Lors de son arrivée à Matignon, en septembre 2024, Michel Barnier avait annoncé sa volonté de faire de la santé mentale la grande cause nationale en 2025. Pour la psychiatrie, qui a connu ses dernières années, de nombreuses fermetures de lits et qui vit des difficultés de recrutement, c’est une petite lueur d’espoir. Patiente et soignants témoignent.
"J’allais très mal dans ma tête", se souvient Anne-Elisabeth Pugliesi-Conti. Elle travaillait à l’époque en région parisienne. On était en 1998. À la fin du mois d’août, elle a senti qu’elle perdait pied. Un matin, alors qu’elle se rendait à son bureau, elle n’avait qu’une envie, se jeter sous une rame de métro. Dans son mal-être, elle a eu les bons réflexes, appeler un médecin et se rendre aux urgences psychiatriques.
Elle avait 31 ans et tremblait de peur. Elle s’est dit, "ça y est, je rentre dans le monde des fous !"
Aujourd’hui, elle sait que cela lui a sauvé la vie. Elle qui avait peur de sortir faire les courses, peur de tout, a soudain été soulagée. "Enfin, on avait une idée de ce que j’avais. Il était dit à la maison que j’étais une emmerdeuse, caractérielle. Le jour où on a eu le diagnostic, on s’est aperçu que c’était une maladie psychique."
13 millions de personnes souffrent de troubles psy
Aujourd’hui en France, 13 millions de personnes souffrent de troubles psychologiques ou psychiatriques. En 2021, 324 000 personnes ont été hospitalisées pour une durée moyenne de séjour de 51 jours.
Lors de son arrivée à Matignon, en septembre 2024, Michel Barnier avait annoncé sa volonté de faire de la santé mentale la grande cause nationale 2025. Au-delà des campagnes de sensibilisation à la télévision et à la radio publique, Rodolphe Verger, secrétaire général de la CGT au Centre hospitalier Guillaume Régnier à Rennes, espère que des moyens seront débloqués, car ces dernières années, les hôpitaux psychiatriques français se portent mal.
Depuis 2020, dans ce seul centre rennais, 130 lits ont été fermés.
Dans les années 80, on comptait encore 114 000 lits de psychiatrie en France. Il n’en reste que 51 000, ce qui signifie que le nombre de lits d’hospitalisations en soins psychiatriques pour 1 000 habitants est évidemment en chute. Il était de 1,03 en 2000. Il est descendu à 0,98 en 2002 pour atteindre 0,8 en 2020.
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130 lits de moins en 4 ans
"Au début, on nous a expliqué qu’on fermait des lits parce qu’il fallait faire des économies, décrit Rodolphe Verger. Puis, on a dit qu’on devait en fermer d’autres, parce qu’il n’y avait pas assez de médecins. Mais il y a toujours des malades qui ont besoin d’être hospitalisés. Nous sommes le seul endroit où ils peuvent venir avec leurs souffrances en sachant qu’on va s’occuper d’eux."
Par la voix de son directeur, Pascal Bénard, la direction de l’hôpital, reconnaît qu’un certain nombre de postes sont vacants. Il manque aujourd’hui 20 infirmières, 15 aides-soignants, 30 médecins. Mais il relativise. "Il faut rapporter ce chiffre aux effectifs totaux, explique-t-il. Il manque 20 infirmières sur 900, peut-être même 950 !"
"Hier, quand on fermait des lits, on perdait du temps des soignants, ajoute David Levoyer, psychiatre et président de la commission médicale d'établissement du Centre hospitalier Guillaume Régnier. Aujourd’hui, quand on ferme, on garde les soignants, mais on les affecte autrement en essayant d’être au plus près des patients."
Depuis les années 60, la psychiatrie est en effet sectorisée. Dès cette époque, on se disait qu’il était plus efficace pour les malades d’avoir des centres de soin près de chez eux. "On va vers, résume David Levoyer. Quand on a des soins à domicile ou près de son lieu de vie, c’est plus facile pour la personne. Elle reste dans son environnement, nous, on peut aussi voir et comprendre des choses. Ce sont les soignants qui vont aux patients, et plus l’inverse…"
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Des centres au plus près des besoins
À Saint-Jacques de la Lande, tout près de Rennes, un Centre médico-psychologique et un hôpital de jour reçoivent les personnes tous les jours de la semaine.
