Placé à 14 ans dans un foyer, Julian Letry s'est fixé un objectif : marcher d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) jusqu'à La Baule, soit un périple de 470 km pour donner ainsi une image positive des enfants placés et en finir avec les préjugés.
Une marche de près de 500 km en 15 jours... Julian Letry n'est pas un champion olympique, mais il porte en lui la flamme de l'engagement.
Le jeune homme de 17 ans est parti mi-juillet d’Enghien-les-Bains, dans le Val-d’Oise, pour un périple de plusieurs centaines de km jusqu'à La Baule. Son but, retrouver Meghan, sa demi-sœur de 25 ans, qu’il n’a pas vue depuis près de trois ans. Trois longues années pendant lesquelles l'adolescent a été privé de sa "deuxième maman", du fait de son placement dans un foyer.
Trop de gens pensent encore qu’être à l’ASE c’est forcément être un mauvais élève, un délinquant
Julian LetryAdolescent confié à l'Aide sociale à l'enfance
Plus qu'un défi sportif, une marche pour tous ces jeunes aux parcours cabossés. En prenant son bâton de pèlerin, Julian avance pour véhiculer une image positive et casser les idées reçues sur les enfants placés, parfois séparés de leur fratrie, souvent victimes de violence et "qui ont perdu toute confiance en l'adulte".
Car Julian sait de quoi il parle. Sa vie, elle aussi, est loin d'être un long fleuve tranquille. Petit, il n'a pas connu l'amour d'un père parti trop tôt, mais la violence d'un beau-père dont il a été le souffre-douleur jusqu'à l'âge de 14 ans, âge auquel il a été confié à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) d'Argenteuil.
Dans son foyer, il va retrouver une certaine sécurité, mais très vite, il fait le constat d'un dysfonctionnement au sein de ce dispositif de protection de l'enfance. "Il y a d'abord un manque criant de moyens, surtout dans les foyers, mais aussi un manque de valorisation du travail d'éducateur dans la société, dénonce le jeune homme. Et il faudrait aussi penser à la santé mentale des jeunes qui ont été placés".
Un quart des jeunes de moins de 25 ans qui vivent aujourd'hui dans la rue sont passés par l'aide sociale à l'enfance
Julian Letry
De la chance dans son malheur...
C'est au lycée, pendant son année de seconde, que la vie de Julian va prendre une nouvelle direction. À l’occasion d’une intervention sur la justice pour mineurs, il découvre l’association Jeune et Engagé, qui milite pour l'émancipation de la jeunesse à travers différents projets. Comme cette marche de 500 km.
"J'ai eu un déclic, j'ai compris un tas de choses et c'est à partir de ce moment que j'ai décidé de mettre à profit mon expérience pour montrer l'exemple et prendre la parole, se souvient le lycéen qui vient de décrocher son bac avec mention, malgré des difficultés d’apprentissage liées à sa dyslexie. Il suffit parfois de pas grand chose pour retrouver la confiance en soi et réussir ce que l'on pensait impossible. J'ai eu cette chance".
Des préjugés qui ont la peau dure
Alors partout où il passe, il répand son message haut et fort. "Trop de gens pensent encore qu’être à l’ASE c’est forcément être un mauvais élève, un délinquant", s'insurge le marcheur, qui en a encore fait les frais avec ses deux accompagnateurs en charge de la logistique lors de son périple vers La Baule.
"Dans certains hébergements sollicités pour nous accueillir, des personnes ont refusé de nous ouvrir leur porte car ils craignaient qu'on reparte avec des choses dans nos poches !, relate, non sans amertume, celui qui marche pour la bonne cause. C'est là que je me dis qu'il y a encore beaucoup de travail pour déconstruire tous ces préjugés...".
À 18 ans : fin de l'ASE et début de la galère
À ceux qui ne le savent pas, il rappelle l’injustice faite à ces milliers de jeunes placés, pour qui l'âge de la majorité est un couperet et le début d'une longue galère... "C'est comme un deuxième abandon, du jour au lendemain, certains se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans solution d'hébergement ni aide financière...".
Il aura fallu attendre la Loi Taquet de 2022 pour permettre aux jeunes majeurs qui étaient pris en charge par l'ASE, et se retrouvaient sans ressources ni soutien familial, de bénéficier d'un accompagnement du département. Un "contrat jeune majeur", dont ils peuvent bénéficier jusqu'à l'âge de 21 ans.
"C'est quand même gravissime d'avoir attendu tout ce temps pour qu'enfin les politiques se réveillent ! Mais c'est bien sûr une très bonne mesure, même si, selon les départements, certains auront des contrats reconduits jusqu'à 21 ans et d'autres jusqu'à 19 ans seulement. Deux ans, c'est beaucoup quand on se lance dans la vie..."
Une mesure d'accompagnement dont Julian souhaite bénéficier jusqu'à ses 21 ans. D'ici-là, d'autres marches l'attendent : celles de l'université où l'étudiant entame une double licence en droit et en philosophie, à Nanterre. Avec toujours ce même objectif : servir l'intérêt général.
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