Créé lors du premier confinement, le tout premier centre français d'aide psychologique destiné aux marins est maintenant pérennisé. La cellule d'urgence s'est installée dans ses propres locaux et quatre soignants ont été recrutés.

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Après dix ans passés sur les océans, à naviguer dans les mers du monde entier, Antoine* n'aurait jamais pensé vivre une expérience si difficile. "Je suis parti en mars 2020, raconte-t-il, au début du confinement. Normalement on ne reste que six semaines sur un bateau, c'est le temps acceptable pour que ça se passe bien.[...] Mais là, je n'ai pu rentrer chez moi qu'en juillet". Avec la pandémie de Covid-19, les frontières se sont fermées tour à tour, des milliers de marins se sont retrouvés coincés, à des centaines de kilomètres de chez eux, sans savoir quand ils pourront retrouver leur foyer.

Ce marin de 43 ans, qui préfère rester anonyme, a appelé le centre d'aide psychologique de Saint-Nazaire en mai 2020. "J’étais capitaine sur le navire et je n’étais plus capable de prendre la mer et de travailler. A ce moment-là, j’étais dans un cul de sac", confie Antoine, les larmes dans la voix. Plus d'un an après, il reste empreint de l'émotion liée à cette période traumatisante. 

Sauver les marins en détresse

Créé au début de la crise sanitaire, le centre d'aide psychologique de Saint-Nazaire a d'abord mis en place un numéro d'urgence pour soutenir les marins en grande détresse. "La plupart des appels, c’est pour des moments de crise psychique : des moments de crise traumatique, suicidaire, d'angoisse, d'épuisement", analyse Camille Jego, coordinatrice du centre.

A l'origine du projet, la psychologue voulait traiter du stress post-traumatique, un trouble dix fois plus présent chez les marins par rapport à l'ensemble de la population. Mais avec la crise sanitaire, Camille Jego a élargi son champ d'action à l'ensemble des souffrances psychiques. "On a observé un phénomène d'usure principalement : les marins n'avaient aucune perspective, ils ne savaient pas quand ils rentreraient, explique la soignante. Ça a mis en évidence leur isolement physique, géographique, et leur isolement de la pensée sociétale".

Par exemple, pour le vaccin, les autorités n'ont pas jugé les marins comme prioritaires, alors qu'ils font partie des plus exposés. Les marchandises pouvaient continuer à débarquer, mais pas eux. C’est pourtant des indispensables à notre société de consommation.

Camille Jego, coordinatrice du centre

Depuis un an et demi, la psychologue a pu soutenir plus de 150 marins français ou étrangers, grâce à des consultations téléphoniques ou en présentiel, dans les locaux de l'hôpital de Saint-Nazaire. Grâce à un fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie, le centre a pu s'installer au rez-de-chaussée d’un ancien château, sur le site de psychiatrie d’Heinlex. Quatre personnes viennent d'être recrutées : deux infirmiers, une secrétaire, un psychiatre et une psychologue.

Rompre l'isolement

Si le centre compte moins d'appels, les difficultés subsistent. "En janvier, il y a eu des bateaux où la Covid-19 était présente, sans possibilité de faire intervenir de la réanimation à bord, témoigne Camille Jego. L’isolement des marins implique qu’ils doivent tout gérer. Alors que nous, on peut faire appel à des ressources et chercher de l'aide si besoin".

Mais pour les marins, faire appel à de l'aide extérieure peut déjà poser problème. "Un marin qui prévient les autorités, il est blacklisté", considère Philippe Chateil. Secrétaire de la Fédération des officiers de la marine marchande, ce responsable CGT témoigne : "un marin qui se met en grève, il ne réembarquera jamais. Ce qui est grave, c’est qu’on a fait passer la camelote avant l’être humain".

"Malgré les vaccins, la situation n'est pas prête de s'améliorer. Mais faut bien continuer de travailler", confie Antoine, qui rencontre toujours des situations "rocambolesques" en tant que capitaine. 

On sait quand on part mais on ne sait toujours pas quand on revient ; c’est aussi la vie de famille qui en prend un coup.

Antoine, capitaine

Si la situation est relativement comparable, Antoine a quant à lui changé de fonctionnement. "Il faut avoir du temps pour se recentrer sur soi. Avant, en six semaines, on se consacrait totalement à l’opération, on se reposait après. Maintenant il faut tenir sur la durée, on s‘accorde des temps pour nous".

Le centre psychologique continuera de proposer ses services 24 heures sur 24, pour les 42 000 marins professionnels français, une aide dont peuvent aussi disposer les étrangers avant, peut-être, la création d'un numéro d'urgence européen.

*Le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat.

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