Les conclusions de l'étude de rentabilité demandée par le Département de Loire-Atlantique sur les deux criées de La Turballe et du Croisic ont été révélées. Le Département de Loire-Atlantique a décidé, pour le moment, de ne pas faire le choix d'une fermeture de l'une des deux et se laisse encore deux ans pour réfléchir.
"La Turballe, on a un port en eau profonde, on peut accueillir nos bateaux 24h sur 24. Notre criée est beaucoup plus grande."
Début février, Didier Cadro, le maire de La Turballe, alignait les arguments sur le marché des halles de la commune pour faire signer la pétition demandant le maintien de la criée mise en concurrence avec celle du Croisic. Deux criées situées à quelques milles nautiques l'une de l'autre, sur le nord du littoral de Loire-Atlantique.
"Ça fait partie du patrimoine"
"La criée, ça fait partie du patrimoine croisicais, déclare Aurélie Debec, poissonnière au Croisic. Sans criée, Le Croisic perdrait un peu de son charme. On veut garder ici les pêcheurs, ce qu'ils ramènent, les bateaux..."
Chacun, évidemment, défendait sa criée. Des équipements qui font partie de l'histoire des deux ports, mais c'est aujourd'hui, économiquement, un de trop au regard des arrivages de poissons en baisse. Les deux criées sont pourtant complémentaires disent certains.
"Les deux criées ne vendent pas tout à fait les mêmes produits, reconnait Sylvie Lebec directrice de la société d'économie mixte délégataire du Département pour la gestion des ports de La Turballe et du Croisic. On est plus sur le vivant au Croisic, langoustines, coquilles Saint-Jacques, araignées, ce qu'on a beaucoup moins à La Turballe."
La criée de La Turballe, en mauvais état, subit une baisse importante de son activité, 1000 tonnes de moins en 2023. Dans les années florissantes, le port de pêche qui était le plus important de la région abritait plus d'une centaine de bateaux. Ils ne sont plus que 43 aujourd'hui.
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Un choix... reporté
Voilà plusieurs années que la rumeur parle de la fermeture d'une des deux halles à marée. Le Département de Loire-Atlantique, qui en est le gérant depuis 2011, a fini par commander une étude de rentabilité dont les conclusions ont été rendues ce mercredi matin.
Il a donc été décidé, pour le moment, de maintenir les deux équipements et même d'y réaliser des investissements. Le Département se donne deux années de plus pour décider s'il doit se séparer de l'une ou l'autre des criées.
Point d'étape dans un an
Un point d’étape est prévu dans un an, a annoncé Lydia Meignen, la Présidente de la SAEML, société anonyme d'économie mixte locale, qui gère les ports du Croisic et de La Turballe.
En fonction des résultats, on envisagera à nouveau la fermeture d’une des criées "et ce sera celle du Croisic", précise Lydia Meignen.
Mais la criée de La Turballe n’est pas en capacité de tout accueillir. On annonce, en conséquence, le lancement d’une étude avec plusieurs options : déménager la criée ou restructurer l'existant.
Parmi les mesures qui vont être mises en place, la spécialisation de chacune de criées. Pour Le Croisic, ce seront les produits nobles, crustacés, et pour La Turballe tous les poissons, les volumes de masse.
"Rien ne serait pire que de faire le mauvais choix" déclarait au lancement de l'étude, en février, Lydia Meignen.
Plutôt que de faire un mauvais choix, il a donc été décidé de ne pas choisir. Pas encore.
Tout le monde devra jouer le jeu
"Nous voyons bien qu'il y a une volonté de maintenir deux criées en Loire-Atlantique, constate, Michel Ménard, le Président du Conseil Départemental. Pour que ça puisse fonctionner, ça suppose une réorganisation. C'est pour ça que nous proposons des adaptations en termes de fonctionnement de ces deux criées. Par exemple en ayant les mêmes horaires de vente sur les deux criées, en ayant du matériel modernisé, en investissant fortement pour maintenir une filière pêche dynamique en Loire-Atlantique."
Pour l'instant, on préfère donc parier sur le maintien des deux équipements en investissant notamment sur la rénovation de celle de La Turballe. Mais il faudra que tout le monde joue le jeu.
"Si certains pêcheurs basés à La Turballe vont débarquer à Lorient, ça ne pourra pas fonctionner", prévient Michel Ménard.
Un modèle à deux criées viable ?
Pour Lydia Meignen qui se base sur l'activité du premier trimestre 2024, ce modèle à deux criées est viable.
"Aujourd'hui, aussi bien en tonnage qu'en valeur, c'est en augmentation, note la présidente de la société qui gère les ports du Croisic et de La Turballe. Et puis nous avons la SEM (société d'économie mixte de gestion des criées). Nous avons les salariés. Ce sont des gens consciencieux, mobilisés. Ça va être un socle formidable pour mettre en place le plan d'action qu'on a défini."
Pour autant, le Département prévoit "l'hypothèse où ça ne peut pas fonctionner dans la durée".
"Inacceptable"
L'annonce a créé une première réaction crispée du côté du Croisic.
"Au vu de l’annonce du département, déclare Christopher Quéméner, un marin pêcheur du Croisic représentant le Collectif Pêche et Développement, Premièrement, une fermeture programmée du Croisic dans deux ans, alors qu’aujourd’hui cette criée est déjà viable et offre une multitude de produits, du vivant au poisson, est inacceptable pour le collectif. Deuxièmement, un manque de précision sur de nombreux points crée de fortes incertitudes et n’offre pas une vision sereine pour l’avenir de la filière".
La politique du courage, fuyons
Du côté de La Turballe, les marins pêcheurs estiment que, si les prix restent ce qu'ils sont lors des ventes à la criée locale, deux ans de plus à ces tarifs trop bas selon eux, ne feront que les inciter à aller débarquer ailleurs.
Pour le Maire, Didier Cadro, ce sont deux ans de trop. Pour lui, c'est la politique du "Courage, fuyons !".
"C'est une décision politique et pas une décision économique, dit-il. Actuellement, nos pêcheurs vendent très mal leur poisson. Il fallait une place forte de vente dans notre département, pour que nos pêcheurs puissent vendre correctement leur poisson. Que ce soit La Turballe ou Le Croisic, là n'est pas le problème. Attendre deux ans ? La SEM est en déficit de plus de trois millions d'euros. Ça va s'accentuer".
"On ne ferme pas une criée comme ça, précise Lydia Meignen. C'est quelque chose qui se travaille."
C'est peut-être pourquoi, aussi, on s'est donné deux ans de plus pour prendre la décision.
Qu'est-ce qu'une criée ?
Ce qu'on appelle une criée est une halle où les mareyeurs et poissonniers viennent acheter ce que les marins pêcheurs ont ramené. Les ventes peuvent aussi se faire à distance via internet. Autrefois, avant l'informatisation, ces ventes se faisaient "à la criée". Les enchères se faisaient à voix haute, encadrées par un agent du port, le crieur. D'où le nom de criée.
Nous sommes tous concernés par ce qui se passe. La vie de la criée, c'est le cœur de notre commune. Si tu enlèves notre cœur, alors on arrête de respirer.
Pedro FeirreraRestaurateur à La Turballe
Ces halles à marée ont aussi pour fonction de fournir et entretenir les outils de débarquement des cargaisons de pêche, de pesée et de stockage.
Ce sont les taxes payées par les acheteurs et les vendeurs qui financent ces lieux.
Olivier Quentin avec Cathy Colin et Myriam N'Guenor.
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