Pour la deuxième année consécutive, le groupe Yara présente au salon de l'agriculture les derniers progrès pour décarboner sa fabrication d'engrais. Sauf que l'usine Yara, à Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire, est l'une des plus polluantes en Pays de la Loire. Un site régulièrement mis à l'amende pour défaut de mise aux normes.
Sur le salon de l'agriculture, qui se poursuit jusqu'au 5 mars Porte de Versailles, à Paris, le groupe Yara tente de présenter une image rassurante, en phase avec les exigences de respect de l'environnement et les injonctions actuelles de réduire la consommation d'énergies fossiles.
Installé à Montoir-de-Bretagne, près de Saint-Nazaire, Yara produit des engrais pour l'agriculture. Le site est classé Seveso seuil haut et emploie plus de 150 personnes dans son usine de Loire-Atlantique.
Malgré cette tentative de greenwashing sur le salon, Yara est loin d'être exemplaire. L'entreprise est montrée du doigt depuis des années pour ses rejets de polluants dans les eaux de la Loire et dans l'atmosphère.
200 tonnes de poussières rejetées chaque année
"Yara est le premier émetteur régional (de rejets) dans l'eau en matière d'azote et de phosphore, dit clairement Christophe Hennebelle, chef de l’unité Loire-Atlantique à la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Aujourd'hui, ils ne respectent pas l'arrêté préfectoral qui fixe les concentrations pour leurs rejets. Ni dans les eaux pluviales, ni dans les eaux industrielles. L'enjeu est donc d'obtenir un retour à la conformité de ces rejets de la part de Yara."
Mais les mauvaises pratiques de Yara ne se limitent pas aux rejets dans l'eau, le fabricant d'engrais est aussi pointé du doigt pour ses rejets de polluants dans l'air.
"Sur le volet, rejets atmosphérique, les rejets en matière de poussières ne sont pas conformes, ajoute Christophe Hennebelle. L'objectif, là aussi, est d'obtenir une conformité de ces rejets."
Et la quantité n'est pas anodine. Selon les relevés effectués par la DREAL, c'est de l'ordre de 200 tonnes de poussières rejetées dans l'air chaque année. Ce qui vaut à Yara d'être sur la première marche du podium des émetteurs de poussière en Pays de la Loire. "Des poussières qu'il faut éviter d'inhaler" nous dit-on sobrement à la DREAL.
Un niveau de sanction maximum
Mais la direction régionale de l'environnement constate tout de même une amélioration depuis quelques temps. Depuis 2020, la concentration en azote dans les rejets d'eaux pluviales, aurait diminué de 30 %. L'entreprise a mis en place un système de traitement de ses eaux pluviales mais, malheureusement, il ne traite qu'un tiers des eaux. D'où un résultat insuffisant. Encore plus insuffisant pour les eaux industrielles qui ne sont pas du tout traitées.
"La situation ne s'est en revanche pas améliorée en ce qui concerne les rejets atmosphériques." précise Christophe Hennebelle. Yara a testé des solutions. Aujourd'hui, ils n'ont pas fait part d'engagements sur un dispositif de traitement d'où un processus de sanctions."
Voir le reportage de Eléonore Duplay, Laura Striano et Antoine Ropert.
Yara a argué du coût trop important des dispositifs à mettre en place, plusieurs dizaines de millions d'euros, semble-t-il. Sans convaincre la DREAL de la véracité de ces estimations. La DREAL qui garde un œil sur l'entreprise, 14 inspections y ont été faites depuis 2020 et un total de 170 000 € de sanctions ont été prononcées sans compter les 50 000 € exigées pour 2023. Un niveau de sanction qui serait le maximum prévu par la réglementation. Ce qui a amené le groupe à parler d'acharnement administratif à son encontre.
L'amende pourrait pourtant grimper encore, on parle de 500 000 € pour les rejets atmosphériques constatés en 2022.
200 tonnes de poussières rejetées dans l'air chaque année
"L'Etat fera preuve de fermeté pour atteindre cette conformité, assure-t-on à la DREAL, que ce soit sur le volet des rejets atmosphériques ou sur les rejets aqueux (contenant de l'eau)."
Fermeté ? Ce n'est pas ce que semble dire entre les lignes Nicolas Broutin, le président de Yara France, rencontré sur le salon de l'agriculture et qui évoque un accord en discussion avec l'Etat.
"Si nous avions des avancées significatives, notamment sur les eaux industrielles, dit-il, nous pourrions considérer ensemble avec l'Etat une dérogation sur la question des poussières."
"Il y a tellement de choses qui scandalisent"
Chez les habitants de Montoir-de-Bretagne et des environs, on commence pourtant à espérer que les choses vont s'améliorer concernant les pratiques de cette entreprise.
"On a l'impression que notre voix va se faire un petit peu plus entendre, notamment par le biais des inspecteurs de la DREAL, estime Marie-Aline Le Cler, Présidente de l'ADZRP (Association dongeoise des zones à risques et du PPRT). On franchit une étape. Il y a tellement de choses qui scandalisent. C'est d'avoir un industriel qui ne fait pas ce qu'on lui demande, qui met en danger ses salariés, la population et l'environnement."
L'association demande la fermeture administrative de l'entreprise car elle s'inquiète de la sécurité des habitants du fait des stocks de nitrate d'ammonium détenus sur le site. Ce même nitrate d'ammonium qui a provoqué la catastrophe d'AZF à Toulouse en 2001.
"On a l'impression que l'Etat prend son temps, dit Marie-Aline Cler. Nous, on se dit que, les années passant, on n'a plus le temps parce que cette entreprise est de plus en plus vieillissante avec des engrais stockés et une salle de contrôle qui n'est pas aux normes."
Lobbying et blocage
A la mairie de Montoir-de-Bretagne, commune où se trouve l'usine Yara depuis plus de 50 ans, on voudrait bien aussi que l'entreprise montre plus d'empressement à respecter les lois.
"Il y a tout le pouvoir politique local qui nous appuie, se félicite Thierry Noguet, le maire de Montoir-de-Bretagne. Et merci aussi aux associations. Je pense que tous les organismes de contrôle font leur travail Mais au niveau de l'Etat, je pense qu'il y a quelque chose qui bloque. Je pense qu'il y a un lobbying de syndicats agricoles très puissants qui travaillent avec Yara et je pense qu'à ce niveau, il y a un blocage. Nous, en tant qu'élus, on se doit d'être vigilant. Au nom de l'emploi, on ne doit pas sacrifier la sécurité, et des salariés et de la population."
Pour cet élu local, une entreprise qui fait 2 milliards de résultat au niveau international devrait pouvoir se permettre d'investir 20 millions d'euro dans l'amélioration de ses process.
Olivier Quentin avec Elénore Duplay et Stéphanie Pasgrimaud.