Pendant 18 ans, Aurélie le Maléfant a vécu sous l'emprise d'un homme, entre dénigrement et manipulation. Un an et demi après sa fuite, elle publie un guide pour alerter et accompagner les autres femmes victimes de violences conjugales, aussi bien physiques qu'économiques et sexuelles. Elle raconte.
C'est entre deux rayons d'un petit café-librairie indépendant, dans le centre-ville de Nantes, que nous la retrouvons. Veste de costume blanche sur les épaules, Aurélie le Malefant se détache de l'obscurité de la pièce. "Cet endroit est génial", lance-t-elle en chuchotant. La quadragénaire a le regard rivé sur les livres qui l’entourent. Cette amoureuse de lecture semble se sentir comme chez elle.
Large sourire sur les lèvres, elle nous reçoit comme on reçoit une vieille connaissance. Elle préférera d'ailleurs qu'on l'appelle Aurélie et qu'on la tutoie. Avant de raconter son histoire, elle prend une bande dessinée dans ses mains. Un album pour adolescents qui parle de sexualité. "Ça m'intéresse parce que je vais échanger avec une sexologue dans le prochain épisode de mon podcast, pour comprendre ce qui est normal, ou pas, à ce sujet."
Depuis quelques mois, Aurélie le Maléfant parle de son vécu, exprime ses émotions et partage ses réflexions dans une série audio qu'elle a nommée "Merci mec". Plus de trente épisodes, allant de dix minutes à une heure, sont sortis depuis mars 2024. "C'est un des moyens que j'ai trouvés pour libérer ma parole", souligne-t-elle.
Aurélie a 42 ans et elle revit depuis un an et demi. Pendant dix-huit ans, cette mère de deux enfants a vécu sous l'emprise d'un homme violent.
Le gendre idéal
Elle a à peine plus de vingt ans au moment d'emménager avec lui. "Tout est allé très vite entre nous. On s'est mis ensemble en décembre 2004 et, deux mois après, en février, on a commencé à vivre sous le même toit", raconte-t-elle.
Avec du recul, Aurélie estime que c'était bien trop tôt : "je ne connaissais rien à l'amour, je n'avais eu qu'une petite amourette avant lui." Mais, à cette période, la jeune femme qu'elle est tombe sous le charme d'un homme qui dit partager ses envies et ses centres d'intérêt. Tout semblait parfait.
Puis, en public, il apparaissait comme "le gendre idéal". "Quand il y avait beaucoup de monde, il était adorable. Du genre à dire que j'étais la plus belle femme du monde…", se souvient Aurélie, en levant les yeux aux ciels. "Tout ça n'était qu'une illusion", assure-t-elle désormais.
Tu me fais chier avec ta crise d'angoisse
Ex-conjoint d'Aurélie
Elle dit s'être rapidement rendue compte du mirage, mais qu'elle ne voulait pas se l'avouer. Selon elle, dès le départ, des signes ne trompaient pas. Elle raconte ainsi avoir fait une grosse crise d'angoisse le jour de son emménagement, sans trop en comprendre la raison. "Mais, je sais qu'on n’est pas censée réagir ainsi quand on s'installe avec son mec, normalement, on est joyeuse", souligne Aurélie.
Et, face à ce moment d'anxiété, il n'a eu qu'une seule réponse : "Tu me fais chier avec ta crise d'angoisse. Tu ne sais pas gérer tes émotions". Cette critique, l'homme la lui refera à plusieurs reprises.
J'étais au plus bas et il n'a pas eu un seul geste de compassion. Tout n'était que dénigrement.
Aurélie le Maléfant
Quelques années plus tard, en janvier 2023, c'est une autre crise d'angoisse qui sera l'élément déclencheur. Celle-ci aura duré quatre heures. "C'était très douloureux", précise Aurélie. Le lendemain matin, son médecin la met en arrêt de travail pendant quinze jours, il est ensuite renouvelé durant plusieurs mois.
