Capucine Coudrier a 21 ans. Son premier amour d'adolescente s'est transformé en cauchemar. Entre l'âge de 15 et 18 ans elle a été victime de violences psychiques, physiques et sexuelles. Elle vient de créer un compte Instagram pour dénoncer ce fléau. Et les témoignages affluent.
Capucine a 15 ans lorsque l'histoire commence. Un premier amour adolescent. Une histoire que l'on voudrait belle, inoubliable...Pour la jeune fille, le début d'une longue descente aux enfers. Forte aujourd'hui de cette expérience traumatisante, Capucine a décidé de parler, de se livrer sans filtre. Pour alerter et éviter que d'autres ne vivent de telles violences.
Sur Instagram, elle crée "Ovaires the rainbow"
L'idée lui trottait dans la tête depuis déjà longtemps. Capucine est abonnée aux comptes Instagram féministes et militants. "Je ne savais pas quoi inventer pour créer quelque chose de différent. Je suis quelqu'un de très littéraire, passionnée de lecture. Je ne savais pas trop quoi faire de tout ça. Je me suis dit que le podcast pouvait être un outil assez sympa et facile à partager. Et ça marche bien en ce moment. Donc je me suis lancée dans un podcast féministe. C'est ça la base d'"Ovaires the Rainbow". Un épisode sort le 15 de chaque mois et donne la parole aux femmes", explique Capucine.
Pour moi c'était extrêmement important de créer un espace sur lequel les femmes puissent venir témoigner. Elles n'ont que très peu de place dans les médias pour raconter leurs histoires. Je pense que parler et libérer la parole sur des sujets intimes et compliqués, c'est quelque chose d'essentiel, qui sert à a avancer
Et Capucine est bien placée pour le savoir après avoir subi trois longues années de violences. "J'étais bloquée, je n'osais pas en parler. J'avais extrêmement honte. Aujourd'hui je suis convaincue que prendre la parole, ça aide à guérir et à rendre son expérience utile. On peut légitimement venir en aide à des personnes qui ont traversé la même chose ou qui sont en train de le vivre".
"Au départ c'était une relation classique"
Lorsqu'elle rencontre celui qui va devenir son bourreau, Capucine a 15 ans. Elle est au collège. "Au départ c'était une relation assez classique entre deux jeunes. Il n'y avait aucun élément avant-coureur. En fait, c'est petit à petit que les choses ont commencé à devenir anormales", raconte la jeune femme.
Au fil du temps l'adolescent, qui a tout du profil du pervers narcissique, enferme Capucine comme une proie.
C'était quelqu'un qui voulait me couper de ma famille, de mes amis. Il voulait s'accaparer ma personne. Que je sois entièrement à lui. Ça a vraiment commencé comme ça
Très vite, le jeune garçon s'immisce dans les moindres espaces de liberté de sa compagne. "Au lycée j'étais à l'internat, lui non. Il voulait que je l'appelle tous les soirs pour, qu'en fait, je ne puisse parler qu'à lui alors que l'on se voyait déjà toute la journée. Il voulait que je n'aie aucun lien avec mes amis".
"J'étais proche d'elle, pour lui c'était une menace"
Et il ne s'arrête pas là. Insidieusement, le garçon critique la petite soeur de Capucine. "J'étais proche d'elle. Il sentait que c'était une menace. Il a procédé comme cela pour me couper de tout le monde".
Difficile, pour la jeune femme aujourd'hui de dresser une liste des violences et des humiliations qui ont émaillé ces trois années. "C'est difficile pour moi de me rappeler à partir de quand exactement ça a commencé et tout ce que cela comprenait. Ce sont des souvenirs traumatiques dont forcément il y a des souvenirs qui se sont effacés". Le récit, est malgré tout, glaçant.
Très vite arrivent les violences physiques, les premiers coups sournois.
Il me poussait quand il n'était pas d'accord avec moi. Et puis, il y avait des choses plus discrètes. Des choses faciles à infliger partout où on allait, comme me pincer le bras. Quand il était contrarié que l'on était avec des amis, c'était une manière pour lui de me rappeler que je ferais mieux de faire ce qu'il voulait. Sinon ce serait pire.
"J'ai perdu toute confiance en moi"
Par exemple si je refusais de coucher avec lui, il me disait très bien...tu ne vas pas dormir ! Du coup, il me criait "tu descends du lit et tu te couches par terre ! Et d'autres intimidations encore en me mettant la lumière dans les yeux pour que je ne trouve pas le sommeil
"Il faisait partie de la famille"
Nous étions près d'Arcachon. Nous nous étions éloignés tous les deux pour prendre des photos. Il n'était pas satisfait du tout du résultat. Il me disait que les photos étaient nulles, vraiment moches, que je ne savais rien faire. De colère, il a retiré sa chaussure pour me la jeter au visage. J'avais un bleu alors j'ai paniqué. Je me suis demandée comment j'allais faire, qu'est-ce que j'allais dire pour justifier cette blessure. Il a inventé une histoire comme quoi je m'étais pris une branche. C'était toujours ça : trouver des subterfuges pour surtout ne pas dire la vérité.
