Il y a cinq ans jour pour jour, le 3 juillet 2018, Aboubacar Fofana décédait des suites d'un tir après son refus d'obtempérer lors d'un contrôle policier à Nantes. Un drame dont les circonstances rappellent celle de la mort de Nahel, le 27 juin.
"La première similitude, ce sont les circonstances de faits, c'est-à-dire que c'est à chaque fois une voiture qui essaie d'échapper à un contrôle et un policier qui tire, mais qui tire pour tuer", estime l'avocat de la famille d'Aboubacar Fofana, Franck Bouezec.
Il travaille sur ce dossier depuis cinq ans, aux côtés de maître Anne Bouillon. Un temps passé à se battre pour obtenir que le policier auteur du tir mortel qui a tué Aboubacar Fofana le 3 juillet 2018 soit jugé pour meurtre.
Ce jour-là, Aboubacar Fofana, 22 ans, se fait arrêter par la police au volant de sa voiture dans le quartier du Breil à Nantes. Il décline une fausse identité et tente de repartir. Son collègue réplique et tire une balle dans le cou du jeune homme, qui décède de ses blessures.
L'existence, ou non, d'une vidéo
Ces faits ressemblent à ceux qui ont conduit à la mort de Nahel, âgé de 17 ans, le 27 juin à Nanterre. À ceci près que le contrôle routier du jeune homme a été filmé par plusieurs témoins.
"À l'époque, on a fait un appel à témoins justement parce qu'on espérait des images", précise maître Bouezec. Selon l'avocat, "une vidéo fait la différence en matière de gestion de l'ordre public", notamment parce qu'elle permet de confronter les différentes versions recueillies à des images.
Sans preuve visuelle, "on est obligés de travailler avec des témoignages humains, recueillis par des policiers dans des situations complexes", relate Franck Bouezec. Des témoignages qui peuvent parfois évoluer.
Le CRS qui a tiré sur Aboubacar Fofana a d'abord invoqué la légitime défense lors de son audition par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices. Cette version ne concordait pas avec les éléments techniques constatés. L'homme avait alors changé de discours en décrivant un tir accidentel.
Légitime défense ou attaque illégitime ?
Franck Bouezec voit aussi une ressemblance de nature juridique entre l'affaire Aboubacar Fofana et la mort de Nahel. Ces faits sont survenus après la réforme du code de la sécurité intérieure datant de 2017.
Le nouveau texte de loi qui autorise l'usage d'une arme lorsque les forces de l'ordre, agents de la police nationale ou militaires de la gendarmerie, "ne peuvent immobiliser, autrement que par l'usage des armes, des véhicules [...] dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d'autrui".
Maître Bouezec affirme que cette réforme "a été extrêmement habitée à l'intérieur de l'institution policière, puisqu'il y a des recommandations et des lectures qui ont été faites par l'institution policière et par le ministère de l'Intérieur". Il considère qu'elle a contribué à "libérer les pratiques" en accroissant la possibilité de recourir à l'excuse de légitime défense.
"C'est intéressant parce que la cour de Cassation a commencé à s'interroger sur la manière dont on devait traiter ce nouveau texte. Est-ce que c'est un nouveau cas de légitime défense très spécifique, ou pas ?", questionne l'avocat.
À partir du moment où on est dans une situation de proximité, où on vise une partie essentielle du corps, où il n'y a pas de danger immédiat, et à partir du moment où on n'est pas dans la proportionnalité, on est dans une situation d'homicide et pas de coups mortels.
Franck BouezecAvocat de la famille d'Aboubacar Fofana
La légitime défense est un concept juridique à part entière, et "les premiers arrêts de la cour de Cassation disent que la légitime défense, c'est la légitime défense", déclare Franck Bouezec. "Donc il y a une réécriture dans le code de la sécurité intérieure d'une hypothèse dans laquelle on envisage une légitime défense, mais en réalité les conditions de la légitime défense, notamment la proportionnalité et la situation de danger, sont des conditions essentielles auxquelles on ne peut pas déroger", poursuit-il.
Le procès lié à la mort d'Aboubacar Fofana n'a toujours pas eu lieu, en raison d'une longue et lente instruction de 5 ans. Le policier n'a été entendu que 2 ans après les faits par le juge d'instruction. Un délai qui n'est "plus raisonnable dans un dossier qui concerne la mort d'un jeune homme et où il s'agit de comparaître devant la cour d'assises", souligne Franck Bouezec, qui pointe le "manque de diligence" du premier juge d'instruction.
La famille d'Aboubacar Fofana espère la requalification du chef d'accusation pour que le policier mis en cause soit jugé pour meurtre, et non pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Le procès devrait avoir lieu au plus tôt au premier semestre de l'année 2024.