"Il me disait en état d'extrême fatigue, en burn-out. Mais, au fond de moi, je savais que ce n'était pas lié au travail", relève la quadragénaire. Elle prend une gorgée de thé avant de poursuivre : "J'étais au plus bas et il n'a pas eu un seul geste de compassion. Tout n'était que dénigrement."
Aurélie lâche un petit rire jaune. "Je me disais qu'un mari n'avait pas à dire ce genre de choses. Puis, en avril, on est parti en week-end. Ça s'est plutôt bien passé, mais on était à peine rentrés que les réflexions ont repris de plus belle. C'est là, que j'ai décidé de partir, pour de bon", conclut-elle, en posant son mug.
Des violences en cascade
Partir, Aurélie a essayé plusieurs fois. "À chaque fois que c'était trop, je lui disais que j'allais demander le divorce, mais je ne le faisais pas. Je finissais toujours par lui trouver des excuses, me dire qu'il allait changer...", détaille-t-elle.
D'après les organismes venant en aides aux personnes victimes de violences, les femmes quittent en moyenne sept fois le domicile conjugal avant le faire définitivement et, d'ainsi, rompre l'emprise.
“Il m'a fallu 18 ans pour avoir le déclic”, pose Aurélie. Et, si elle assure aller "bien", elle semble encore dans une phase de compréhension. "En vous parlant, je me rends encore compte que ce n'était pas normal de vivre tout ça", lâche-t-elle. À ce moment-là, elle nous raconte le contrôle financier quotidien que lui faisait subir son ex-mari.
"On avait un tableau Excel dans lequel on notait toutes nos dépenses. S'il estimait que j'avais mal fait les courses, que j'avais trop dépensé d'argent, je devais me justifier devant lui. Il me demandait de lui montrer le ticket de caisse pour lui prouver qu'il n'y avait bel et bien pas telle ou telle promotion. Aussi, je devais lui expliquer pourquoi j'ai acheté un nouveau pyjama pour les enfants... Ce sont des exemples, parmi d'autres", relate-t-elle.
J'ai 42 ans et je ne sais pas ce que c'est que de faire l'amour avec quelqu'un
Aurélie le Maléfant
Et, à cette violence économique, s'ajoutaient des violences morales, physiques et sexuelles. "Il me dénigrait tout le temps, j'étais sa chose", pose Aurélie. Alors que devant ses collègues, il la définissait comme la plus belle femme du monde, à la maison et en plus petit comité, les remarques pleuvaient sur Aurélie.
"Si je m'habillais trop féminin, ça n'allait pas parce que ça pouvait attirer le regard d'autres hommes. Mais, si je m'habillais avec un jean baggy, ça n'allait pas. Même logique avec le maquillage. Je ne savais plus comment faire pour lui plaire", détaille-t-elle. Puis, elle ajoute : "au lit, ce n'était que les désirs de monsieur, quand il le voulait. J'ai 42 ans et je ne sais pas ce que c'est que de faire l'amour avec quelqu'un."
D'après les chiffres de l'Observatoire national des violences faites aux femmes, en 2022, 321 000 femmes, âgées entre 18 et 74 ans, sont victimes de violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques commises par leur conjoint ou ex-conjoint, au cours d'une année en France. Il s'agit de l'estimation basse.
Tout contrôler
Aurélie décrit son ex-mari comme un homme qui voulait tout contrôler, dont elle, surtout elle. "Dès que je n'étais pas avec lui, il m'envoyait des SMS en série pour savoir où j'étais et ce que je faisais. Ne pas savoir était insupportable pour lui", raconte-t-elle.
Cette pression des messages, elle dit l'avoir notamment vécue au début de leur relation, lorsqu'elle allait voir son père en Bretagne. Là-bas, la jeune femme n'était pas forcément sur son téléphone pour répondre au SMS de son petit ami. Elle profitait de la plage et faisait des activités en famille.