"Ça passait parce que lorsqu'on est parent, on est loin de s'imaginer que notre enfant peut subir de telles choses. Quand des années plus tard je leur ai annoncé tout ce qui s'était passé longtemps après que ce soit terminé, mon père et ma mère étaient vraiment sous le choc. Ils n'avaient pas imaginé une seule seconde que je pouvais vivre ça", explique la jeune femme.
"Je me suis cognée, je marque vite"
Même à ses copains et copines de l'époque, Capucine n'a jamais rien dit." J'ai une de mes meilleures amies qui avait vu des bleus sur mes bras notamment à cause des pincements. Quand elle me demandait ce que c'était, je lui répondais : c'est rien, je me suis cognée, je marque vite".
Ces amis en revanche n'ont pas étaient trop surpris lorsqu'ils ont su : "Il pouvait me parler extrêmement mal et me rabaisser devant eux ".
Coincée dans cette relation toxique, Capucine n'a pas conscience qu'elle est victime de violences conjugales.
Je savais ce que c'était, j'ai toujours été sensible à ce fléau et à tout ce qui touche à la condition des femmes. Pour moi ça ne pouvait pas être des violences conjugales, parce que j'étais beaucoup trop jeune, ça ne pouvait concerner que les adultes. J'ignorais vraiment le sujet. Et c'est d'autant plus important pour moi d'en parler aujourd'hui. Parce que, oui, c'étaient bien des violences conjugales.
A 17 ans, la jeune femme est résignée, prête à poursuivre cette existence, comme si tout était normal ou presque. "C'était horrible. J'avais accepté, soumise. Je me disais : je vais rester toute ma vie avec lui parce que de toutes façons, il a raison, je ne trouverai jamais personne d'autre, je suis nulle. Je ne pourrai jamais partir... j'étais vraiment dans cet état d'esprit là."
Une tromperie qui lui sauve la vie
Paradoxalement, c'est ce petit ami violent, violeur et harceleur qui va lui permettre de trouver une porte de sortie en la trompant. "C'était une période très compliquée de ma vie. Je venais de perdre ma grand-mère. Le fait qu'il m'ait trompée ça a été le déclic. Je me suis demandé comment il pouvait me faire ça alors que j'étais en plein deuil. Je me suis dit : il faut que tu partes ! Mais ce n'était pas lié directement aux violences conjugales."
Le faux pas du garçon lui a peut-être sauvé la vie.
Je l'ai quitté. Il s'en fichait. Il pensait que, de toutes façons, j'allais revenir. Au final, quand il a compris que je ne ferais pas marche arrière, il m'a fait du chantage. Il me harcelait par messages. C'était très dur pour moi à ce moment-là mais j'ai réussi à passer à autre chose"
Ce qui va permettre à Capucine de s'en sortir définitivement, c'est une rencontre. Celle d'un autre garçon. "Avec lui j'ai vu ce qu'était une relation saine. Après deux mois passés à ses côtés, j'ai compris que ce que je vivais avant ce n'était pas du tout normal. C'est là aussi que j'ai commencé à avoir des flashbacks, vraiment des images choquantes qui me revenaient en mémoire. J'ai pris conscience petit à petit. Il m'a fallu du temps pour que je mette le mot de violences conjugales sur mon histoire."
Ces expériences sont extrêmement destructrices. Le fait qu'elles aient lieu en plus à l'adolescence, cela dédouble les impacts. Là, entre mes 15 et mes 18 ans, c'est vraiment une période où j'aurais dû me construire en tant que future adulte. Au final, je n'ai pas du tout pu le faire. Dans les mois qui ont suivi, j'ai eu le sentiment d'être passée à côté de cette période de ma vie et de ne pas l'avoir vraiment vécue. Quand je repense au lycée par exemple, j'ai l'impression de tout avoir effacé
"Sur Instagram, j'ai énormément de témoignages d'adolescentes qui vivent ce que j'ai vécu"
Capucine aura 21 ans dans un mois. Elle est étudiante en Lettres modernes à Nantes et devrait entrer en master communication à la rentrée prochaine. Ce passé douloureux, elle veut en faire une force.
"C'est très important pour moi de témoigner. Je le vois avec ma page Instagram. Je reçois énormément de messages de jeunes filles qui soit sont adolescentes et sont dans cette situation, soit me disent avoir vécu la même chose quelques années auparavant. Je sens qu'il y a vraiment un tabou autour de ce sujet-là. Je suis persuadée qu'à l'époque, si j'avais lu un tel témoignage, je me serais réveillée de ce cauchemar. J'en aurais probablement parlé autour de moi. Je pense que cela touche beaucoup plus de personnes autour de nous qu'on pourrait le penser."
Longtemps elle s'est sentie coupable mais aujourd'hui elle se sait victime. Capucine a porté plainte contre son agresseur en octobre dernier.
La jeune femme vient d'emménager avec celui qui lui a fait découvrir l'amour, le tendre, le vrai. Mais elle sait que la reconstruction prendra du temps. Après avoir participé à des groupes de parole, et rencontré un psychiatre et une psychologue, elle s'oriente désormais vers l'hypnose : "J'ai commencé à travailler avec une hypnothérapeute qui est gynécologue. Elle est là pour m'accompagner dans tout ce qui est traumatismes liés à la sexualité. C'est surtout cela aujourd'hui qui reste à guérir chez moi."