme il se doit", même s'il reconnait qu'en cas de fermeture d'un service d'urgence de proximité, les délais de prise en charge sont rallongés.

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"Sur l'urgence vitale, on a quand même un réseau de proximité avec les organisations de médecine d'urgence, les SMUR (structures mobiles d'urgence et de réanimation), les unités paramédicales hospitalières qui interviennent, en lien avec les équipes secouristes et ambulances privées. Si le patient est en détresse vitale, il est pris en charge sans délai", assure le médecin.

Repenser les fermetures de lits

Le nombre de lits ouverts, par établissement et par spécialité, est lié au schéma régional de santé, défini par l'Agence régionale de santé. Depuis une vingtaine d'années, la fermeture de lits se poursuit en France, justifiée par le développement de la médecine ambulatoire.

"La crise Covid nous a montré qu'on était peut-être allé un peu trop loin dans ce tout ambulatoire, qu'on avait finalement aussi besoin de lits, je pense notamment à la réanimation. Il y a eu tout un programme pour rouvrir des lits de réanimation dans la région, relève le Dr Jenvrin. Aujourd'hui, où est le juste milieu ? C'est difficile à dire. Sans doute que cette vision de la médecine ambulatoire n'a pas suffisamment pris en compte les évolutions de la population. 

On a une population qui est quand même âgée, polypathologique. Même s'il y a l'évolution de la médecine, il y a des soins qui nécessitent parfois des prises en charge hospitalières un peu plus longues.

Dr Joël Jenvrin

Le médecin milite pour un pilotage territorial des fermetures de lits, en fonction des périodes et des besoins. "Même si chaque établissement pilote ses fermetures de lits, il faut avoir une vision qui soit départemental, au sein d'un groupement hospitalier de territoire, par exemple. Cela éviterait ou limiterait, en tout cas, le nombre de patients qui restent immobilisés dans les services d'urgence."

La rencontre entre l'ARS, le sous-préfet et les représentants FO s'est achevée sur un constat d'inquiétude partagée, sans solutions effectives. "L'ARS nous dit qu’ils n’ont pas les médecins, les infirmiers", résume Sébastien Lardeux, secrétaire général FO de l'Union départementale de Mayenne. Lundi 26 aout, une réunion inter-syndicale décidera de la suite de la mobilisation dans la région.

durée de la vidéo : 00h01mn30s
Depuis le début de l'été, les fermetures totales ou partielles de services d'urgences se multiplient en Pays de la Loire. Tous sont débordés par le flux des patients et les durées de prises en charge s'allongent. Une délégation du syndicat Force Ouvrière était reçue ce jeudi 22 août à la préfecture de région ©Juliette Poirier, Boris Vioche et Marie-Catherine Georgelin

► Le reportage de Juliette Poirier, Boris Vioche et Marie-Catherine Georgelin

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