Aliénor d'Aquitaine, vous connaissez son nom. Vous avez peut-être vu son gisant, à l'abbaye de Fontevraud, où elle a longtemps vécu. Pourtant, on connait peu son histoire. Cette reine, d'abord de France, puis, après son divorce, d'Angleterre, fait unique dans l'Histoire, aurait eu cette année 900 ans.
C'est une figure féminine majeure du Moyen-Age, une légende, un mythe français même pour certains. À une époque, le XIIème siècle, où les femmes étaient enfermées dans la soumission, elle a fait preuve d'une liberté, d'une modernité, et d'une puissance politique fascinantes.
Nicholas Vincent, professeur d’histoire médiévale et grand spécialiste britannique d’Aliénor, n’y va pas par quatre chemins pour la présenter.
"Elle était tellement puissante. Elle fut reine de France, elle fut reine d'Angleterre. Vous avez probablement entendu parler de Margaret Thatcher. D'une certaine façon, elle fut Madame Thatcher avant l'heure. C'est une vraie célébrité de son temps. C'est quelqu'un qui aujourd'hui ferait la une de Paris Match et de tous les grands journaux".
Aliénor et Fontevraud, une histoire d'amour
Aliénor d'Aquitaine, une dame de fer qui repose dans une abbaye millénaire. Fontevraud, dirigée depuis le XIIe siècle, fait unique pour l'époque, par des femmes. Ce qui n'est pas pour lui déplaire.
"Aliénor continue d'habiter ce lieu qui lui ressemble tant, explique Nicholas Vincent. C'est une femme qui n'aime pas être commandée par les hommes. Elle veut jouer sa propre partition. Exactement comme la puissante abbesse qui dirige alors cette communauté de femmes."
Autre grand spécialiste d’Aliénor d’Aquitaine, le professeur d’histoire médiévale Martin Aurell, auteur de "Aliénor d'Aquitaine Souveraine femme" (Flammarion), ajoute : "elle se sent très à l'aise ici, c'est indéniable. Elle y passe le plus clair de son temps. Sauf quand les affaires politiques l'appellent."
Une reine de France férue de culture
Et le pouvoir appelle très tôt la jeune héritière du duché d'Aquitaine. "C'est à l'époque où le territoire de France est morcelé. Aliénor d'Aquitaine, à 13 ans, épouse Louis VII, l'héritier de la couronne française", raconte Matrin Aurell. "La couronne française, y voit une occasion unique de s'emparer de ce duché immensément riche dans le sud-ouest", complète Nicholas Vincent.
"Elle est entourée par des hommes forts, puissants, mais elle apprend justement à user de son don de séduction, de son pouvoir informel", poursuit Martin Aurell.
Aliénor est une femme extrêmement cultivée. Elle aime la poésie, elle attire des troubadours. "Elle était férue de littérature, de musique et d'art dans des proportions très peu communes à l'époque" ajoute Nicholas Vincent.
Mais son mariage avec Louis VII va peu à peu se dégrader. "La croisade a été terrible, a été très dure pour son mariage qui n'a pas résisté", raconte Martin Aurell. C'est la première fois qu'une reine part pour la croisade avec toutes ses dames d'honneur. Donc cela témoigne d'un esprit d'initiative ou en tout cas d'un goût du risque."
Une femme de pouvoir dans un monde d'hommes
"Louis VII sur le champ de bataille va être un désastre. Il va jusqu'à abandonner son armée", ajoute Nicholas Vincent.
"Aliénor en plus s'est permis d'intervenir dans des affaires militaires. Une femme ne fait jamais ça en plein conseil de guerre. C'est humiliant pour son mari", poursuit Martin Aurell. Et puis il y a le problème de la descendance. Aliénor a donné deux filles, mais il n'y a pas le garçon tant attendu. S'il n'y a pas de descendance masculine, c'est la guerre civile assurée. Louis VII convoque les évêques de sa province ecclésiastique et on les sépare."
