« On veut récupérer nos salaires et notre dignité ». A Guérande, une entreprise en crise, 25 employés privés de salaire et 100 clients laissés sur la touche

Les 25 salariés d'un groupe d'entreprises guérandais, du secteur du bâtiment, n'ont pas été payés depuis la fin du mois de juin. Le tout nouveau dirigeant de l'entreprise est introuvable, et la centaine de clients qui a versé des acomptes au groupe pour des travaux attend qu'on leur rende leur argent.

DB éco habitat est comme un bateau à la dérive. À la barre, un patron démuni, qui quitte le navire alors qu’il coule. Pour lui succéder, un repreneur fantôme, qui ne donne plus signe de vie depuis qu’il a signé les preuves de rachat de la société le 5 août dernier, abandonnant ainsi clients et salariés, qui attendent désespérément leur argent.

Le groupe d’entreprises, qui regroupe trois sociétés spécialisées dans l’isolation, la plomberie et la maçonnerie, n’a pas versé les salaires des 25 salariés depuis la fin du mois de juin. DB éco habitat, installée à Guérande (Loire-Atlantique), doit aussi de l’argent à une centaine de clients.

CARTE. Le groupe d'entreprises impliqué se situe à Guérande (Loire-Atlantique)

200 000 euros d'acompte évaporés 

Tous ont acheté des chantiers au groupe il y a plusieurs mois et versé un acompte de 30% du devis. Certains ont versé 5000 euros à l’entreprise, d’autres 50 000. Au total, plus de 200 000 euros se seraient évaporés. Les chantiers, eux, n’ont pas été terminés. Pour la plupart, d'ailleurs, ils n’ont jamais commencé.

Dans la maison de Valérie Lugez, rien n’a bougé depuis le 7 décembre dernier. Pourtant, elle a versé 32 000 euros, à DB éco habitat pour les travaux d’aménagement qu’elle avait commandé, chiffrés à 96 000 euros. « C’est comme si j’avais mis les 30 000 euros aux toilettes » désespère la cliente, qui vit à Saint-Nazaire. Les travaux n’ayant pas commencé avant le litige, l’assureur de l’entreprise refuse de l’indemniser.  Décidée à explorer "tous les recours", Valérie Lugez se fait peu d’illusions. Mais elle croit en "la solidarité". Alors hier, vendredi 25 août, elle est allée manifester avec une quarantaine d’autres personnes devant le siège de l’entreprise DF isolation, l’une des sociétés concernées.

Les salariés réclament la liquidation judiciaire des entreprises

22 des 24 salariés étaient présents pour réclamer leur dû. Parmi eux, Franck Delespaul, directeur commercial de l’entreprise qu’il avait fondé en 2012, et qu’il a dirigée jusqu’en avril 2022, avant de revendre ses parts au patron qu’il accuse de malversations. "On voulait montrer notre solidarité entre salariés, alerter les gens", explique le commercial. "Il faut que les entreprises soient mises en liquidation judiciaire pour qu’on puisse récupérer nos salaires par les assurances", réclame le guérandais, qui dit avoir vu le fonctionnement de l’entreprise se gripper depuis le début de l’année.

Avec les autres salariés mobilisés, en marge de la manifestation soutenue par la CGT, il a échangé avec le directeur du cabinet du maire de Guérande, Guillaume Bollet, qui a tenu à participer à la manifestation. Pour ce dernier, "on ne peut être qu’ému par l’histoire de ces salariés et de ces clients". Même si le litige concerne une entreprise privée et qu’il ne dispose pas de moyens directs d’action, Guillaume Bollet assure "être du côté des salariés qui vivent une situation dramatique".

Bien décidés à faire évoluer la situation rapidement, les salariés ont saisi la justice, l’inspection du travail, et écrit au procureur de la République. "Notre combat à nous, c’est d’arriver aux Prud’Hommes, on veut récupérer notre salaire, et notre dignité", martelle Franck Delespaul.

L'ancien propriétaire du groupe "effondré"

Avant cela, reste à éclaircir qui doit payer.

Aujourd’hui légalement, je ne suis plus propriétaire, moi, je ne peux même pas déposer le bilan, c’est ça la problématique.

Pierre B., ancien propriétaire des entreprises

Pierre B., qui a vendu DFI le 17 juillet et DB éco habitat le 5 août dernier, se présente en homme "effondré". Au téléphone, il peine à retenir ses larmes et à camoufler sa détresse : "Je suis dans un état psychologique difficile… je ne sais pas quoi faire".

Et pour cause : l’homme, qui a déjà dirigé plusieurs entreprises ayant fait faillite dans le passé, assure ne plus être propriétaire des sociétés. En mars dernier, conscient que son entreprise connaissait des jours difficiles, il était allé demander conseil au tribunal de commerce de Saint-Nazaire. Il avait ensuite pris la décision de revendre ses parts de l’entreprise, espérant "qu’un investisseur sauve la boîte et réinjecte de l’argent".

Les parts cédées à un jeune investisseur fantôme

Il les a depuis cédées à un certain Mohamed Hamoudi, jeune investisseur âgé de 28 ans, propriétaire de quatre autres sociétés en région parisienne. L’homme, qui l’avait contacté après avoir pris connaissance de l’annonce de mise en vente de DFI, s’était, d’après l’ancien dirigeant, engagé à "assurer la continuité de la société et des travaux commandés".

Selon Pierre B., lorsqu’il a racheté les parts, Mohamed Hamoudi a d’ailleurs insisté pour verser lui-même les salaires des employés dès le mois de juillet. Pour les versements du mois de juin, il avait d’ailleurs demandé à Pierre B. d’attendre avant de virer le salaire de trois de ses salariés, y compris Franck Delespaul, avec qui "il voulait avoir une discussion", pour des motifs qui restent flous, mais qui pourraient être liés à des conflits internes à l’entreprise.

Plainte pour escroquerie 

Problème : depuis qu’il a signé tous les papiers les 17 juillet et 5 août dernier, Mohamed Hamoudi n’a, selon Pierre B, pas déposé les changements au greffe du tribunal. Pourtant, selon les salariés et Pierre B, qui sont d’accord sur ce point, Mohamed Hamoudi aurait déjà effectué plusieurs actes de gestion au sein des sociétés. Le chef d’entreprise fantôme, originaire de Nanterre, aurait mis en vente les camions et le matériel de DFI sur un site de revente en ligne.

"Je n’arrive plus à le joindre, je ne sais pas si c’est une escroquerie ou pas"

Pierre B., à propos du repreneur des entreprises

Pour le retrouver plus vite, l’ancien directeur a décidé de porter plainte contre le repreneur pour escroquerie auprès de la gendarmerie de Saint-Nazaire.

Plusieurs clients affirment que Mohamed Hamoudi leur a téléphoné pour les informer de sa volonté de ne pas mener les chantiers commandés, ni de rendre l’argent avancé. Pierre B., lui, veut assumer ses responsabilités mais regrette "que ce soient les anciens collaborateurs et les clients qui en pâtissent". "Je n’ai pas fait ça pour les embêter", conclut l’entrepreneur déchu, qui dit "avoir tout perdu".

Malgré nos multiples tentatives, nous n'avons pas réussi à joindre Mohamed Hamoudi avant la publication de cet article. 

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