"Ça ne lui plaisait pas. Il a alors commencé à me retourner le cerveau, à me dire que quand j'étais chez mon père, je ne lui parlais plus. Que tout ça, les conflits, c'était la faute de mon père. En gros, il me faisait comprendre que mon père n'agissait pas bien avec moi", relate Aurélie.
Des affirmations qui, à force de répétition, ont fini par entrer et s'installer dans l'esprit d'Aurélie : "Un jour, une dispute a éclaté entre mon père et moi. Il essayait de me faire comprendre que j'étais sous l'emprise de cet homme. Je n'ai pas voulu l'entendre. C'est ainsi qu'on ne s'est plus parlé pendant sept ans."
En dix-huit ans, j'ai perdu beaucoup d'amis. J'en ai retrouvé quelques-uns qui m'ont dit 'enfin, tu es partie'.
Aurélie le Maléfant
En avril 2023, quand elle a fui, son premier réflexe a été d'appeler son père. Celui-ci ne lui en voulait pas, davantage soulagé par la séparation. "Il savait que je reviendrais et, aujourd'hui, tout est super. Il voit ses petits enfants. On revit comme une vraie famille", expose-t-elle en souriant.
Vivre avec cet homme a aussi éloigné Aurélie de ses amis. Elle raconte : "En 18 ans, j'ai perdu beaucoup d'amis. J'en ai retrouvé quelques-uns qui m'ont dit 'enfin, tu es partie'. Certains me racontent maintenant qu'ils trouvaient des excuses pour ne pas venir manger à la maison parce que les réflexions de mon ex-mari à mon égard les gênaient. D'autres, qui m'avaient déjà alerté sur la toxicité de mon couple, se disent heureux de me retrouver."
Un guide pour les générations futures
Un an et demi après la rupture, Aurélie est toujours en instance de divorce. Et, à cela, s'ajoutent plusieurs plaintes pour différents faits de violences, à la fois sur elle, mais aussi sur ses enfants. "J'ai déposé trois plaintes et mon fils trois autres", détaille-t-elle. Ces 18 années ne font alors pas encore partie de son passé.
Même si tout n'est pas encore fini, la quadragéniare a ressenti le besoin de coucher sur le papier ce qu'elle a vécu. "Je vais mieux, je ne ressens plus de colère, mais j'ai envie de parler", confie-t-elle. De ce désir est né un guide autobiographique. Aurélie y raconte son histoire, mais hors de question de ne pas parler que d'elle : "je veux surtout alerter les générations futures et aider les femmes qui vivent la même chose".
L'ouvrage n'a donc rien d'un roman. Pendant 370 pages, découpés en quatre chapitres, Aurélie donne des indications : qu'est-ce que le phénomène d'emprise et comment le reconnaître ; comment fuir quand on est sous emprise ; comment se reconstruire une fois que l'on est partie et pourquoi la libération de la parole est essentielle.
Un long chemin de reconstruction
D'après la Fondation des femmes, la libération de la parole conduite de plus en plus de femmes à aller porter plainte en cas de violence. "Le rapport du Ministère de l’Intérieur montre que le nombre de signalements pour violences conjugales auprès des forces de l’ordre a doublé en cinq ans", est-il noté sur leur site web.
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"Le chemin de la reconstruction est long. Parfois, on se sent comme une warrior. Parfois, on se sent très mal et on n'a plus envie de sortir de son lit. C'est important de ne pas se sentir seule dans ces moments-là", assure Aurélie.
Elle espère pouvoir tirer son livre à hauteur d'un millier d'exemplaires et le faire imprimer par un éditeur français. Pour ça, elle doit récolter des fonds. "J'ai donc lancé une cagnotte en ligne", précise-t-elle. Mais quoi qu'il arrive, elle prévoit de sortir son guide le 9 décembre, vingt ans jour pour jour après s'être mise en couple avec son ex-conjoint.
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