L’affaire avait été dépaysée pour plus de sérénité. Ce vendredi a été rendu le jugement dans l’affaire Steve Maia Caniço, cinq ans après la mort du jeune homme tombé dans la Loire un soir de la fête de la musique à Nantes. Le commissaire Grégoire Chassaing, en charge des opérations ce soir-là, était le seul à comparaitre au mois de juin dernier.
"Nous n’avons pas relevé d’éléments qui permettraient d’affirmer que vous avez commis une faute, et encore moins une faute caractérisée, qui aurait entrainé la mort de Steve Maia Caniço. Vous êtes donc relaxé", le tribunal correctionnel de Rennes a rendu son jugement en délibéré ce vendredi après-midi.
Louis Cailliez, avocat de la défense, estime que "justice a été rendue".
"Grégoire Chassaing est un homme innocent, je ne vous cache pas le sentiment de délivrance, de libération, d'émotion. L'émotion est indescriptible".
La défense a crié dans le désert pendant cinq ans
Louis CailliezAvocat de la défense
"C'est l'aboutissement d’un long combat, je veux saluer le courage de ce tribunal qui a résisté à la pression monumentale qui existait dans ce dossier, a-t-il poursuivi, je veux aussi avoir une pensée pour les proches de Steve Maia Caniço, ils ont été d’une dignité absolue. Ils avaient des questions, ils attendaient des réponses et ils les ont obtenues'.
"En ce sens, cette relaxe n’est pas un aveu d’échec ni de faiblesse, elle est conforme au droit, et doit être acceptée par tous", a ajouté Me Louis Cailliez.
Les avocats des parties civiles espèrent que le parquet fera appel de cette décision.
"Cette décision n'est pas définitive à ce stade, a ainsi estimé Me Cécile de Oliveira, il appartiendra au parquet de savoir si l'accusation doit continuer à être portée en appel. Le travail très précis de l’IGPN n’a par exemple pas suffisamment été pris en compte à notre sens".
Pour Me William Pineau, l'autre avocat des parties civiles, "c’est une décision qui reconnaît un certain nombre de fautes et une opération de police extrêmement discutable face à des jeunes venus simplement écouter de la musique. Des choix de commandement discutables, eux aussi, mais qui pour des raisons de techniques, juridiques, ne peuvent pas selon les magistrats être imputés personnellement à Grégoire Chassaing".
C’est une décision qui reconnaît que ces mauvais choix policiers ont causé la chute de Steve dans la loire. C’est une première étape et nous espérons pouvoir en franchir une deuxième devant la cour d’appel
Maître William PineauAvocat des parties civiles
Un procès dépaysé
Loin de Nantes, et de la Loire, c’est au tribunal de Rennes que s’était joué en juin dernier l’un des dossiers judiciaires les plus sensibles de ces dernières années. Un nom et un visage, celui de Steve Maia Caniço.
Un procès éprouvant, cinq jours d’audience, une trentaine de témoins auditionnés, des heures d'expertise technique, et une question : la mort de Steve est-elle directement liée à la charge policière lancée par le commissaire Chassaing à 4 h et demi du matin en bordure du fleuve ?
Devant la cour, deux versions s'étaient opposées. L’avocat de la défense rejetait toute responsabilité du commissaire. Selon lui, le jeune homme serait tombé dans Loire de manière accidentelle, à bonne distance des policiers qui agissaient en état de légitime défense.
"Il n'y a jamais eu, à aucun moment, de tirs lacrymogènes pour faire cesser la musique, ça n'a aucun sens, estimait en juin dernier, Louis Cailliez, l'avocat de Grégoire Chassaing, il y a eu simplement du tir lacrymogène en riposte à une agression et à une pluie de pavés et de bouteilles qu'ils ont reçus".
"On a aujourd'hui un commissaire à qui on impute des tirs de certains de ses hommes sous son autorité sans qu'il n'y soit pour rien", avait poursuivi l'avocat de Grégoire Chassaing
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À la barre, c’est toute la hiérarchie policière qui avait fait bloc derrière le commissaire. Grégoire Chassaing, récemment promu chef de la police lyonnaise, avait été jugé irréprochable par ses pairs. Un esprit de corps qui a provoqué la colère des parties civiles.
"On a le sentiment de témoignages qui ont été briefés, surbriefés, et de témoins qui sont essentiellement là non pas pour témoigner avec objectivité d'une situation, mais pour venir en soutien de leur collègue Grégoire Chassaing et pour venir, surtout, dans la défense de l'institution qu'est la Police nationale", déplorait en juin dernier l'avocate des parties civiles, Cécile de Oliveira.
C’est donc le procès d’un homme, et non celui des violences policières, qui a trouvé son issue ce vendredi.
"Une peine de principe" demandée
Le 14 juin, au dernier jour de son procès pour homicide involontaire devant le tribunal correctionnel de Rennes, l'accusation avait requis la condamnation sans ambiguïté du fonctionnaire de police de 54 ans.
C'est lui "qui a conduit une action collective, laquelle a créé la situation qui a abouti in fine au décès de Steve", animateur périscolaire de 24 ans, avait estimé le procureur Philippe Astruc.
Il s'était ensuite contenté de demander "une peine de principe", sans fixer de quantum. En l'absence de circonstances aggravantes, l'homicide involontaire est passible d'une peine maximale de 3 ans de prison et de 45 000 euros d'amende.
La défense du commissaire, âgé de 54 ans, désormais chef de circonscription à Lyon, avait réclamé la relaxe, Me Louis Cailliez demandant aux trois magistrates de ne pas "ajouter une injustice à tout ce qui s'est passé ce soir-là", dans la nuit du 21 au 22 juin 2019.
Le rappel des faits
Dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, Steve Maïa Caniço meurt noyé dans la Loire à Nantes suite à une charge policière controversée, quai Wilson à Nantes, lors de la fête de la musique.
Peu après 4 h du matin, une vingtaine de policiers intervient pour faire cesser la musique sur ce lieu où plusieurs scènes électro s'étaient installées. L'une d'elles continuait de diffuser sa musique au-delà de l'horaire légal alors que les autres remballaient leur matériel.
L'enquête a permis de déterminer que la chute de Steve avait eu lieu à un endroit du quai sans barrière à 4 h 33 et 14 secondes, soit deux minutes après les premiers tirs de grenades des policiers.
Pris dans un épais nuage de fumée de gaz lacrymogènes, plusieurs fêtards avaient fait une chute de 5 à 6 mètres dans une eau à 21 °C. Certains avaient été récupérés par un canot de secours nautique, spécialement prévu pour la nuit.
Mais Steve Maia Caniço n'avait pu rejoindre le quai.
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