Le groupe breton Eureden a fait livrer 3.000 litres de K-Obiol, un insecticide autorisé mais "dangereux", pour traiter les céréales stockées sur son site de Plouisy. Le collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'ouest lance l'alerte et constate amèrement que, depuis l'affaire Triskalia en 2010, "les méthodes ne changent pas".
"On a l'impression d'être revenus à la case départ". Michel Besnard soupire. Le porte-parole du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'ouest pointe du doigt Eureden (ex-Triskalia). Le groupe agroalimentaire a fait livrer 3.000 litres de K-Obiol, le 8 août 2024, sur son site de stockage de céréales à Plouisy, dans les Côtes-d'Armor.
"Ce sont des salariés qui nous ont alertés, explique Michel Besnard. Le K-Obiol est un insecticide dangereux, destiné à traiter directement des céréales contre les alucites, les charançons, les silvains et les triboliums. Et ces milliers de tonnes de céréales, stockées à Plouisy depuis 2023, vont servir à la fabrication d'aliments pour les élevages et risquent donc d'être contaminées".
"Rien ne change"
Le collectif - qui a rendu l'information publique ce 22 août lors d'une conférence de presse aux côtés de l'union régionale Solidaires et du Comité de soutien des victimes des pesticides de Triskalia - dresse "le triste constat que rien ne change et que cette entreprise n'a toujours pas tiré les leçons du passé". Comprenez : l'utilisation en 2009 et 2010, sur le même site, de pesticides (K-Obiol, Nuvan Total et Nuvagrain) pour traiter les céréales stockées.
À l’époque, Eureden s'appelait Triskalia. Plusieurs salariés de la coopérative bretonne avaient été intoxiqués et l'affaire portée devant la justice. S'ils ont obtenu gain de cause aux Prud'hommes et au tribunal des affaires de Sécurité sociale qui a reconnu la faute inexcusable de l'employeur, le tribunal de Saint-Brieuc a, en revanche, prononcé un non-lieu sur le volet pénal. "Le dossier est en cours d'instruction devant la cour d'appel de Rennes" précise le collectif.
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Alors, c'est peu de dire que cette récente livraison de 3.000 litres de K-Obiol réactive les interrogations. "On a été informés par hasard, si on ne nous l'avait pas dit, on n'aurait pas su, observe Michel Besnard. On peut donc aisément penser que l'utilisation de pesticides dans les silos de stockage n'a jamais cessé. Et pas uniquement chez Eureden. C'est une pratique certainement ailleurs aussi".
Il rappelle que "l'utilisation massive" de pesticides comme le K-Obiol pour la conservation des céréales stockées a des incidences sur la santé des salariés, des agriculteurs et par extension sur l'alimentation humaine "puisque, souligne-t-il, les aliments pour les animaux d'élevage peuvent être potentiellement contaminés".
Spéculation
Pourtant, affirme le collectif de soutien aux victimes des pesticides, il existe d'autres méthodes qui permettent d'éviter que les insectes ne s'attaquent aux stocks de céréales, citant notamment des systèmes de ventilation afin d'abaisser la température dans les silos.
Cette question du stockage met également en relief les enjeux financiers au sein de l'industrie agroalimentaire. "Ils stockent car ils spéculent, note Michel Besnard. Le cours de la tonne de céréales évolue constamment. Au moment où je vous parle, il est à 199 euros la tonne, il y a quelques jours, c'était 185 euros la tonne. Ils stockent pour pouvoir vendre au moment où le prix est le plus élevé".
Le militant sait d'ores et déjà que la demande d'isoler les céréales stockées et traitées à Plouisy "va faire bondir Eureden parce que, dans le cas qui nous occupe, on parle de 5.000 tonnes. Soit un million d'euros. On veut que ces céréales ne soient pas transférées vers l'alimentation animale et qu'un organisme indépendant effectue une analyse".
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Ce nouvel incident fait l'objet d'un signalement au procureur de la République de Saint-Brieuc et à l'inspection du travail depuis le 19 août. "Nous allons également informer la commission européenne" précise encore Michel Besnard.
Jointe par téléphone, la coopérative Eureden confirme, pour sa part, avoir acheté du K-Obiol pour, explique-t-elle, "traiter les lots de céréales infestés par les charançons". L'entreprise agroalimentaire ajoute qu'elle utilise "ce produit conformément aux recommandations de la profession et dans le plus strict respect de la réglementation". Elle assure également que les salariés chargés de traiter les céréales sont "formés et habilités pour réaliser cette opération en toute sécurité".