"On accueille des patients qui souffrent de troubles psychiques, des personnes dépressives, des personnes qui souffrent de schizophrénie. J’insiste sur le mot personne parce que ce sont des individus avant tout", détaille Onenn Le Gloanec, infirmière à l’hôpital de jour.
"Ils sont d’abord vus par un infirmier qui va les orienter en fonction de l’urgence, décrit Carole Di Maggio, psychiatre, chef du Pôle sud-ouest du Centre hospitalier rennais. Si besoin, la personne sera vue par un médecin qui pourra lui prescrire un traitement ou une hospitalisation ou lui proposer de venir en consultation un peu plus tard."
À l’hôpital de jour, les ateliers s’enchaînent. Certains ont besoin de mieux comprendre leur maladie, d’autres cherchent des informations sur leurs traitements. Tous, souvent, sont isolés. "La maladie psychique isole beaucoup, constate Onenn. Au quotidien, ils vivent le repli sur soi, l’isolement."
Ce jour-là, l’infirmière anime un atelier soin. Elle invite les participants à parler des livres, des films qu’ils ont aimés. "Notre rôle, c’est de les accompagner pour qu’ils aillent vers l’extérieur."
Dans le bureau voisin, l’équipe de l’Unité mobile de soins intensifs et d’intervention précoce (UMSIDIP) se prépare à se rendre au domicile d’un usager.
"Un outil incroyable" témoigne Carole Di Maggio. Les soins à domicile ont permis de raccourcir les hospitalisations. En moyenne, elles sont passées de 16 à 10 jours. "Quand on n’avait pas ce suivi, on hésitait parfois à laisser partir une personne et les malades eux-mêmes étaient parfois inquiets. Là, on a, comme un filet de sécurité pour les malades, pour les soignants."
Des avancées thérapeutiques
La psychiatrie se transforme petit à petit, constate Anne-Elisabeth Pugliesi-Conti. Depuis 1998, elle a vécu sept hospitalisations. "On n’est plus un schizophrène ou un bipolaire, on souffre de quelque chose. On n’est pas une pathologie ambulante, mais une personne qui a quelque chose."
Les prises en charge évoluent. Les techniques aussi. Médicaments et traitements. Dans l’unité Kraepelin (du nom d’un psychiatre allemand), les patients arrivent de toute la France pour un diagnostic ou un avis médical. Comme son nom l’indique, l’hôpital de semaine fonctionne du lundi au vendredi. Ici, on soigne les troubles de l’humeur, angoisse, anxiété, dépression, mélancolie ; les troubles bipolaires ou les troubles obsessionnels compulsifs.
Le professeur Dominique Drapier, chef du pôle hospitalo-universitaire pour adultes du Centre hospitalier Guillaume Régnier, utilise notamment les ondes magnétiques.
La patiente qui vient d’entrer dans le petit cabinet enfile un bonnet de bain sur sa tête. "On va appliquer un champ magnétique sur une zone cérébrale particulière qu’on va aller stimuler ou au contraire ralentir pour essayer d’atteindre les zones dysfonctionnelles du cerveau qui sont en partie à l’origine des troubles du sujet", décrit le médecin. Des bips commencent à résonner. Le traitement est indolore et il a des résultats, se félicite le praticien.
Des avancées thérapeutiques qui ne font pas oublier toutes les difficultés. "Aujourd’hui, pour avoir un rendez-vous, il faut parfois des mois, s’agace Rodolphe Verger, secrétaire général CGT du Centre hospitalier Guillaume Régnier. Imaginez ce qui se passe dans la tête d’une famille qui vient chercher de l’aide à l’hôpital public, à qui ont dit, revenez dans un an, on pourra peut-être faire quelque chose pour vous !"
Il le voit bien, la santé mentale des Bretons se dégrade, addictions en tous genres, dépressions, tentatives de suicides… Aujourd’hui, 1 Français sur 5 souffrirait d’un problème psychique !