Une reine d’Angleterre toute puissante
Seulement deux mois après le constat de nullité de son mariage, Aliénor épouse en secondes noces Henri Plantagenet, comte d'Anjou, duc de Normandie et qui deviendra deux ans plus tard roi d'Angleterre.
"Elle a été immédiatement emballée par ce jeune homme imposant et puissant", raconte Nicholas Vincent. "Louis VII, quand il a appris le remariage d'Aliénor, de son ex-femme, a été catastrophé. Il s'est aperçu de la grosse erreur politique qu'il avait commise", note Martin Aurell.
"À ce moment-là, c'est le pire roi d'Europe et de la chrétienté. Il a perdu une croisade, c'est un scandale. Et son ennemi juré, le comte d'Anjou, lui a pris sa femme et ses terres, avant de régner quelques mois plus tard sur l'Angleterre, renchérit Nicholas Vincent. Donc la France devient vraiment réduite à l'île-de-France, encerclée par l'empire Plantagenêt."
Aliénor s’installe à Londres où elle gère les affaires du royaume, d'ordinaire réservées aux hommes. "Aliénor a une dizaine d'années de plus que son mari Henri II, donc ça lui donne un ascendant, une influence. C'est assez exceptionnel pour son temps. Quand son mari est sur le continent, Aliénor prend en charge le gouvernement de l'Angleterre", explique Martin Aurell.
"Si vous vouliez poursuivre en justice votre voisin ou démêler un conflit, il fallait demander audience à la reine, pour espérer obtenir gain de cause", précise Nicholas Vincent.
En rébellion contre son mari
Mais lorsque son mari reprend le pouvoir d’une main de fer et multiplie les infidélités, Aliénor décide de ne pas laisser passer.
"Une femme, à l'époque, est censée être la propriété de son mari, resitue Nicholas Vincent. Elle est quasiment son esclave. Et Aliénor ne voulait pas de cela avec Henri II. Et elle a incité leurs trois fils à se rebeller contre leur père."
Mais cela tourne terriblement mal pour elle. "La rébellion a été matée et Aliénor elle-même a été capturée et elle a passé les 15 années suivantes enfermée, prisonnière de son mari."
"Mais attention, nuance Martin Aurell, c'est une cage dorée d'une certaine façon. Bien sûr, elle a perdu toute possibilité d'exercer ses droits, mais en même temps, elle a un train de vie considérable. Sa captivité prend fin à la mort d’Henri II. Leur fils Richard Cœur de Lion, qui accède au trône d’Angleterre, relâche alors sa mère".
"On suppose que lorsqu'elle a appris la mort d'Henri II, Aliénor était aux anges. Parce qu'elle redevenait pleinement libre", glisse Martin Aurell
"Et à la mort de son mari, elle le fait enterrer à l’abbaye de Fontevraud, où elle se recueille, où elle habite à partir de son veuvage", ajoute Nicholas Vincent.
"Elle demeure la grand-mère de l'Europe"
Aliénor fait de Fontevraud la nécropole royale des Plantagenêt. Après son mari, elle y enterre, dix ans plus tard, son fils, Richard Cœur de Lion. Avant de les rejoindre, à son tour, en 1204. Elle a alors 80 ans.
"Aliénor meurt juste avant que l'empire qu'elle a construit avec son mari ne s'effondre, conclut Nicholas Vincent. Donc cet empire a duré le temps du règne d'Aliénor".
"Cela témoigne de l'incroyable force qu'elle a eue. Et cela vient aussi nous rappeler que les femmes, que l'on voyait alors comme des citoyennes de seconde classe au Moyen-Âge, pouvaient dans certaines circonstances exercer un pouvoir extraordinaire. Le sang d'Aliénor continue de couler dans les veines de la plupart des familles royales d'Europe. Encore aujourd'hui, elle demeure la grand-mère de l'Europe".
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